Ayant erré dans le milieu de la finance pendant quelques…
Nous avons rencontré Elisa Baudoin, la jeune réalisatrice autodidacte, qui signe actuellement les clips les plus inspirants de ces derniers mois.
L’univers d’Elisa Baudoin, jeune réalisatrice autodidacte de 26 ans, peut s’identifier en un coup d’oeil grâce aux atmosphères poétiques et romantiques qui se dégagent de ses clips et de ses photographies. Avec des couleurs pastels et un grain prononcé mais toujours subtil, ses clips – tournés pour certains en Corse – sont une invitation au voyage pour nos yeux et notre âme.
Signant les derniers clips de Terrenoire, November Ultra, Aloïse Sauvage ou Janie, Elisa Baudoin magnifie et sublime les textes des artistes qu’elle dirige derrière son objectif et parvient, à travers son langage imagé, à retranscrire toute l’émotion et la douceur qui peut se dissimuler derrière certaines chansons. Rencontre avec une réalisatrice et photographe multifacettes qui n’a pas fini de nous surprendre, de nous émouvoir et de nous faire évoluer dans des ambiances à la fois colorées et vintage, mais aussi brutes et minimalistes.
Anoussa : Salut Elisa. Pour commencer cette interview, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Elisa Baudoin : J’ai 26 ans, j’ai fait une école d’art, je me suis ensuite redirigée vers la mode et j’ai suivi les cours Florent. Je suis complètement autodidacte dans la vidéo. Mon copain a une agence de management d’artistes et une boîte de production. J’ai commencé à faire des clips en lui demandant si je pouvais commencer avec l’un de ses artistes. Et la passion est venue immédiatement.
A. : Au début, tu voulais être devant la caméra et non derrière ?
EB. : Comme j’étais très timide, je me suis dit que le théâtre pourrait m’aider. J’avais un peu fait de la comédie, des téléfilms et des pubs quand j’étais petite. C’était quelque chose qui me plaisait. En arrivant aux cours Florent et en jouant devant les gens, je me suis rendue compte que ça ne me plaisait pas. En revanche, j’aimais beaucoup diriger les acteurs, les aider à trouver leur personnage, imaginer la déco et les clips. Ça me parlait beaucoup. C’est pour ça que la vidéo est venue un peu naturellement. J’ai continué avec les artistes de l’agence et au fur et à mesure, d’autres personnes m’ont contactée et j’ai été ensuite signée dans une agence de prod.
A. : Quel est ton premier souvenir cinématographique ?
EB. : J’ai toujours adoré les clips. J’en regardais beaucoup à la télé. Je faisais même croire à ma soeur que j’avais joué dans certains. Finalement, j’ai découvert le cinéma assez tard. Quand j’étais petite, j’adorais Jacques Tati. Mais, j’étais plus concentrée sur l’artistique, l’esthétique, la composition, les couleurs, les cadrages que sur l’histoire. Hitchcock est peut-être ma vraie première révélation cinématographique. Je l’ai découvert avec un vieux DVD des Oiseaux qui trainait chez mes grands-parents et j’ai tout de suite accroché. Je pourrai regarder toute ma vie des films d’Hitchcock que ça ne me dérangerait pas. J’ai une passion absolue pour lui.
A. : Et ton premier souvenir de clip ?
EB. : The Bitter End de Placebo.
A. : Comment travailles-tu ?
EB. : En photos, je ne shoote qu’à l’argentique. J’aimerais bien continuer qu’en pellicule pour la vidéo mais parfois, je suis obligée de faire du numérique. Ça dépend du budget, ce n’est pas du tout le même coût de filmer en argentique ou en numérique. Aussi, certains artistes ne veulent pas d’argentique. Mais quand je peux pousser un peu l’argentique, j’y vais ! Quand je travaille au numérique, j’essaie de retrouver des ambiances un peu plus technicolor comme dans les vieux films d’Hitchcock dans lesquels il y a des couleurs qui pètent. Même si c’est du numérique, c’est toujours cool de s’approcher d’un look coloré et vintage.
A. : Tu travailles souvent avec les mêmes artistes (notamment Nicolas, Ly, Terrenoire, Janie). Comment ces collaborations voient-elles le jour ?
EB. : Le premier clip que j’ai réalisé était pour Nicolas Ly qui fait partie de l’agence. Je me suis vraiment essayée avec lui. Avec du recul, ses premiers clips étaient très marrants mais tu ne peux plus les trouver donc ça ne sert à rien de chercher ! Nicolas Ly est un crush absolu musicalement parlant. On ne se pose plus la question de savoir si je vais faire ses clips, c’est un peu évident pour l’instant. Mais peut-être qu’à la sortie de son album, il aura envie d’explorer d’autres choses, ce serait super pour lui et c’est ce que je lui souhaite.
Pour le clip de Mon âme sera vraiment belle pour toi de Terrenoire, c’est leur label qui m’a contactée 10 jours avant le tournage du clip après avoir vu le clip de Midnight Zone de Nicolas Ly. Le label cherchait quelque chose d’un peu mystique et surréaliste.
A. : Tu sembles avoir noué des liens très fort avec Janie. Peux-tu nous raconter votre rencontre ?
EB. : Janie m’a contactée l’année dernière pour faire ses 4 sessions piano/voix. De cette rencontre est né le clip de Mon Idole. On a vraiment une alchimie qui fait que ça fonctionne entre nous, on se comprend bien. C’est trop agréable de bosser avec elle. Ça me fait plaisir que ça soit avec une vidéo de Janie que tu aies découvert mon travail.
A. : Justement, peut-on revenir sur Mon Idole, le dernier clip que tu as réalisé pour Janie ? Le morceau et le clip, réalisé à la pellicule, sont saisissants d’émotion…
EB. : Janie avait comme idée principale de danser une dernière valse avec son père. On cherchait quelque chose de très nostalgique. La pellicule permet de faire passer des émotions à travers la texture de l’image. Avec le chef opérateur, on s’était dit qu’il fallait peut-être tout tourner en noir et blanc pour ne pas avoir l’envie de repasser en couleur après coup. Le noir et blanc avait vraiment une signification et avait été décidé dès le départ. Mais il n’y avait pas de labo à Paris qui développait des pellicules vidéos en noir et blanc. On a donc dû passer par la couleur. On était frustré. Janie avait insisté pour qu’on filme en couleur. Les images étaient magnifiques avec le lever du soleil et le ciel rose.
C’est un morceau qui est profondément bouleversant. Ça fait plaisir de savoir que l’image bouleverse aussi et qu’elle n’a pas dénaturé le morceau, ce qui était aussi le risque. J’avais la crainte de ne pas être à la hauteur de ce morceau qui a été écrit avec autant d’amour.
A. : Comment imagines-tu les clips que tu réalises ?
EB. : J’écoute le morceau plusieurs fois pour voir si les images me viennent toutes seules, ce qui n’arrive pas fréquemment. Il n’y a que pour 3/4 morceaux où les images sont arrivées dès la première écoute, dont Mon Idole. En général, j’écoute le morceau, je vais sur une page Tumblr que je m’étais créée quand j’étais ado et je fais défiler les images. Dès que je vois une ambiance, une posture, une couleur, un élément qui me parle, je le note. Pour le clip de Terrenoire, l’image est venue en voyant une photo de la lune. Deux frères hyper sensibles qui sont prêts à décrocher la lune pour leurs dulcinées. Il y a quelque chose de doux et de fragile.
Il arrive que l’artiste vienne avec des images. Par exemple, November Ultra, pour son clip Soft & Tender, savait qu’elle voulait un parallèle entre une robe rose et une robe bleue en tulle, qu’il y ait l’opposition entre le côté soft et tender. On a vraiment gardé son idée et j’ai apporté les nuages pour avoir un côté plus vaporeux et rappeler le tulle des robes.
A. : Il y a toujours beaucoup de douceur tant dans les images, dans les couleurs que dans le grain de tes clips. Dirais-tu que cela caractérise ton travail ?
EB. : C’est une question un peu traître. J’ai l’impression qu’on me contacte pour cette partie douce que j’ai réussi à mettre en avant au début. Ça a commencé avec un clip de Soleil Bleu pour le morceau Nuée Chaude, un peu dolce vita, érotico années 70. Je crois que ce clip a dû marquer parce qu’on m’en parle souvent en faisant référence à ce côté doux et féminin. J’adore cette partie de moi mais en même temps, j’ai aussi une partie de moi qui est un peu plus surréaliste, brute et ultra minimaliste. Au final, la première partie du clip de Mon Idole en noir et blanc me ressemble plus. Il y a un aspect brut, sans chichi. On se concentre sur l’artiste et sur ce qu’elle a à dire. L’image vient juste porter et soutenir le texte et ça me plait beaucoup plus.
A. : Doit-on s’attendre à quelque chose de plus brut pour tes prochains projets ?
EB. : Il y a plusieurs projets en cours. Je suis contente parce que j’ai été contactée pour des projets un peu plus surréalistes, qui frôlent avec le cauchemar mais avec beaucoup de douceur et je trouve ça hyper intéressant.
A. : On vient d’aborder ton travail en tant que réalisatrice. Qu’en est-il de ton travail en tant que photographe ?
EB. : Au départ, quand j’ai commencé la vidéo, mon cerveau n’était pas fait pour que j’arrive à faire de la photo. Quand je prenais des photos, je ne faisais que des cadrages de vidéo, donc des cadrages plus étirés et en mode paysage. C’est difficile de faire une capture d’une vidéo pour en faire une photo. J’ai persévéré, j’ai aussi trouvé des appareils qui me convenaient. J’ai un problème avec les profondeurs de champ. Je n’aime pas quand l’arrière-plan est flou. Le moyen format et le 35 mm me permettent d’avoir tous les éléments assez nets. Je shoote avec un Bronica en 120 mm, un reflex et un compact 35 mm et j’utilise des pellicules Portra 160, 400 ou 800.
A. : Quels seraient les artistes pour qui tu rêverais de faire un clip ?
EB. : J’adorerais faire un clip pour Radiohead, James Blake ou Jane Birkin pour tout ce qu’elle représente et parce que j’ai été bercée par sa musique. Et, Bernard Lavilliers. Bizarre, on ne s’y attend pas ?
A. : Après les clips et les photos, as-tu envie de passer à la réalisation de ton propre film ?
EB. : Clairement ! À fond ! Mis à part les quelques petites histoires inscrites dans mon carnet, il n’y a rien de très concret. Ça va se faire avec le temps, il faut que ça mûrisse. Je pense que toute personne qui fait de la vidéo espère avoir quelque chose qui soit 100% lui-même. Travailler avec des artistes, c’est fabuleux, il faut une certaine dextérité, comprendre l’artiste. Faire ton film, c’est 100% toi, ce que tu ressens, ce que tu as à dire, il y a un aspect artistique énorme.
A. : On arrive à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un/e artiste ?
EB. : Sincèrement, c’est une question que je me suis beaucoup posée. Je peux facilement me mettre en rogne et être agacée lorsque j’entends quelqu’un dire « moi, je suis un artiste » alors que c’est quelqu’un à qui on écrit tous les textes. Le mot artiste est hyper sacré. L’art est quelque chose de vraiment sacré. Un artiste, c’est quelqu’un qui a un besoin pulsionnel de créer, c’est une nécessité qu’il ne va pas forcément contrôler. Ce n’est pas une question de beau, ça passe par les émotions, une sensibilité telle qu’elle soit, par de l’amour, de la passion, de l’énervement. Mais en tout cas, c’est quelque chose qui est pulsionnel et animal à mon sens.