Avec CHOC, Dana Ziyasheva nous emmène dans un monde sans limites
Son avidité pour l’écriture et son gros penchant pour la…
Premier ouvrage de l’auteure franco-kazakhe Dana Ziyasheva, CHOC, publié le 6 avril 2023, est un roman-réalité entre témoignage et roman d’espionnage. L’auteure renouvelle toutefois le genre en nous ouvrant les portes habituellement closes du mercenariat et du cannibalisme de guerre. L’ensemble est cru, sans détour et dans ce bain d’horreur, nous sommes pris entre un voyeurisme fascinant et une sensation de malaise. Un ouvrage qui porte résolument bien son nom.
Dana Ziyasheva est une habituée de l’enquête. Journaliste, réalisatrice, ex-diplomate des Nations Unies puis écrivaine, elle a enquêté sur le terrain pendant 7 ans pour bâtir le récit de son roman. Fruit de son expérience, des témoignages recueillis et de sa connaissance de ce jeune mercenaire français dont elle retrace la vie, de ses états d’âme à la dérive aux conflits qui ont marqué la planète dans les années 1990, le roman rapporte des faits qui se sont véritablement déroulés.
De la station de métro « Les Halles » à Paris au Cap de Bonne-Espérance en passant par la Birmanie, l’auteure nous emporte avec elle à travers François Lefebvre, qui n’est pas sans rappeler un personnage central de la série Canal, le Bureau des Légendes, incarné à l’écran par Mathieu Kassovitz : Paul Lefèvre. Quelques lettres changent mais c’est une même histoire de services secrets, d’espionnage et de DGSE avec au bout une frontière poreuse que François franchira pour basculer vers le mercenariat que nous livre l’auteure.
C’est au travers des pages que nous apprenons à connaître François, sa personnalité, ses idées, ses engagements (notamment pour le Front National lepéniste) et en même temps, le contexte géopolitique de ces années-là avec ces situations les plus complexes, ces luttes de pouvoir, ces guerres ethniques et ces complots d’Etats. Dana Ziyasheva nous prouve d’ailleurs ici qu’elle a une excellente connaissance de la géopolitique, des relations internationales, mais également du contexte français de cette époque. Elle y dépeint notre société avec brio, terrain principal de son roman, dont ressort cette incroyable enquête.
Une immersion dans le 11ème Choc
« Qui ose gagne ». Telle était la devise du 11ème Choc, cette unité spéciale de la DGSE, également connue sous le nom de 11ème Régiment Parachutiste de Choc (11ème RPC), créée en 1946. Spécialisée dans les opérations spéciales et les missions de renseignement sur le terrain, son rôle principal était en fait de mener des opérations clandestines, d’infiltration, de reconnaissance et de renseignement dans des environnements hostiles. Ses membres, dont François fait partie, deviennent des soldats d’élite au bout d’un entraînement physique et mental éprouvant.
Ce qui ressort ici, c’est d’ailleurs cette violence avec laquelle elle entraîne ses soldats, qui n’ont finalement plus de personnalité que celle de lui appartenir entièrement. L’unité d’élite ultra sélect’ se targuait également d’agir dans l’ombre avec un « niveau élevé d’agressivité » dont le but était de « régler des casses-têtes d’humains », mentionne Dana Ziyasheva. L’immersion, parfaitement retranscrite, est violente, brutale, sans pitié et l’on comprend peut-être mieux ce moment où ce personnage, que rien ne prédestinait au mercenariat, bascule.
François Lefebvre : un personnage complexe
Au premier abord, François Lefebvre a tout du gendre idéal. Il reçoit une éducation exemplaire, il est cultivé, féru d’histoire, lecteur assidu, latiniste aguerri mais il ne veut ni « être comme tout le monde », ni de cette carrière toute tracée bien tranquille et sans embûches. Lui, ce qu’il veut, c’est « servir son pays » et « un vrai engagement moral pour la France ». C’est contre l’avis de son paternel qu’il s’engagera corps et âme dans la DGSE et un certain 11ème Choc. L’objectif de François est alors clair : « ne pas se rater ».
Pourtant, sa vie s’arrête brutalement à 28 ans lorsqu’il se suicide d’un coup de couteau dans la gorge et d’une balle dans la tête. Le lecteur le sait puisque c’est ce qui est inscrit sur la quatrième de couverture. Il reste désormais à comprendre pourquoi et comment cet homme bascule. Le personnage est complexe, sa personnalité est mouvante, hors norme, sans étiquette et l’on a parfois du mal à comprendre les motivations du jeune homme. C’est cette dualité chez François qui tient en haleine. Et Dana Ziyasheva l’a bien compris.
Entre la DGSE et le mercenariat, il ne semble y avoir qu’un pas. C’est lors d’une permission et d’une fête trop arrosée que la vie du jeune militaire et sa carrière dans l’armée vont être remises en cause. Renvoyé à la vie civile, François va devenir mercenaire et vendre ses services aux quatre coins du monde, participant ainsi à des guerres comme à des coups d’Etats. Le anti-héros bascule. Si l’on avait déjà pu sentir chez lui un certain goût pour la violence, en marge de son éducation, il l’assume désormais fièrement et exhibe ses crimes de guerre comme des trophées. Sa personnalité sombre s’exalte. Il aime la guerre, se battre, le sang, le goût de la chair… Il ne retournera pas en arrière. Mis en examen pour « homicide et cannibalisme », la fin de l’homme marque finalement le début d’une réflexion sur les agissements de certains individus en temps de guerre.