Il mène sa vie une manette à la main, absorbant…
Lloyd Chéry est journaliste, professeur, dénicheur de pépites littéraires, podcaster, consultant en jeux vidéo, et directeur-auteur d’un superbe ouvrage sur l’univers de Dune – aussi vaste la question semble-t-elle.
On a passé un moment avec l’auteur, à l’occasion de la sortie de l’édition collector du beau livre Tout sur Dune, et de celle du film de Denis Villeneuve, qui arrache pour l’instant tout sur son passage.
Olivier : Bonjour Lloyd ! Revenons au commencement : Dune, ça te vient d’où ? Une découverte adolescente, un conseil amoureux, une recommandation parentale ?
Lloyd Chéry : J’ai découvert Dune enfant parce que mon père était un fan de la saga. Ce qui m’avait surtout et principalement marqué, c’était les illustrations de Wojtek Siudmak, sur les éditions pocket : l’homme aux yeux bleus, la couverture du Messie de Dune, celle des Enfants de Dune… Je les trouvais très intrigantes, en termes de graphisme et d’imaginaire. C’est ma première entrée dans le monde de Dune.
Mon préféré Dune, c’est le premier. On est dans un roman d’aventure, de space fantasy initiatique, avec les plus beaux personnages, même s’il reste au fond très classique. L’idée ensuite de s’atteler au mook sur Dune, elle est venue de mon passage au Point Pop. Je devais écrire en urgence un article sur Dune, sans avoir relu l’œuvre depuis quelques années. En travaillant dessus, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire puisque c’était très, très vaste, avec plein de thématiques géniales ; et le film de Denis Villeneuve qui allait les remettre en lumière.
O. : C’était prévu, de se coordonner dès le départ avec la sortie du film ?
L. : Tout à fait. On a commencé à travailler en 2018, déjà. En février 2020, j’ai rencontré la Warner pour avoir une interview exclusive de Villeneuve et des images du film à venir. À la base, mon idée, c’était d’abord de réunir les Avengers du monde de la SF, des spécialistes de l’œuvre, puisqu’on allait lancer un crowdfunding et qu’il fallait convaincre. On a monté une dream team de chercheurs, universitaires, illustrateurs, journalistes… Que des fans de l’œuvre, c’était important.
O. : Et la campagne de financement participatif ?
L. : L’objectif de la campagne a été atteint en 24 heures et ça a continué de bien fonctionner ensuite. La première édition s’est écoulée à 15 000 exemplaires, l’édition collector vient de sortir (le 9 septembre, ndlr). On va voir maintenant ce que le film va apporter à l’édifice. J’ai toujours été confiant sur le projet, Denis Villeneuve est un réalisateur que j’adore. Je n’ai pas été déçu de la projection en avant-première, le film est une grande réussite, absolument épique. Il y a aussi une forme de soulagement, après avoir travaillé sur Dune pendant plus d’un an et demi…
O. : Tu as tout donné sur ce projet gigantesque, est-ce que tu considères maintenant être passé à autre chose ?
L. : C’est ça. Le jour où j’ai vu le film en avant-première, c’était le jour où je recevais une photo de Denis Villeneuve avec le nouveau bouquin dans les bras. Je pouvais enfin savourer, la boucle était bouclée. J’ai conscience que cette aventure, je ne la vivrai peut-être qu’une seule fois, mais c’était une magnifique expérience. Enfin, je dis ça, mais ce n’est pas encore tout à fait terminé…
O. : Cette grande équipe de super-héros avec qui tu as collaboré pour l’ouvrage, comment l’as-tu contactée ? Grâce à ton podcast, C’est plus que la SF ?
L. : Le podcast était encore trop récent à cette époque, j’ai plutôt pu les contacter grâce à mon carnet d’adresses lié au Point. Je connaissais déjà la plupart des auteurs avec qui je voulais travailler pour le mook. Certains sont venus me demander, tout naturellement, parce que le mot se passait d’un projet littéraire et graphique autour de Dune. D’autres ont refusé la proposition, parce qu’ils ne se sentaient pas légitimes, j’étais un peu déçu.
O. : Et au niveau de la ligne éditoriale ?
L. : J’ai pu choisir les papiers, les angles, les gens avec qui je voulais travailler, les budgets, les piges, les illustrations… J’ai eu la chance d’avoir une liberté de création et éditoriale absolument totale. Mais le crowdfunding était indispensable : un projet pareil, ça ne peut pas exister sinon, en France.
O. : Même avec l’aval de Warner Bros., une exclusivité sur le film de Villeneuve, tout l’engouement autour du projet ? Le risque paraissait pourtant relativement minime dès le départ, non ?
L. : Le problème qui se pose à ce niveau, il est purement économique. De plus en plus, les grands groupes ne favorisent plus le moindre risque, il devient extrêmement rare d’avancer des sommes pareilles sur un projet, malgré la confirmation de grands noms pour travailler dessus. J’ai quand même été mis en contact avec Brian Herbert, le fils de Frank, qui a pris la relève de son père sur l’univers de Dune. Puis, on était quand même les seuls à avoir des images du nouveau film et une interview exclusive de Denis Villeneuve. Cependant, tout cela ne suffit pas pour avancer et investir dans ce genre de projet éditorial unique. Il faut pouvoir lever de l’argent autrement. Sur la partie du film, la Warner a été particulièrement à l’écoute. J’espère pouvoir travailler à nouveau avec eux à l’avenir, peut-être sur d’autres mooks. Ils ont été de supers partenaires, toujours très respectueux.
O. : Vous avez discuté d’une possible traduction outre-Atlantique ?
L. : Il y a eu des conversations pour la traduction, oui. Rien de tout à fait concret encore, mais on a été sollicité. Ce qui est intéressant, c’est que certains fans britanniques, des collectionneurs notamment, m’ont contacté et ont commencé leur propre travail de traduction. Pour les États-Unis et les pays anglo-saxons, il peut également y avoir un souci au niveau du copyright, puisqu’il faudra acheter les droits à Legendary Pictures (société de production du film, ndlr) et à l’estate de Frank Herbert. Ici, L’Atalante et Leha (les éditeurs français des deux ouvrages, ndlr) sont extrêmement heureux, on a eu une collaboration très fructueuse.
O. : As-tu des idées de prochains ouvrages, comme tu l’évoques ?
L. : Pour la suite, à nous de voir si les attentes de chacun convergent bien : on propose un syncrétisme entre de la presse et du beau livre, il faudra discuter de la vision à suivre. Pour ma part, j’aimerais peut-être travailler sur un mook de Blade Runner, ou bien sur l’œuvre d’Asimov, aussi.
O. : Tu parlais des fans, des collectionneurs. Vous allez organiser un Tour de Dune, une tournée française pour aller à leur rencontre en profitant des projections du film. Tu peux nous en parler ?
L. : On a pour l’instant une vingtaine de dates, dans une quinzaine de villes. L’idée, c’est de pouvoir organiser des séances de dédicaces du livre et de faire des interventions dans les cinémas pour les projections. On sera dans les librairies, les médiathèques – les cinémas, donc. Je compte vraiment accompagner le film jusqu’au bout. C’est tout ce qu’on n’a pas pu faire l’année dernière avec la pandémie. Depuis le début, il y avait une envie d’organiser une tournée, et de célébrer les sorties simultanées du mook et du film. Quand celui-ci a été déplacé, en novembre 2020, pour un mois puis rapidement sans nouvelle fenêtre de sortie proche, ça nous a mis un gros coup au moral, quand même. On ne s’attendait pas à ce qu’il reste un tel engouement autour de Dune, et que les préventes du mook explosent. Merci à tous les contributeurs de la campagne !
O. : Ton envie d’échanger ne s’arrête pas là, puisqu’il y a également le Festival Dune, organisé à Paris aux 7 Batignolles.
L. : Deux jours au cinéma des 7 Batignolles, oui, avec une petite dizaine de conférences organisées, et une projection spéciale du film de Denis Villeneuve, bien sûr. Je rebondis d’ailleurs sur la polémique Warner / HBO Max, il faut évidemment voir Dune sur grand écran. Rien que pour le travail sur le son, par Hans Zimmer, tu es tout de suite immergé, c’est formidable. Voir un tel film sur une plateforme, ça n’aurait vraiment aucun intérêt. J’ai compris la frustration de Villeneuve au moment de l’annonce, et la levée de boucliers qui a suivi. Si on ne va pas voir Dune au cinéma, pourquoi aller au cinéma ?
O. : Quel est l’après Dune pour toi ? Quelles sont tes prochaines attentes SF ?
L. : Fondation, c’est certain. J’espère de tout cœur que ce ne sera pas un gros plantage, j’ai beaucoup d’appréhension. J’ai beaucoup aimé la série d’Apple, For All Mankind (la saison 3 est prévue sur la plateforme de streaming, ndlr). Apple fait des séries SF de qualité, donc je cristallise surtout beaucoup d’attente sur Fondation, je l’admets. Sinon, Matrix 4 : j’adore Matrix, je ne critiquerai jamais les 2 et 3. Reloaded et Revolutions, ce sont des blockbusters philosophiques qu’on ne fera plus, j’en suis persuadé. Pour le 4, j’ai vu le teaser, j’ai un peu peur, mais de toute façon, je reste fan, donc j’irai le voir. Je défendrai le film quoi qu’il arrive, c’est certain !