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Rencontre avec Philippe Katerine, Léa Drucker et Axelle Ropert pour « Petite Solange »

Rencontre avec Philippe Katerine, Léa Drucker et Axelle Ropert pour « Petite Solange »

Thierry Champy

Six ans séparent La Prunelle de mes yeux, comédie musicale en hommage à Jacques Demy, du drame sur fond de séparation Petite Solange. Cette émancipation cinématographique pour la réalisatrice française, Axelle Ropert, a été récompensée du prestigieux Prix Jean Vigo.

Thierry : Bonjour à toute l’équipe. Merci de nous avoir accordé cet entretien pour Arty. Nous avons appris la disparition d’une figure du cinéma français. Il s’agit de Gaspard Ulliel. Le connaissiez-vous à titre personnel ? Que pouvez-vous me dire en quelques mots ?

Axelle Ropert : Je ne le connaissais pas personnellement mais oui, c’est très glaçant, c’est très choquant. D’autant plus que l’histoire du cinéma est semée comme ça de morts violentes d’acteurs jeunes.

 

Léa Drucker : Je n’arrive pas à trouver de sens à tout cela. C’est tellement tragique et brutal que je n’arrive pas à trouver d’interprétation. C’est extrêmement triste, c’était quelqu’un de très sympathique, talentueux et brillant. Il a fait des choses qui nous ont déjà marqué, je pense au film Saint Laurent.

T. (à Léa) : Vous avez une carrière prolifique tant au cinéma qu’au théâtre. En 2019, il y a la consécration de la meilleure actrice dans Jusqu’à la garde lors des César. La même année, vous êtes à l’affiche de cinq films différents. En 2021, dans sept. Comment expliquer ce stakhanovisme ?

LD. : Alors, il se trouve qu’il y a eu le confinement entre temps. Il y a eu un espace vide. Les films censés sortir en 2021 sortent un an après au vu du confinement. Je n’ai pas joué dans sept films la même année, mais il est vrai que j’ai beaucoup tourné entre 2019 et 2020 parce qu’on a pu continuer à travailler à un moment donné. J’ai eu cette chance d’avoir des projets qui m’intéressaient beaucoup et j’ai répondu « oui » sans me rendre compte que tout allait forcément s’enchaîner.

 

Tout va effectivement peut-être sortir au même moment. Il y a surtout un embouteillage et le fait qu’il faut résorber en peu de temps. Huit mois de fermetures de salles, c’est très dramatique pour le cinéma. Petite parenthèse : je suis très en colère sur la manière dont le cinéma a été traité pendant cette crise dans le monde entier. Ne parlons pas des fermetures de salles de cinéma, on joue avec le feu. Peut-être que dans certains pays, le cinéma ne s’en remettra pas. Aux États-Unis, on sait qu’il y a une dizaine de salles qui ne rouvriront pas. C’est dramatique.

Après La Prunelle de mes yeux, Axelle Ropert signe un 4ème long métrage racontant un divorce à hauteur d’une jeune ado, avec Philippe Katerine, Léa Drucker et la jeune Jade Springer.
T. (à Léa) : À l’image de Léa Seydoux, Eva Green, Jean Dujardin, Omar Sy… Avez-vous eu envie de jouer outre-Atlantique ? Pensez-vous pouvoir incarner un jour l’image du cinéma français à l’étranger comme vous rayonnez à l’écran ?

LD. : Je ne l’envisage pas du tout, bien que j’ai eu deux expériences à l’international. J’ai fait un film indépendant américain, au Nouveau-Mexique, où je me suis amusée. Et j’ai joué dans la série La Guerre des mondes. C’était un hasard. Son réalisateur Gilles Coulier m’a proposé de jouer dedans et j’ai adoré partager l’affiche avec des acteurs anglais comme Gabriel Byrne… C’était une expérience assez étonnante dans une série de genre, chose que je n’avais jamais faite.

 

Honnêtement, je ne me suis jamais dit que je ferais une carrière à l’international. Même si j’aimerais travailler avec Almodóvar… Je ne me vois pas partir à Los Angeles pour passer des castings à mon âge. Si on me propose, je serais très contente. Je trouve que réussir à construire une carrière ici, c’est déjà très difficile. Pour réussir une carrière là-bas, il faut être soit plus jeune, soit que l’on vous propose des choses.

 

A.R. : Je trouve que Léa a un physique qui pourrait s’incarner dans le cinéma américain, tandis qu’il n’irait pas à Depardieu, par exemple, bien qu’il soit génial. Il y a quelque chose qui détonne. En fait, ce n’est pas très sain pour les acteurs français de s’intégrer dans le cinéma américain. Je ne parle pas pour des raisons économiques, mais plutôt dans une notion de crédibilité. Quand je vois un acteur français dans un film américain, je le trouve ridicule. Tout est question d’affinité artistique et de physique, qui font que c’est moins convaincant. Il y a une ADN ou une question d’accent qui ne va pas.

 

Il y a un type de jeu que j’aime dans le cinéma français à la différence du jeu américain, et il y a un type de physique français notamment chez les hommes qui n’est pas tout à fait le physique américain. Par exemple, Depardieu ou Jean-Pierre Léaud, c’est inimaginable aux États-Unis. Alors qu’en France, c’est extraordinaire. On peut cultiver nos différences et nos autonomies, ce n’est pas bien grave de ne pas faire carrière aux USA quand on est un grand acteur français. Il y a une chose très particulière dans ce charme. (…) J’adore Matt Damon, l’un des plus grands acteurs américains à l’heure actuelle, mais je n’ai aucunement envie de le voir dans un film français, ou bien le voir baragouiner dans la langue. Cela n’aurait pas de sens. Il est inscrit dans une grammaire américaine.

T. (à Philippe Katerine) : Vous passez de la comédie populaire (Le Lion aux côtés de Dany Boon) au film dramatique d’auteur. Dans Petite Solange, vous jouez le rôle d’un père de famille vendeur dans une boutique d’instruments de musique. Vous incarnez une certaine sensibilité, on entre dans l’intimité du personnage dans le film. Comment en êtes-vous arrivé à ce rôle ? Est-ce un challenge pour vous ?

Philippe Katerine : Un challenge ? Bien sûr, évidemment (rires). Non, à vrai dire, je ne me pose pas la question si je vais y arriver ou pas. Je vois en fonction du script.

 

A.R. : En plus, je pense que ce n’était pas un challenge dans la mesure où le rôle était tout à fait pour Philippe Katerine. C’est un rôle de père qui est très aimant, et Philippe a cette capacité à jouer des hommes aimants à l’écran. Puis, je crois que dans ce je peux faire, il y a une forme d’affinité avec la sensibilité de Philippe. Ce n’est pas comme balancer un acteur dans un univers qui n’a aucun rapport avec lui.

T. : Avez-vous pensé directement à Philippe Katerine en écrivant le scénario ?

A.R. : Oui, il y avait une affinité. Je réponds un peu à la place de Philippe, mais cela n’a pas été une forme de challenge ni pour lui, ni pour moi.

T. : Musicien, acteur, plasticien-peintre. Vous êtes un artiste à non pas double, mais triple casquette. Vos tendances dadaïstes, surréalistes, fantaisistes nous charment indubitablement et à l’unanime. Vos différents travaux font l’éloge de l’absurde dans un sens, entre Dalí, Jeff Koons et Takeshi Kitano (cinéaste, écrivain, peintre et animateur).
Votre exposition Mignonisme sera bientôt accessible au Bon Marché dont le vernissage aura lieu le 28 février. Vous déclarez sur Europe 1 que « le mignonisme, c’est faire des choses cruelles sur des choses mignonnes. » Vous trouvez également les œuvres de Jeff Koons mignonnes. Chacun voit midi à sa porte. Peut-on faire le rapprochement avec le terme « kawaï » en japonais qui veut dire mignon ? Quelle est la définition que vous proposez du « mignonisme » ?

P.K. : C’est plutôt le contraire de ce que vous aviez dit : il est question de sujets lourds ou cruels, pour dire la mort par exemple, traités différemment. C’est toujours subjectif bien entendu. Ils sont mignons. C’est l’idée de départ. Concernant Jeff Koons… L’art contemporain est devenu mignon.

T. : Il est devenu culturel…

P.K. : Oui. Quant au mignonisme, c’est différent. Il s’agit d’un néologisme dont je suis l’auteur (rires). Ce sont des choses mignonnes sur des sujets lourds, mais des choses mignonnes à portée de main. Il s’apparente aussi à l’art brut.

T. : Concernant votre dernier album, qui est un mélange de poésie de Boris Vian, de notes envoûtantes et délicates façon Ryūichi Sakamoto, et de charme bohème à la française… Votre prochaine vocation sera t-elle compositeur de musique de film ? Pour des films d’animation, chez Ghibli par exemple ?

P.K. : J’ai tâtonné la musique de film avec beaucoup de déplaisir. Parce que c’est très contraignant, par une durée, une forme… La musique ne devrait pas l’être. On est tout le temps commandité.

 

Axelle s’adressant à Philippe : Je trouve que c’est une bonne idée que tu fasses de la musique d’un film d’animation japonais. Je trouve que c’est pertinent artistiquement ! Je ne trouverais pas ça aberrant.

 

Léa s’adressant à Philippe : À la rigueur, tu la composes avant de la placer dans le film.

 

P.K. : Je vous fais confiance.

 

(rires)

Axelle Ropert cherchait un naturel tout autant qu’une capacité de jeu pour la jeune actrice qui incarne Solange. Son choix s’est porté sur Jade Springer.
T. (à Jade Springer) : À l’affiche aux côtes de deux grandes figures du cinéma français, peux-tu expliquer comment en es-tu arrivée au cinéma ? Peux-tu parler de tes vocations et du casting ?

Jade Springer : J’ai fait du théâtre pendant sept ans. Un jour, ma mère m’a suggéré de faire de la figuration dans les films. J’avais la possibilité de le faire près de chez moi. Je l’ai alors fait. De fil en aiguille, j’en suis arrivée à Petite Solange.

T. (à Axelle) : Comment s’est passé le casting ?

A.R. : Je tiens tout d’abord à remercier une personne en particulier qui est la directrice de casting, Joanna Grudzińska. Je l’ai choisie à titre personnel, car elle est loin d’être une directrice de casting typique qui ne fait venir que des comédiens répertoriés. Elle a un œil pour le « casting sauvage », c’est-à-dire repérer les gens dans la rue. Je trouve que c’était une bonne idée de confier cette recherche à une directrice qui était très ouverte à ce que le réel pouvait nous apporter.

 

J’avais cependant des consignes très précises dont une qui était compliquée : il fallait trouver une jeune fille de 14/15 ans qui soit déjà dans le jeu au sens artistique du terme, qui ne soit pas juste mignonne et fraîche comme le sont la plupart des filles de quatorze ans. Il fallait qu’elle ait quelque chose de différent qui soit déjà dans une capacité de jeu. Ces critères sont très difficiles à trouver. On a vu plein de jeunes filles merveilleuses mais qui étaient simplement naturelles. Des filles à la fois naturelles et ayant le sens de la caméra… C’est beaucoup plus laborieux. Jade est arrivée. Elle a franchi toutes les étapes avec ténacité, et curieusement, avec un grand calme très rassurant. On ne voulait pas d’une actrice cornaquée par ses parents, hyper stressée.

T. : C’était du pain béni pour vous.

A.R. : C’était un miracle, oui. Il n’y en a pas tellement dans la vie d’un réalisateur. Cela fait maintenant douze ans que je fais des films, les seuls miracles arrivent souvent par le biais des acteurs et actrices. Ce sont eux qui, tout d’un coup, vous font comprendre pourquoi on fait ce métier très difficile, pourquoi on perdure, pourquoi on souffre, pourquoi pendant deux années on est obsédé par un sujet, et tout d’un coup quand l’acteur fait irruption dans le grand calme, on comprend pourquoi on est là. Ce sont les acteurs et les actrices qui me font comprendre pourquoi je suis encore présente dans ce milieu si dur.

T. : Nous ne sommes plus dans la sphère de la comédie romantique (ndlr, La Prunelle des mes yeux) ou dramatique (ndlr, Tirez la langue, mademoiselle), mais place désormais au mélodrame sur fond de séparation. L’histoire est racontée par le prisme de Solange incarnée par la talentueuse Jade Springer. Tout réside dans le non-dit, tout n’est pas explicite, les plans sont parfois nébuleux. Tous ces plans de ce que Solange ne voit pas, que le public lui voit.
Vous vous appropriez cette grammaire cinématographique du drame et même des comédies italiennes. Par exemple, le travelling en avançant vers les comédiens, les zooms (dans la galerie et à la fin du film). C’est certes une technique désuète mais qui s’avère efficace. Puis, vous filmez le quotidien avec la délicatesse d’Ozu. Comment l’idée vous est-elle venue ?

A.R. : La question de la mise en scène est essentielle. Je fais des films pour avoir la grande émotion d’avoir des acteurs sur un plateau et de les regarder. La seconde raison, mais qui est secondaire je le souligne, c’est vraiment le plaisir de faire de la mise en scène. J’exclus l’idée d’avoir une caméra à l’épaule et de les suivre en souffrant… Je dessine la scène dans ma tête. Chaque scène a un dessin. Au XVIIIe, le mot dessin dans la peinture avait un double sens : à la fois le dessin qu’on fait avec un crayon et aussi l’intention. J’aime cette idée que le dessin soit à la fois le trait et qu’il y ait une intention. Je suis très sensible à l’écriture, au fait qu’il y ait une trajectoire et une grande écriture. Par exemple, j’ai adoré le dernier film de Paul Thomas Anderson, Licorice Pizza, où on peut trouver des séquences très longues qui ne sont pas pour autant démodées. J’ai comme l’impression que cela se perd beaucoup aujourd’hui.

 

Pour répondre à votre question, il me fallait des acteurs un peu danseurs, pas au sens physique du terme, mais des gens qui aiment se glisser dans la mise en scène, qui ne prennent pas cela comme un ennemi. On peut avoir des acteurs qui ne supportent pas la mise en scène. On leur dit : « tu fais un peu de séquence, tu vas de là à là ». Ils peuvent le prendre comme une offense et comme une cage. Pour ma part, j’avais besoin d’hommes, de femmes et de jeunes filles qui prennent ça comme du jeu, comme un plaisir de se soumettre à un dessin dans la scène.

T. : Dans une interview du 5 septembre 2013 pour ELLE, rubrique « Une journée avec… », vous avouez un penchant pour Hitchcock.

A.R. : Je ne suis pas la seule (rires). Ce n’était pas très original comme déclaration.

T. : Vous citez notamment Rebecca et Les Amants du Capricorne. Dans les films d’Hitchcock, les personnages féminins sont toutes des femmes de caractère, imposantes. Je pense à Kim Novak dans Sueurs froides récemment diffusé sur ARTE, Tippi Hedren dans Les Oiseaux, Grace Kelly dans Fenêtre sur cour, La Main au collet et j’en passe…
Elles contribuent à créer à l’écran des héroïnes vigoureuses au même stade que les personnages masculins. Elles sont magnifiées, mises en exergue. On retrouve ce schéma dans vos quatre films (ndlr, Valérie Benguigui, Louise Bourgouin, Mélanie Bernier et maintenant Léa Drucker/Jade Springer). La place de la femme est manifestement importante. Comment justifiez-vous cette présence ?

A.R. : Pour moi, Petite Solange n’aurait pas pu être « Petit Pierrot ». C’était une jeune fille pour moi. S’il fallait que je choisisse entre les actrices et les acteurs, le choix est fait. Je pense que le cinéma passe d’abord par les actrices. Je suis fascinée par la beauté et le charme des actrices, alors que je recherche simplement un acteur. Je ne suis pas très sensible à la beauté masculine des acteurs. En revanche, la beauté des actrices au cinéma a un rapport très fort avec la beauté des femmes, et j’aime beaucoup filmer les femmes que je trouve belles au cinéma. Je ne pourrais pas faire un film entièrement masculin.

T. Je termine par la question signature chez Arty : quelle est votre définition d’un.e artiste ? Je commence par Axelle.

A.R. : J’ai envie de dire qu’il faut être artiste et ne pas être vaniteux. C’est un mot que je n’aime pas du tout. Je pense qu’il ne faut pas s’auto-déclarer artiste, c’est aux autres de le dire. J’ai un grand amour pour les artistes qui s’ignorent, qui ne se propulsent pas comme artiste. Voilà ce qui me touche le plus.

 

Philippe Katerine : Il y a l’artisanat, la technique au service de l’artiste c’est-à-dire celui qui veut exprimer quelque chose.

 

Léa Drucker : C’est quelqu’un pour qui tout est possible puisqu’il n’y a pas de limites avec l’imaginaire, qui peut créer, tout inventer.

 

Jade Springer : Je suis d’accord avec ce que dit Léa. C’est de mettre à exécution une idée en tête. De faire quelque chose coûte que coûte.

Petite Solange est actuellement en salles.

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