« Minari », la fable américaine de Lee Isaac Chung
En attendant de s’installer en Islande entourée de ses films…
Jour de sorties oblige, demain mercredi sort en France Minari, joli drame auréolé d’un Oscar, d’un BAFTA, d’un Golden Globe et des Prix du Jury de Sundance. Une petite pluie de récompenses pour une œuvre sensible et maîtrisée.
Une famille américaine d’origine sud-coréenne s’installe dans une ferme au beau milieu de l’Arkansas. Jacob, le père, entreprend de devenir agriculteur. Le foyer familial est bouleversé, et David, le petit garçon, devra s’habituer à cette nouvelle vie ainsi qu’à la nouvelle présence de sa grand-mère coréenne.
Une fresque sociale à hauteur humaine
Histoire d’immigration, d’amour, histoire familiale, histoire d’apprentissage et de souvenirs, Lee Isaac Chung signe avec ce film une auto-fiction riche et heureuse. Puisant dans les souvenirs et la gratitude qu’il garde envers ses parents, leur décision de bouger, leurs sacrifices et leurs ambitions, ainsi que dans l’héritage qu’il souhaite lui-même laisser à sa fille, le cinéaste parvient à proposer une histoire d’immigration à la fois historiquement authentique – et donc une voix importante pour toute une génération d’immigrés – mais aussi un film intime qui pense l’amour au sein d’une famille, avec humour, douceur et patience. Entre mélodrame et film social, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec le cinéaste anglais Ken Loach, avec qui il partage la capacité à proposer une juste balance entre une fresque sociale et un portrait humain complexe et émouvant.
Car oui, à travers cette famille et leurs rencontres, on découvre une certaine Amérique des années 80. Par leur statut d’immigrés, les personnages offrent au spectateur une sorte de regard éloigné, étranger, et donc dés-habitué. Ainsi, les Américains deviennent étranges, on les regarde de loin, leur religion, leurs coutumes, leur sympathie, leurs envies, et leur racisme aussi. Mais le film ne montre pas que la société blanche américaine, de toute évidence. C’est également un film qui montre l’immigration et ses enjeux, à travers le fantasme du rêve américain qui cette fois se tourne vers la terre agricole. Mais il montre également le paradigme de l’identité, ni vraiment américaine, ni vraiment sud-coréenne. Au sein du film, cette contradiction s’incarne par le rôle du petit garçon et sa relation à sa grand-mère – qui n’est « pas une vraie grand-mère car elle ne sait pas faire de gâteau » et qui ne « ressemble pas à une grand-mère » – en d’autres termes, qui est étrangère. Les relations familiales deviennent alors le catalyseur d’une telle réflexion.
La finesse d’écriture de chaque personnage
Enfin, si l’image, le scénario et le montage sont parfaitement maîtrisés – pas de doute, Lee Isaac Chung sait faire du cinéma – c’est l’écriture et l’interprétation des personnages qui permettent au film de se démarquer. En effet, chacun d’eux est écrit sur un pied d’égalité, et l’histoire jongle entre les différents points de vue. Le cinéaste parvient avec brio a offrir à chacun d’eux une voix qui leur est propre, sans simplification ni cliché, qu’ils apparaissent à l’écran deux heures ou deux minutes. Et si le petit garçon nous impressionne par sa spontanéité et son humour, les interprétations du père (Steven Yeun) et de la grand-mère (Yuh-Jung Youn) sont mémorables. En effet, Steven Yeun nous offre un jeu à la fois passionné et vulnérable, terrifié de décevoir – un personnage dur à interpréter, facilement antipathique, à qui il apporte une douceur surprenante. Quant à Yuh-Jung Youn, elle incarne avec perfection un rôle drôle, touchant, qui marque par sa modernité.
Minari est un beau film, à la fois social et tendre, qui pense les trajectoires humaines, qu’elles soient familiales, personnelles ou migratoires. A l’orée de l’autobiographie et de la fiction, le cinéaste porte un regard bienveillant sur des personnages très bien écrits et modernes, ainsi qu’une voix à la fois historique, voire politique, alors que les questions d’immigration sont toujours d’une actualité brûlante.