Limousine, le groupe pour tomber amoureux en vacances
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Plus luxueux que n’importe quelle voiture blanche à rallonge, plus racé que tous les labels rouges du Massif Central, Limousine a sorti le 22 mars un quatrième album jazzy affublé d’un nom à particule : chef d’œuvre. Écoute et interview.
Le coup de foudre remonte à l’été 2012. En plein cagnard, Tony Estanguet sucre à Londres sa troisième médaille d’or olympique, le robot Curiosity se pose avec succès sur la planète rouge, et Limousine nous tombe dessus avec son album II. Sorti sur Ekler’O’ShocK (Polo & Pan, Tshegue), leur single La Gaviota devient la bande-son de nos premiers amours de vacances, aussi douce que la glace pistache vanille partagée sur une plage de galets ronds. Ce genre d’histoire ne se raconte pas, elle s’écoute.
À chaque été son album
Les responsables de cet emballement estival portent les noms de David Aknin (batterie), Laurent Bardainne (saxophone, claviers), Maxime Delpierre (guitare) et Frédéric Soulard (claviers). La belle bande ne manque pas de se rappeler à notre mémoire avec un troisième album en 2014, Siam Roads, et un quatrième opus en mars dernier, L’été Suivant….
De rythmes lascifs en mélodies lumineuses, les faiseurs de serial lovers nous rappellent l’élégance d’Air et l’indolence des BO de Sofia Coppola. Avec Limousine, on ne sait jamais de quoi sera fait l’été, mais on sait qu’il sera chaud.
Marin : Bonjour Laurent et Maxime. Pouvez-vous me raconter dans quelles circonstances est né Limousine ?
Maxime : La formation de Limousine s’est faite grâce à notre label de l’époque (ndlr, Chief Inspector). On était déjà une petite bande de musiciens qui est restée la même aujourd’hui.
Laurent : Maxime, David et moi, on faisait beaucoup de musique improvisée, dure et urbaine. C’était une envie de faire des slows, et de jouer assis des musiques douces pour contrecarrer ce qu’on faisait par ailleurs.
M. : J’ai lu à plusieurs reprises que vous veniez tous les quatre du jazz, c’est une info ou une intox ?
M. : Fred, notre claviériste, vient à la base du classique en tant que violoncelliste et pianiste. C’était l’ingé son de notre second album et on cherchait un quatrième membre parce qu’on avait pas mal de claviers. Mais nous, pas du tout.
M. : Si vous ne venez pas du jazz, quelles sont vos influences ?
L. : Au début, on avait flashé sur les ambiances de Dead Man de Jim Jarmusch (1995) avec la guitare de Neil Young.
M. : C’est d’ailleurs la seule sortie instrumentale de Neil Young, la seule BO où il ne chante pas du tout. Je suis très fan des Pink Floyd et des Doors, le côté trippé et les montées psychédéliques viennent de là.
L. : Et puis les climats d’Angelo Badalamenti dans les films de David Lynch. Nos références sont très pop, pas intello du tout.
M. : Les journalistes nous demandent souvent dans les interviews si on écoute le post-rock de Godspeed You! Black Emperor ou Gong. Mais notre culture vient du rock en fait.
M. : Vous vous sentez proches d’autres groupes en ce moment ?
M. : On se sent proche de Mount Kimbie avec leur album Love What Survives (2017) et notamment le titre Delta. Tous les instrumentaux sont joués avec des voix invitées.
L. : James Holden aussi, complètement trippé avec des instrumentaux d’orgue et de sax’. Internationalement on s’y retrouve, c’est en France que la scène est plus restreinte.
M. : Quand l’album venait de sortir, je voulais faire un test chez le meilleur disquaire indépendant de Nantes. Je lui demande s’il connaît le groupe Limousine : « Un quatuor français au tempo lent, avec du sax’ mais c’est pas vraiment du jazz. » Il connaît, alors je lui demande dans quel bac il classerait le groupe. Sa réponse était finalement : « Je ne le placerais pas dans du progressif rock, mais dans le rayon hip-hop expérimental / instru.. C’est pas faux, parce que quelque part le hip-hop instrumental ça peut-être du jazz.
M. : Chacun appréhende votre musique différemment. Pour ma part, j’ai l’impression que vous partagez le tempo, l’attachement à l’instrumental et au visuel de la pop lo-fi et des instrumentaux hip-hop qui reviennent en force sur Youtube. Est-ce que vous avez conscience des résonnances contemporaines que peut créer Limousine ?
M. : On n’est pas hyper geek, tout ça nous échappe un peu. Notre label et notre entourage nous aident beaucoup. Et puis le fait qu’il y ait des ados qui trippent sur Limousine en concert, ça nous touche vachement. Peut-être que si on jouait seulement devant des anciens, le groupe n’existerait plus.
M. : Raconte-moi…
M. : On avait fait un concert à la Station un dimanche après-midi, il y avait plein de jeunes qui avaient dansé toute la nuit. On les a vu tripper dans un moment presque hippie, ça nous a motivé de voir que notre musique pouvait plaire à plein de générations. Un concert de Limousine, ce n’est pas la hype avec que des quadras qui écoutent LCD Soundsystem.
M. : Dans quel état d’esprit avez-vous abordé la composition de « L’été suivant… » ?
M. : La création s’est faite trois étés de suite sur la dernière semaine de juillet. C’était un moment où on était tranquille, ce n’est pas un groupe où on peut enregistrer à la speed entre 10H et 18H. On a besoin de rentrer dans l’espace-temps de Limousine. On arrive à la quarantaine, les enjeux ne sont plus les mêmes. Tout le monde s’en fout si Limousine va sortir un nouvel album, on n’est plus des jeunes premiers. À partir de ce moment là, il y a plus de lâcher-prise.
M. : La force d’évocation de votre univers repose aussi sur le visuel. La pochette de L’été suivant… est tirée de la BD Bonjour Tristesse de Frédéric Rébéna. Comment cette collaboration heureuse est-elle arrivée ?
M. : Frédéric Rébéna avait sorti une adaptation de Bonjour Tristesse que j’avais acheté en vacances. J’ai flashé dessus, et j’ai envoyé la référence aux copains avec une photo de la quatrième de couverture. Frédéric a accepté tout de suite. Il a adoré la musique, il trouvait que ça correspondait parfaitement.
L. : Quand on sort un disque, il y a une sorte de rush. Frédéric a fait plusieurs propositions qui nous ont poussé à nous bouger.
M. : L’idée des vignettes venait de lui, on avait davantage pensé à un clip à la base. C’est quelque chose qui se fait beaucoup dans le jazz contemporain, notamment new-yorkais.
M. : Avec cette collaboration, on ressent un profond sentiment de liberté et d’évasion. Est-ce que vous vous donnez des limites ?
M. : En live, la seule charte est de jouer assis. C’est pas évident de venir sur scène et s’asseoir pour jouer des morceaux minimalistes, contrairement à debout où on peut tout balancer en secouant la tête (rires). Et puis on essaie de faire gaffe au tempo que l’on va chercher. Quand on trouvait un morceau ensemble, j’entendais souvent Laurent rappeler : « Les gars, faut qu’on se remette au tempo de Limousine. »
L. : On se met beaucoup de barrières qui nous donnent de la liberté. C’est comme si Limousine était un être vivant qui nous imposait certains sons et attitudes. C’est assez flippant, comme si le projet vivait indépendamment de nous. Il n’y a pas un membre du groupe qui contrôle le projet.
M. : La dernière question est la signature chez Arty Magazine. Quelle est votre définition d’un artiste ?
L. : Quelqu’un qui voit les choses différemment et qui le montre.
M. : C’est totalement ça, quelqu’un qui fabrique sa vision.