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Rencontre avec John Hamon, le plus célèbre des inconnus

Rencontre avec John Hamon, le plus célèbre des inconnus

Marin Woisard

Tout le monde connaît le visage de John Hamon : lunettes sur le nez, cheveux ébouriffés et sourire en coin. Mais derrière cette œuvre aussi énigmatique qu’omniprésente dans les rues de Paris, se cache un artiste au message fort.

On rencontre John Hamon dans un café non loin de République. Il n’a plus ses lunettes mais à l’abri des regards son discours va droit au but. Comme si placarder sa photo pendant 18 ans avait accompagné une longue réflexion sur l’art contemporain. Il tient déjà à clarifier que John Hamon est bien son nom dans la vraie vie. Ensuite, il affirme ne se rattacher à aucun mouvement hormis celui de l’art promotionnel. Car en affichant son nom et sa tête rigolote à travers les rues, son œuvre existe par sa seule publicité. Bref, John met en abîme la condition de ceux qui vendent leur image pour vivre créativement. Bang bang le lifestyle.

« C’est la promotion qui fait l’artiste ou le degré zéro de l’art »

L’objectif : dénoncer les politiques culturelles auxquelles les artistes doivent se plier pour exister. John Hamon donne un coup de pied dans la fourmilière pour notre plus grand bonheur. En projetant son visage sur les façades du Palais de Tokyo et la Fondation Louis Vuitton, John s’est heurté aux hautes instances de l’art contemporain peu désireuses qu’on s’invite chez elles sans montrer patte blanche. Censure, intimidations, et menaces font partie de son lot quotidien. Comme si l’ouverture apparente de ces grandes maisons n’était qu’un faux-semblant qui volait en éclat à la première taquinerie. Entretien avec un artiste hors-normes.

John Hamon projette son oeuvre sur différentes façades comme le Palais de Tokyo, la Fondation Louis Vuitton ou la Tour de Pise.
Marin : Hello John. Ton portrait nous évoque les codes publicitaires par le sourire et la pose, quelle est son histoire ?

John : La photo a été conçue par un photographe professionnel en tant que portrait scolaire. J’étais en train de rigoler avec des potes, et il a réussi à capter une certaine pose par son sérieux. C’était une photo évidente pour moi, même si c’est quelque chose d’assez mystique et lointain maintenant. C’est un peu la réunion de ce que je fais : le sourire est entre celui de la Joconde et de Monsieur Propre. La conception n’a pas été pensée ainsi, je l’ai projetée ensuite dedans.

M. Un publicitaire avait revendiqué la paternité de ton oeuvre, alors même que t’en détournes les codes. Quel est ton état d’esprit face à la réappropriation ?

J.H. Sans parler de la personne à qui tu fais référence, une banque avait fait une grosse campagne de recrutement en utilisant cette image sans l’utiliser. Avec toute l’essence du projet : un mec qui porte des t-shirts sur des ballons et une montgolfière à son effigie. C’est la récupération publicitaire telle qu’on la connaît. Que veux-tu dire aux gens qui s’inspirent de ton travail ? Bien que ce soit parfois à la limite du plagiat, je fais mes projets sans trop m’en préoccuper.

La Tour Eiffel a eu le droit à son relooking.
M. La promotion a habituellement pour but de vendre un projet artistique, mais chez toi la promotion est un projet artistique en soi ?

J.H. La promotion a plusieurs niveaux. Un artiste se sert de son talent en premier lieu pour faire sa promotion. Mais la promotion au sens étymologique c’est aussi faire avancer, faire mouvoir, et en un sens ça touche toute personne ou toute chose. Les questions de l’art n’ont jamais été détachées de ces questions là : il y a certes la publicité et une dimension plus métaphysique.

M. À quel mouvement rattaches-tu ton oeuvre ?

J.H. C’est le mouvement de l’art promotionnel qui réunit tous les artistes, de toutes générations. À partir du moment où je considère que tous les artistes peuvent difficilement échapper à la promotion, tous les artistes font partie de ce mouvement.

L’Assemblée Nationale a un air de déjà vu.
M. Cette promotion est aujourd’hui aussi présente sur les réseaux sociaux que dans la rue. Pourquoi avoir choisi d’être présent sur de l’affichage plutôt qu’ailleurs ?

J.H. J’essaie d’avoir un impact dans le réel tout en me servant des réseaux sociaux. Je ne fais pas les choses pour les réseaux sociaux. C’est le piège où peuvent tomber les jeunes générations, en pensant que les réseaux sociaux sont une fin en soi. Aujourd’hui, une campagne d’affichage sauvage va avoir un impact pour créer une notoriété notamment pour une jeune marque. L’impact du réel a encore pour moi un sens. J’ai été aussi un des premiers à utiliser les modules de publicité sur Facebook. Ce qui m’a toujours intéressé sur les réseaux sociaux c’est que tu peux toucher beaucoup de monde à moindre coût. Facebook m’a d’ailleurs invité à une conférence pour en parler.

M. Avec tes affiches, tu laisses une empreinte physique dans nos rues. C’est un jeu de piste volontaire avec le passant ?

J.H. Il y a plein de sens qui viennent se greffer à l’action principale. C’est annexe tout en ayant un intérêt. Si t’y vois un sens c’est qu’il existe. Je marque un chemin, une empreinte, une trace, rien que par le fait de circuler pour les poser.

On élit John au Palais de Tokyo ?
M. Le plus intéressant dans ton projet, c’est que t’utilises les outils de la propagande en désamorçant leur finalité politique ?

J.H. Totalement. Il a plein d’exemples très parlants comme le sujet des migrants qui divisent beaucoup les gens. Je n’aime pas me servir de la misère pour faire ma promotion. Bansky est venu par exemple créer une œuvre sur les murs du Bataclan… Mais je n’ai pas besoin qu’il me dise ce qu’il s’est passé. Certains artistes pensent servir des sujets ou des causes. Les artistes ont peut-être un impact sur le monde, pour ma part je suis beaucoup plus humble. Quand je vois qu’il n’y a pas de talent et que ça relève de l’utilisation, ça me dérange. Et les propositions les plus radicales comme celles de Piotr Pavlenski [NDLR : condamné pour avoir incendié la Banque de France] sont pour moi un constat d’échec dès lors que tu finis sous les barreaux. C’est un jeu avec les limites de la société, entre ce qui est acceptable et ne l’est pas. Ma stratégie est de pouvoir rentrer à la maison.

John s’est invité à l’ouverture de la FIAC au Palais de Tokyo.
M. Où est-ce que tu te places dans ce jeu avec le milieu de l’art contemporain ?

J.H. Là où j’ai commencé à les taquiner, c’était avec les expositions pirates. Au Palais de Tokyo [NDLR : John a projeté son visage sur la façade pour l’ouverture de la FIAC], je les ai appelé pour leur dire que je m’étais auto-programmé. Ma question est de savoir qui fait l’art et pour moi c’est très simple : ce sont les artistes et pas les directeurs d’exposition. J’ai compris qu’il serait plus intéressant de m’inviter que d’être invité. Il y a tout un jeu de pouvoir avec l’intervention des vigiles qui se mettent devant le projecteur, l’équipe du Palais de Tokyo qui vient m’impressionner en montrant leurs cartes, ou quand l’ex-directeur descend me voir en personne. Tout se termine par de la censure et du plagiat : ils ont organisé une projection sur la façade pour l’exposition suivante.

M. T’as reproduit le procédé de projection sur la façade de la Fondation Louis Vuitton ?

J.H. C’était pendant l’événement européen de la Nuit des Musées et pas le vernissage d’une de leurs expositions. J’ai fait une projection sur la façade, les vigiles sont venus, se sont mis devant le projecteur et m’ont forcé à m’arrêter. Ils ont poussé la police à intervenir car la police ne serait pas venue d’elle-même : il n’y a pas de dégradation, le bâtiment est en partie financé par des fonds publics [NDLR : l’État a pris en charge 610 millions d’euros de travaux sur le coût total des 790 millions], pendant l’événement public de la Nuit des Musées. En général ça fait rire la police plus qu’autre chose. À la Fondation Louis Vuitton, ils m’ont défendu alors que la sécurité voulait relever mon identité. Il devrait y avoir une certaine forme d’ouverture. Le visuel n’est pas choquant, c’est le fait qu’un artiste existe par lui-même qui pose problème.

M. Ces opérations sont pensées à l’avance ?

J.H. Je les prévois de plus en plus : pour la Galerie Perrotin et le Palais de Tokyo c’est 6/7 mois d’organisation. Il y a tout un processus, une stratégie à organiser, des affiches à imprimer.

M. Au-delà de tous les obstacles rencontrés, l’objectif final est d’avoir à jamais 20 ans à travers le temps ?

J.H. L’histoire des artistes est l’histoire de la survie. Si tu peux survivre jeune c’est d’autant mieux. Ce qui est important justement dans le fait de ne pas vieillir, c’est de garder l’essence du début, une forme d’inconscience, un esprit de ces âges là. Ce repère temporel permet de garder l’intention de départ, qui est liée à cette représentation de moi-même, qui est une représentation de cette époque là. J’évolue, je vieillis, mais je garde ce rappel.

M. C’est une volonté de rester jeune en France et pas à l’étranger ?

J.H. Si je reste en France pour me confronter aux institutions culturelles françaises – et aux institutions plus classiques comme l’Assemblée Nationale, c’est que l’art est le sujet. J’aime rester ici parce que j’ai un chauvinisme culturel : comme pour la Renaissance en Italie, les artistes étrangers venaient voir ce qu’il s’y passait. J’essaie de jouer la carte inverse des artistes internationaux, parce que c’est aux autres de se déplacer là où ça se fait. J’ai encore des choses à faire ici. On ne peut pas échapper au fait qu’on vienne de quelque part. J’ai grandi, vécu et travaillé à Paris.

John Hamon ou la mise en abîme de la condition d’artiste.
M. Ton combat reste le cadenassage du monde de l’art contemporain en France?

J.H. J’étais au Grand Débat de la Culture qui avait lieu au 104 [NDLR : le 10 mars dernier] organisé par les Beaux-Arts Magazine. Ils ont fait un levé de main sur un sujet qui concernait les jeunes artistes et il n’y avait que des retraités dans la salle. Rien que la question des jeunes artistes, ils s’en fichent complètement. Ils sont coincés dans un vieux protocole de politique culturelle car beaucoup de gens mangent sur les fonds alloués à la culture. Ce sont des fonctionnaires de l’art, rien n’est fait par les artistes. L’artiste est le dernier rouage de cette organisation. Par mon œuvre, je veux rendre l’art aux artistes.

M. On a une dernière question incontournable chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’un artiste ?

J.H. J’aurais voulu être un artiste.

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