Angèle : portrait d’une fusée belge
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
À seulement 22 ans, Angèle est de toutes les playlists depuis la sortie de son album Brol, le 5 octobre 2018. On a recueilli ses propos à l’occasion de la conférence de presse du festival Cabourg Mon Amour, où elle se produisait en juin dernier.
On rencontre une silhouette fluette et humble, une mademoiselle-tout-le-monde aux yeux de biche, dont le retrait modeste tranche avec l’énergie qu’elle enverra quelques heures plus tard sur scène. De la Angèle bondissante et haranguant la foule, une version assagie répond avec calme et intelligence à nos questions, oui, presque une jeune fille modèle. Il faut le voir pour le croire.
Le temps ne serait-il pas à l’apaisement ? Sorti cet automne après une attente démentielle, Brol a emporté la jeune belge dans un tourbillon d’amour-haine partagé entre ses fans transis et des haters déchaînés. Que l’on adule ou que l’on déteste la hit girl de 2018, son album Brol signifie en argot bruxellois « babioles », comme l’évidence que rien n’est jamais vraiment important. Ses douze morceaux iconisés sont avant douze petites chroniques du quotidien, à l’image de son interprète, une jeune belge de 22 ans propulsée en haut de l’affiche.
On aime Angèle car sa simplicité la rend aussi accessible qu’une bonne pote de lycée. Quand Georges Brassens magnifiait l’éphémère des rencontres avec Les Passantes, l’artiste raconte avec la même évidence la fugacité d’une relation virtuelle avec Je veux tes yeux, puis s’attarde sur la procrastination avec Flemme, l’absence d’une présence avec Les matins, la célébrité asphyxiante avec Flou, avant de régler ses comptes avec Balance ton quoi. En guise de point d’orgue, l’artiste se confronte avec panache à l’homosexualité féminine avec Ma Reine. L’art de parler de sujets essentiels avec simplicité.
Sous l’insouciance des mélodies pop, on découvre l’obligation écrasante du flirt amoureux, artistique, numérique, auquel plus personne ne peut se soustraire. Comme l’injonction indélébile à l’ère d’Instagram : « reste au top ou disparaît dans un flop » . Angèle fascine parce qu’elle incarne l’idole générationnelle de 2018 avec sa communauté Instagram de 800,000 followers. Si la popularité d’une star se mesure au nombre de followers sur les réseaux sociaux, la jeune chanteuse sidère par la maîtrise de ses prises de parole, usant de sa voix à bon escient pour porter des textes forts.
Marin : Bonjour Angèle. Tu es parvenue à te créer une fanbase nombreuse et fidèle en seulement trois singles. Comment expliques-tu la rapidité de cet engouement ?
Angèle : Je ne l’explique pas (rires). On ne vit qu’une fois un début de carrière, je ne me rends pas compte de ce que ça représente. Sur mes premiers concerts, il y a eu rapidement du monde. En festival, on m’a mis assez vite sur de grandes scènes. J’ai l’impression d’être une fusée à côté de groupes qui sont là depuis longtemps, je réalise que c’est particulièrement fulgurant. Instagram m’a permis d’arriver jusqu’ici, je n’ai pas eu à compter que sur les médias.
M. : Tu ressens une pression de la part des journalistes, maintenant que tout le monde t’attend ?
A. : Parfois je n’en dors pas la nuit, bien que le soutien que je reçois m’aide énormément. J’ai l’impression d’être une boule de neige qui roule sans fin et sans fin, jusqu’au bord d’une falaise… Je ne sais pas si ce qui m’attend au bout est positif ou non. Une fois que l’album sera sorti, je sais qu’il ne m’appartiendra plus. Ce n’est plus mon problème. Ça fait 2 ans que j’ai écrit La Loi de Murphy, bientôt un an qu’il est sorti (l’entretien a été réalisé le 30 juin 2018, ndlr). Ça a été une année dure pour obtenir un résultat dont je sois fière. Je suis intègre avec ce que je fais, ça ne me pose pas de problèmes si l’album ne plait pas.
M. : En terme de réception, tu perçois une différence entre la Belgique et la France ?
A. : En Belgique, tu as très vite fait d’être populaire. En France c’est un travail de fond, il faut aller faire la promo dans toutes les villes. J’ai un large public en Belgique, j’étais étonnée qu’il y ait des vieux… pardon, des adultes derrière le premier rang des ados (rires). Ça m’a mis la pression, je devais présenter des textes malins.
M. : Ça t’a aidée d’être dans un environnement artistique fort en Belgique, avec tes parents et ton frère ?
A. : Ça m’a aidée comme un futur chirurgien qui vient d’une famille de médecins. Tout sa vie, il a entendu parler d’opérations à table. Il connaît les codes, il sait comment se comporter dans le milieu. S’il cherche du travail, il sait comment s’adresser à son employeur. Pour moi, c’était surtout une question de soutien. Ma mère m’a poussée à faire de la musique, parce qu’elle savait que je ne me serais pas épanouie à l’université. Pour ce qui est de mon père, il m’a poussée sur scène dès qu’il en a eu l’occasion.
M. Parlons un peu de ton univers. Dans tes 3 premiers clips, le symbole de l’œil apparaît de manière récurrente. Comment est-ce venu ?
A. : L’idée est arrivée avec Je veux tes yeux. Ce que je dis, ce n’est pas seulement que tu veux la personne, mais tu veux qu’elle te regarde. Le morceau raconte une histoire d’amour à travers un écran de téléphone, c’est un jeu avec lequel on a beaucoup travaillé avec Charlotte (Abramow, la réalisatrice du clip, ndlr). Pour La Thune, le réalisateur Aube Perrie a repris ces codes là à travers la mise en scène et les coques de portable.
M. Tu chantes que le « spleen n’est plus à la mode » en featuring avec Roméo Elvis. Tu peux nous en parler ?
A. : À l’époque des Romantiques, c’était très à la mode d’avoir le spleen. Les dandys pouvaient être mal habillés et pas frais, alors qu’aujourd’hui la mode est dirigée par des personnes comme les Kardashian : sur-maquillées, sur-refaites, sur-parfaites. On ajoute des filtres Snapchat qui nous rendent la peau parfaite, de grands yeux et des lèvres pulpeuses. Tout le monde sait que c’est faux, mais on l’accepte. On a l’air heureux, en bonne santé et bien dans notre peau, mais on peut ne pas l’être, et ce n’est pas très important.
M. C’est quoi ton ambition pour la suite, comment tu te projettes ?
A. : Je ne me projette pas du tout, je fais les choses au jour le jour. Ça me fait bizarre car quand je rencontrais les labels on me disait souvent : « Deuxième album, troisième album… » Je trouve ça horrible. Mes amis qui sont à l’université, on ne leur parle pas de leur Mémoire en première année. Parler du deuxième album, ça te met tout de suite dans un système de rentabilité, comme à l’usine. Je mets toute ma vie dans ce premier album, au point que ça pourrait être le seul. J’ai 22 ans, j’ai de la chance, qu’est-ce que je peux encore raconter ? Je ne sortirai un second album quand j’aurais d’autres choses à dire.