Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Le duo maroco-montréalais De.Ville, composé du chanteur Ziad Qoulaii et du multi-instrumentiste Simon Pierre, nous parle depuis Québec de leur poignante déclaration d’amour aux immigrants, Atlantique.
À l’image de la scène cosmopolite de Montréal et des trajectoires croisées qui l’animent, le chanteur d’origine marocaine Ziad Qoulaii et le multi-instrumentiste et producteur québécois Simon Pierre forment De.Ville. Le tandem s’est rencontré dans l’effusion d’une soirée jam, avant de se retrouver dans le cocon créatif d’un studio, aboutissant à la naissance du mini-album Sables en 2018. Depuis, ils ne sont plus quittés.
Atlantique, au carrefour des continents
Avec Atlantique, leur EP sorti en novembre dernier, Ziad et Simon racontent l’histoire d’un nouvel arrivant qui laisse tout derrière lui pour s’abandonner à la promesse d’une nouvelle vie. Initialement conçu comme un court métrage en trois actes, le projet est un cri du cœur solidaire et bouleversant en hommage aux migrants, dans un mélange de chant en arabe et de sonorités électro-funk. Un clip du réalisateur maroco-québécois Alexandre Nour (Telescope Films) perpétue le voyage dans un déchirement lumineux.
À la rencontre du Québec, du Maroc et de la France, où ils sont particulièrement écoutés, Ziad et Simon déploient leurs ailes pour prendre racine sur chacun des trois continents. Rencontre en visio depuis Montréal avec la moitié de De.Ville, Pierre Simon.
Marin : Salut Simon. Est-ce que tu peux me raconter ton parcours à Montréal avant De.Ville ?
Simon Pierre : Je suis musicien à Montréal depuis plusieurs années en tant que guitariste, bassiste et batteur. J’ai commencé à enregistrer des morceaux un an ou deux avant le lancement de De.Ville. Ça m’a demandé un peu de temps pour maîtriser les processus d’enregistrement et de production. En plus de ça, je travaille avec beaucoup de musiciens qui vont ajouter leur touche ou rejouer des parties instrumentales pour De.Ville.
M. : Comment as-tu rencontré ton binôme le chanteur Ziad Qoulaii ?
SP. : On s’est rencontré à une soirée organisée par trois français au Fonzie à Montréal, où j’allais pour jammer et Ziad pour chanter. Je l’ai remarqué parce qu’il avait une voix différente de tous les autres chanteurs. On s’est parlé, mais pas plus que ça. Ensuite, je suis parti quatre mois au Maroc. Sans que je le sache, il y était en même temps pour revoir sa famille. La dernière journée avant que je revienne à Montréal, il m’a proposé de se voir à Rabat. Ça n’a pas pu se faire, mais on s’est retrouvé à Montréal.
M. : C’était une série de rendez-vous ratés avant la grande rencontre…
SP. : Quand on s’est retrouvé à Montréal j’ai fait l’instrumental de The Love We Lost, Ziad a chanté. Dès la première session, on s’est dit que ça valait le coup de s’y consacrer sérieusement. On avait eu beaucoup de petits projets très formateurs, mais là on était dans l’esprit d’y aller jusqu’à bout.
M. : On ressent cette forte connexion entre le Maroc et le Québec. Sur Atlantique, vous abordez la question de l’immigration…
SP. : C’est un sujet que l’on avait envie d’aborder tous les deux. Ziad le connaissait mieux que moi, avec ses connaissances et les histoires qui l’entourent. Personnellement, j’y suis très sensible. On avait envie de faire quelque chose pour transmettre notre solidarité et notre amour à ces gens. En travaillant sur notre premier album (ndlr, à paraître), ces trois chansons se sont alignées naturellement de manière narrative.
M. : Ces 3 chansons annoncent un futur album ?
SP. : Oui, même si l’on ne sait pas exactement dans combien de temps l’album sortira. Des choses vont sortir dans le courant de l’année 2021, pour le reste on n’a pas encore établi de stratégie. Personnellement, avec la pandémie, je suis adepte de sortir plusieurs singles et observer quelle est la nouvelle réalité de communication. C’est en tout cas le projet pour les prochains mois.
M. : Vous garderez cette identité avec le chant en arabe et des sonorités électro ?
SP. : Honnêtement, on va dans plein de directions quand on est en studio. C’est en fonction de notre état d’esprit du moment. Il y aura plein d’ambiances différentes dans l’album (ndlr, leur nouveau single Aminata sorti le 14 mai 2021 est en français). Notre style c’est d’avoir plein de styles différents et d’arriver à les faire cohabiter ensemble. On est inspiré par tellement d’artistes différents, on a des petites phases où on est obsédé par un truc précis, puis en vient un autre… On aime avoir cette diversité, qu’on le veuille ou non.
M. : Comment le multiculturalisme du projet est perçu sur la scène montréalaise ?
SP. : On reçoit beaucoup de soutien à Montréal. Tout le monde se connaît ici, c’est un petit milieu. Il ne faut pas oublier que l’on est 8 millions au Québec. Ce n’est pas comparable à la scène aux États-Unis ou en France. À long terme, on ne se projette pas à 100% à Montréal, car on risque de rester une curiosité pour le grand public québécois. On serait plus pertinent ailleurs.
M. : Où ça par exemple ?
SP. : Selon les statistiques, on est plus écouté en France et en Égypte. C’est ce qu’on est en train de développer pour les prochaines sorties. Quoiqu’il en soit, shout out au public québécois qui nous soutient énormément.
M. : Vous réservez bientôt votre vol pour la France ?
SP. : Figure-toi qu’on devait aller en studio au Maroc puis venir tourner en France, avant la pandémie. On a hâte de pouvoir bouger dès que tout ça sera terminé.
M. : Vous avez des soutiens qui vous ont particulièrement marqués à l’étranger ?
SP. : Il y a quelqu’un au Maroc qui nous a écrit en nous disant que Swizz Beatz avait trippé sur notre album, Sables, pendant qu’il était en studio là-bas. On s’est dit : « Mais il faut qu’il nous envoie un message ! ». Maintenant je regarde toutes ses stories (rires). On a aussi échangé avec Malca (ndlr, producteur français d’origine marocaine) qui nous a fait des retours sur nos démos et qui nous a beaucoup soutenu. Shout out à lui !
M. : On n’a pas encore parlé du visuel qui est partie intégrante de De.Ville. Comment s’est faite la rencontre avec le réalisateur de vos clips Alexandre Nour ?
SP. : Alexandre (ndlr, Nour) écoutait en boucle une de nos chansons sur Spotify, et il pensait qu’on était en France ou au Maghreb. Il s’est rendu compte qu’on était à Montréal et il nous a contacté (rires). Au début on avait écrit un court métrage divisé en trois clips avec des dialogues. Mais on n’a pas eu de subvention, il y a eu une pandémie, et on n’a pas pu aller tourner au Maroc où le film devait se passer pour moitié. On s’est dit qu’on allait s’arranger avec les moyens du bord. Ce qui est important de dire, c’est qu’on n’a pas une relation de client avec Alex, qui a mis beaucoup de temps et de d’argent avec Telescope Films (ndlr, la production) pour faire le clip.
M. : Comment le nouveau scénario d’Atlantique est arrivé sur la table ?
SP. : Le scénario a été écrit en une soirée à partir d’une idée d’Alex. Si c’est arrivé aussi rapidement, c’est que ça faisait deux ans qu’on travaillait ensemble. Il avait compris notre univers mieux que n’importe qui. Shout out aussi à Félix Cayer qui a travaillé sur le clip en tant que co-réalisateur. Ce n’est que le début d’une belle aventure avec Alex et Telescope Films, d’autres projets arrivent.
M. : Pour Ziad qui joue dans le clip, c’était aussi un baptême du feu…
SP. : Il n’avait jamais fait ça, mais il était vraiment à l’aise. Il était bien dirigé par Alex qui avait une vision précise de ce qu’il voulait. On a tourné le clip à l’automne en 2020 en respectant les normes sanitaires, c’était vraiment une belle expérience.
M. : Comment est-ce que tu vois l’avenir avec Ziad ?
SP. : On continue de créer comme s’il n’y avait pas eu de pandémie. Ça fait plus d’un an qu’on ne peut pas planifier quoique ce soit sur les plans personnel et professionnel. De loin, on voit que c’est la même chose en France qu’au Québec. J’ai vu beaucoup de bars et de restaurants de la vie locale qui ont dû fermer après un an sans clients. Ces bars, ce n’est pas juste un endroit où tu prends une bière, mais un lieu de partage culturel où des projets comme De.Ville se sont créés. Je me demande à long terme à quoi ça va ressembler.
M. : Et la reprise des concerts ?
SP. : On a fait plusieurs shows cet été au Québec. C’est une grosse tournée qui nous a amené dans différentes régions en plus de la ville de Québec avant de terminer à la maison à Montréal. On a déjà quelques shows derrière la cravate et honnêtement le retour sur scène est un pur plaisir. Personnellement, j’avais oublié combien c’était cool de faire de la scène et on est vraiment reconnaissant que les gens show up, connaissent les chansons et nous offrent un tel accueil. Ça fait du bien de voir ENFIN des gens danser ! C’est beaucoup de travail pour monter un show, mais depuis le premier qu’on a fait à Québec en juillet, je suis accro à nouveau et on est content d’avoir un été aussi occupé à ce niveau-là.
M. : Ma dernière question est une tradition chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?
SP. : Un artiste, c’est quelqu’un qui est capable d’être constamment émerveillé par le monde qui l’entoure, et qui le traduit à travers sa propre sensibilité.