« Fin de siècle », chassé-croisé sentimental dans les rues de Barcelone
Ses origines ardennaises lui font aimer la bière belge autant…
Dans le premier long-métrage de Lucio Castro, c’est plus qu’une simple romance gay qui s’étale sur plusieurs décennies. Le réalisateur argentin, animé d’un esthétisme épuré, fait le pari d’une narration atypique où l’espace-temps est distordu. Mais ce parti pris narratif séduisant ne masque pas une mise en scène un peu trop convenue.
À l’heure où les scénarios les plus apocalyptiques sur la fin de notre civilisation affolent, Fin de siècle pourrait entrer en résonance. Mais il ne faut pas se fier au titre du premier long-métrage de l’Argentin Lucio Castro. Le jeune réalisateur de Buenos Aires parle ici de la beauté des rencontres, de leur fragilité, ancrée dans une réalité émotionnelle forte et empruntant un schéma narratif aussi singulier que revigorant.
Une histoire d’amour qui s’étale sur deux décennies
Ocho est un Argentin de New-York en voyage à Barcelone. Javi est un Espagnol vivant à Berlin, de passage à Barcelone pour rendre visite à sa famille. Leur rencontre semble aussi fortuite qu’éphémère. Ils s’interpellent, couchent ensemble. L’attirance est instantanée. Ils se connaissent pourtant déjà. Leur première nuit remonte à une soirée torride d’avant les années 2000, puis « chacun pour soi est reparti, dans l’tourbillon de la vie », comme le chantait Jeanne Moreau. Aujourd’hui, Ocho a oublié le visage de Javi. Javi lui, a quitté sa femme et s’est marié avec un Allemand. Lorsqu’il retrouve Ocho 20 ans plus tard, il semble à peine y croire.
Derrière l’apparence d’une banale romance gay, Lucio Castro embarque et chamboule en fait le spectateur dans un dédale spatio-temporel qui s’étend sur au moins deux décennies. Le flash-back n’est pas – à proprement parler – mis en scène : une lumière particulière, un décor rétro de l’appartement, ou encore une physionomie rajeunie des deux acteurs principaux. Les quelques indices de remontée dans le temps seraient l’appareil photo argentique et l’utilisation d’un plan de ville quand Ocho arpente les ruelles barcelonaises. Ce parti pris de jouer avec une narration aussi atypique est rafraîchissant. Loin de vouloir prendre le spectateur par la main, le réalisateur souhaite comme le dérouter, lui faire prendre conscience qu’il est ici surtout question de souvenirs. « Quand je me rappelle le passé, je ne le vois pas différemment. La mémoire est subjective, donc je voulais tout garder au même niveau », souligne Lucio Castro.
Un film à l’atmosphère sensorielle léchée…
La déroute semble être dans les cordes du jeune réalisateur car l’ouverture du film étonne. Pendant le premier quart d’heure, tu n’y entendras pas un mot. Juste des sons environnants, des bruissements d’arbre, des échos de discussions, des pépiements d’oiseaux. Ocho déambule dans les rues de Barcelone, seul, armé de son portable à l’affût de clichés à prendre. Si Fin de siècle était un bouquin, son début serait un haïku, du nom de ces poèmes japonais très courts qui utilisent le langage sensoriel. Au cinéma, Lucio Castro revendique une inspiration auprès du réalisateur coréen Hong Sang-soo. Place donc à une atmosphère où le temps semble suspendu, voire étiré. Notre sensibilité est aiguisée, nos sens, exacerbés. Mais, à filmer le temps qui s’étiole aussi longtemps, Lucio Castro n’en fait-il pas un peu trop ?
À l’image de Tom Ford, Lucio Castro était, avant de se lancer dans le cinéma, créateur de vêtements pour hommes. Dans Fin de siècle, les vêtements sont pourtant très simples : jean, baskets et t-shirts. Mais la couleur de ces derniers fait partie de ces infimes indices qui permettent de dissocier le passé du présent. Toutefois, il semblerait que la mode ne doive pas prendre le pas sur la narration que Lucio Castro avait très à cœur de développer. Derrière la caméra, c’est le réalisateur qui se cache et non l’homme de la mode. L’histoire, les émotions, les dialogues (très développés, une fois le premier quart d’heure de silence passé) sont donc au centre des préoccupations du réalisateur, comme une obsession. Il est savoureux de miser sur une narration atypique bien ficelée mais là encore l’ennui n’est jamais très loin.
…malgré une réalisation en manque d’audace
Peut-être est-ce dû à une mise en scène un peu trop formelle. La succession des plans fixes de Barcelone, malgré la magie de la ville, ne séduit pas à 100%. Il n’y a que deux moments où le réalisateur ose la caméra à l’épaule, deux moments où Ocho et Javi cherchent à se connecter et se reconnecter l’un à l’autre. C’est un choix compréhensible mais ce dynamisme entrevu durant ces courts instants se révèle frustrant. On aimerait voir plus de fougue dans cette mise en scène convenue, que la caméra se lâche comme les deux jeunes hommes semblent se lâcher quand ils sont ensemble. En dépit donc de plans léchés, qui rappellent des publicités très stylisées et épurées, on aurait aimé voir plus d’audace chez ce réalisateur prometteur qui ne tombe pas pour autant dans l’écueil du cinéma de genre mais souhaite toucher un plus large public par sa sensibilité artistique.