Bonnie Banane : « Sexy Planet est une photographie de ce que je suis maintenant »
Diggeur compulsif, Arthur a toujours de bonnes histoires musicales à…
La diva du R&B alternatif français, Bonnie Banane, sortait ce 13 novembre son tout premier album Sexy Planet. À cette occasion, nous avons rencontré l’artiste formée aux arts dramatiques pour parler de ses projets, de son quotidien et de ses inspirations.
Depuis son premier single Muscles sorti en 2012, Bonnie Banane ne cesse de perfectionner son talent d’interprétation. Multipliant les collaborations avec des producteurs renommés, l’artiste développe et affine projet après projet une patte artistique facilement reconnaissable. Fortifiant sa peine et engageant tout son être dans la réalisation de cet album, Bonnie Banane réussit à faire de Sexy Planet un projet véritablement original où chaque mot est justement pesé.
Arthur : Quelle est l’histoire de ton premier album Sexy Planet ?
Bonnie Banane : L’histoire de ce projet, c’est qu’il était temps de sortir un album. Concrètement, l’impulsion vient d’un deuil que j’ai vécu et dont je parle dans Flash. Cette impulsion m’a fait me dire : j’ai envie de faire des chansons qui donnent la foi, qui motivent, qui font sortir de la torpeur. Je ne voulais pas faire dans le darkness, on va s’en sortir. Ça s’est fait en deux temps : d’abord un truc qui fait du bien, qui libère de quelque chose qui est douloureux. Ensuite, on ne va pas transmettre sa douleur, on va transcender cette expérience.
A. : J’ai lu que tu travaillais sur l’album depuis 2017 ?
Le morceau Beguin, je l’ai fait en décembre 2017, l’album a pris le temps qu’il fallait. À un moment je me suis sentie prête, je ne voyais pas l’intérêt de faire un album avant. J’ai un amour pour le suspense. Le créer ne me dérange pas, limite ça m’arrange. Et ne pas répondre aux attentes des gens qui me pressent, ça me va tout aussi bien, je vis à mon rythme. Je fais les choses au moment qui est naturel pour moi, dans ma timeline, pas celle des autres. J’ai mis du temps à trouver le bon set-up.
A. : Comment est-ce que tu composes les paroles d’un morceau ?
BB. Une partie des chansons vient de mélodies entêtantes, ou d’un rythme entêtant qui ne me quitte pas et qui revient tout le temps. Pour moi c’est le signe qu’il faut que je la matérialise. Après en terme d’écriture, en général, ce que je vais dire dans une chanson va être lié à l’ambiance de l’instrumental, c’est une question de feeling. Pour une partie, c’est un feeling immédiat en premier jet où je me fais confiance, autrement c’est plus réfléchi et je me dis : « Attends attends, il y a des mots que je veux faire exister, il y a des rimes que je veux faire exister, il y a des punchlines que je veux faire exister ».
A. : Tu travailles beaucoup les morceaux ?
BB. : Ça dépend. Il y a des morceaux pour lesquels c’était hyper efficace et direct. Pour Limites, c’était la deuxième prise en freestyle, assez cash. Pour Flash, c’était la première prise de voix, je n’ai pas voulu le réécrire. Et Mauvaise Foi c’est aussi allé très vite.
Deuil a mis plus de temps. C’était plus compliqué parce qu’en termes de structure, en termes d’équilibre, ce n’était pas facile. Il y a beaucoup de choses que j’ai enlevées. Je n’aime pas les chansons qui sont trop bavardes, ça me saoule, je sens qu’il y a trop de mots. Je trouve qu’on entend trop de mots et trop d’informations aujourd’hui. Du coup j’essaie d’être la plus concise, « less is more ». Si je sens que ce mot va me déranger sur la longueur, je l’enlève. Ou alors, cette formulation que j’ai en tête depuis des années, c’est là sa place. C’est une question de trouver la place des choses. C’est du rangement, Marie Kondō est mon idole.
A. : Comment ça s’est passé avec l’ensemble des producteurs qui ont travaillé sur cet album ?
BB. : Que de la testostérone. Avec Para One c’était plus cérébral, c’est comme ça qu’il est, très sensible et très cérébral. J’ai commencé avec lui et c’était une super rencontre. Avec Ponko et Prinzly, c’était hyper easy, ça a matché tout de suite en terme de mood alors que je ne les connaissais pas. Je les ai instantanément appréciés, ils ont une méthode à eux qui est hyper efficace. Après ça faisait sens que j’allais bosser avec Loubenski et Monomite, ce sont des amis de longue date.
Et Varnish La Piscine c’était une grande rencontre en 2018, on a fait Le Regard Qui Tue ensemble. J’ai rencontré selon moi, non seulement un ami, mais un génie. J’ai vraiment eu de la chance. C’était incroyable de pouvoir rencontrer ce mec. Son ingénieur du son et collaborateur monsieur Théo Lacroix, le co-créateur du label Colors Records, a été mon acolyte de fin de process. On a fait deux sons ensemble et il a arrangé et mixé l’album. Il a été une personne que j’admire énormément et en qui j’ai placé toute ma confiance. C’est marrant parce qu’avec Para One on a refait le monde, et avec monsieur Lacroix aussi. Au début et à la fin, il y a un truc qui s’est passé. Entre les deux, on a juste trippé.
A. : C’est quoi l’histoire du morceau Flash ?
BB. : Flash, c’est ma notification pour ne pas être trash. La réalité de cette chanson vient d’un trauma, une image réelle qui est un trauma. Flash, c’est la tentative de sublimer cette expérience, c’est un embellissement de quelque chose de trash. Il y a zéro intellectualisation derrière cette chanson, ce n’est que du sensible, que de l’affect. C’est pour ça que c’est très dur de la chanter. À un moment donné, j’ai choisi un mot sur lequel j’hésitais. Si j’avais choisi l’autre, ça n’aurait pas été la même chanson, ça aurait été trop trash, trop littéral. Le fait que ce soit suggéré, que ça reste vague, ça permet au morceau d’exister. La pudeur dans Flash est importante, c’était la volonté de trouver de la beauté dans quelque chose de mortifère.
A. : Le clip de Flash rend hommage à Tais-toi petite folle de Tiny Young. Comment est-ce que tu as connu ce morceau ?
BB. : Sur YouTube, je ne sais plus comment je suis tombée dessus. C’était avant qu’il y ait les mauvais algorithmes. J’ai eu la faiblesse de regarder des mauvais trucs, maintenant je déteste ce qu’on me propose. YouTube a forgé ma culture de musique française, le yéyé, des trucs un peu nichés. Je crois que je regardais quelque chose sur Salvador puis je suis tombée sur Tiny Young. Le morceau Tais-toi Petite Folle, je le trouve hyper cruel. La cruauté c’est quelque chose que j’aime bien utiliser parfois dans les paroles. Là dans ce morceau, tu te rends comptes que c’était déjà utilisé à l’époque.
A. : Quels sont les artistes qui t’inspirent aujourd’hui en termes de créativité ?
BB. : J’aime beaucoup Philippe Katerine. Le fait qu’il existe, je trouve ça super important pour la culture française. L’humoriste américain Dave Chappelle, je ne sais pas s’il m’inspire mais c’est quelqu’un que j’aime énormément. Les gens qui sont produits en indépendant m’inspirent. Mon pote Flavien Berger a sa patte, c’est l’alliance de sa voix et des machines qu’il utilise. C’est ça que j’aime chez les artistes, c’est quand ils ont leur patte. Koba LaD j’aime bien, tu reconnais sa voix, Makala, Sabrina Bellaouel, pareil. Quinzequinze je suis fan d’eux. Crystallmess, une productrice et DJ, j’aime beaucoup son évolution. Varnish La Piscine, il est incroyable, c’est une chance qu’il existe.
C’est mon avis, mais je trouve toujours étrange que des morceaux avec un nombre de vues astronomiques et qui sont assez mainstreams sonnent super mal. Les rythmes, les mélodies, les paroles sont fake… Whatever. Exister dans le paysage français, ça ne m’a pas donné envie instantanément. J’ai sorti Sexy Planet au moment où les gens étaient réticents à sortir des trucs, du coup je préfère. Il y a un poème de Charles Bukowski qui est mon poème préféré. Il résume tout dedans, ça s’appelle Style.
A. : J’ai vu que tu avais été formée aux arts dramatiques, est ce que tu as des projets au-delà de Bonnie Banane ?
BB. : Quand ça arrive, ça arrive, mais c’est secondaire dans le temps que ça me prend. Mon projet principal c’est le projet Bonnie Banane, le reste c’est ma formation au Conservatoire. Il y a différentes façon d’arriver à quelque chose, moi c’est par l’apprentissage de l’interprétation. Ce qui m’intéresse le plus dans le projet musical Bonnie Banane, c’est comment je vais interpréter les choses en studio, puis dans mes clips et enfin sur scène.
A. : Est-ce que tu peux me parler de l’équipe qui t’a aidée à construire ce projet ?
BB. : Je suis managée par deux pôles. D’une part, Elodie Haddad, qui est une indépendante et la manageuse de Flavien Berger. D’autre part, le management chez Grand Musique Management. Eux, ils m’ont grave aidée à m’organiser techniquement, à m’entourer, à mettre des échéances. Musicalement, la personne clé c’est Théo Lacroix. C’est avec lui qu’on a défini l’intention des arrangements et du mix. L’album est une photographie de ce que je suis maintenant. Il m’a conforté dans l’idée de ne pas être perfectionniste. Ça empêche d’être généreux. J’aime les projets qui sont un petit peu imparfaits, je trouve ca toujours important de partager ses erreurs.
A. : À quoi ressemblent tes journées en ce moment ?
BB. : Avec le confinement ? C’est une vie très normale, je suis avec mon copain, j’essaie de faire la cuisine mais je suis très mauvaise…
A. : Et d’un point de vue musical ?
BB. : En ce moment je suis en train de downloader des informations parce que j’ai vraiment envie de sortir de nouveaux sons en 2021. Ce sont des featurings et on essaie de voir comment les faire. Mon prochain projet sera plus rustique : moins de pistes, et je pense moins produit par des hommes aussi, on va voir. J’ai envie de changer drastiquement de méthode pour les prochains projets un peu consistants que je ferai.
A. : Quelle a été pour toi l’une des meilleures surprises durant la conception de cet album ?
BB. : Il y a deux choses. Avec Théo Lacroix, on était à quelques semaines du rendu avant mix, période arrangements. Il m’a laissé seule en studio un jour et j’ai trouvé la mélodie de Papillons. Je lui ai fait écouter le lendemain, il a mis un beat dessus et c’était ce que je voulais. Ça n’était pas prévu que ça soit cette chanson, c’est allé très vite et c’est un bonus. C’était une super surprise.
Après ça, ma grosse angoisse de tout cet album a été qu’à partir du moment où j’ai trouvé le nom de l’album Sexy Planet, il devait y avoir une chanson qui s’appellerait Sexy Planet dedans. Mais je ne savais pas comment la faire. Pendant deux ans, on a testé avec plein de producteurs mais ça ne marchait pas. À la dernière limite on n’avait pas la chanson, du coup je ne pouvais pas appeler mon album Sexy Planet. Et là pareil, Théo Lacroix a dû partir, il m’a laissée toute seule dans le studio. Je te parle d’un miracle, c’était la plus grosse surprise.
A. : Dernière question, c’est notre signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
BB. : Au début, dans le clip de Flash, place du Trocadéro, il y a une phrase de Paul Valérie : « Tout Homme crée sans le savoir comme il respire. Mais l’artiste se sent créer. Son acte engage tout son être. Sa peine bien-aimée le fortifie ». C’est parfait. J’adore le Palais Idéal du Facteur Cheval, c’est l’une de mes œuvres d’art préférées. C’était un artiste qui était postier.