Expulsion de Mains d’Œuvres : notre interview avec sa directrice Juliette Bompoint
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Photos par Jeanne Frank et Idriss Arin.
L’un des lieux historiques de la culture alternative a subi une fermeture musclée par les forces de l’ordre, ce mardi 8 octobre. Mains d’Œuvres organisait aujourd’hui une fête de soutien sur le parvis de la Mairie de Saint-Ouen où nous y avons rencontré sa directrice Juliette Bompoint.
Mardi dernier, c’est sous la pluie battante que l’association culturelle a été expulsée manu militari de son local historique. « Quand on a vu passer une vingtaine de camions de police, vers 8H30, on ne s’est pas doutés que c’était pour nous » explique Juliette Bompoint. Et à raison : le cordon de policiers faisait davantage penser à une opération anti-drogue que la fermeture d’un centre artistique. Très vite, des plaques de fer ont été posées et les serrures changées pour en condamner les accès. Le matériel des résidents resté à l’intérieur leur est toujours inaccessible. Dans la foulée, le cabinet du maire William Delannoy (UDI) de Saint-Ouen publiait un communiqué justifiant une occupation « sans droit ni titre par l’association depuis le 31 décembre 2017 » et arguant des impayés de loyer – argumentaire auquel Juliette Bompoint répond dans notre interview.
Le Ministre de la Culture Franck Riester a témoigné son soutien à la friche culturelle
C’était sans compter sur la mobilisation de nombreuses personnalités artistiques (Arnaud Rebotini, La Dynamiterie, Fils de Vénus et beaucoup d’autres), le relais massif des médias (Libération, Le Monde, Le Parisien, Télérama, Les Inrocks), et une pétition comptabilisant 35 000 signatures. Surtout, le Ministre de la Culture Franck Riester a apporté son soutien à la friche culturelle en demandant une médiation avec la Municipalité. Car au-delà de 20 ans d’histoire d’une diversité rare, il faut rappeler que Mains d’Œuvres compte 70 salariés (dont 25 temps plein) et héberge nombre d’activités pluridisciplinaires : des studios de musique, une pépinière de 250 artistes, 350 événements par an, et une forte intégration locale dans le tissu social. En réaction à leur expulsion, l’association nous a donné rendez-vous sur le parvis de la Mairie pour la plus grosse fête que Saint-Ouen ait connu… Alors que se tenait au même moment le Conseil Municipal, c’est de bonne guerre.
Marin : Hello Juliette. La mobilisation festive d’aujourd’hui est à l’image des nombreux soutiens reçus en très peu de temps. Quel est ton sentiment face à ça ?
Juliette Bompoint : Ce bel élan de solidarité est très touchant, on a tout de suite pu préserver les programmations qui avaient été faites et les cours de l’école de musique. Les habitants de la ville se sont organisés pour accueillir les cours chez eux ou dans des salles. C’est vrai que tout est allé très vite et très fort. Les gens se reconnaissent dans un geste d’initiative culturelle et citoyenne pour un lieu qui s’est justement battu pour ça.
M. : Cette fête ouverte à tous est la réponse directe à l’emmurement de Mains d’Œuvres ?
J.B. : On a toujours défendu en tant qu’artistes l’effacement de la barrière du périphérique et des initiatives citoyennes. C’est pour ça que c’était d’autant plus violent de murer le bâtiment avec des caméras et des maîtres-chiens. On est très étonné de la violence du geste.
M. : Comment ça se passe de manière concrète pour les artistes qui ont encore leur matériel à l’intérieur des locaux ?
J.B. : On a eu un petit créneau d’une heure, mais on s’est battu toute la semaine pour récupérer le matériel. Mains d’Œuvres c’est vraiment un outil de production, il y a beaucoup d’instruments de musique et de matériel artistique nécessaire à ceux qui avaient des représentations et des projets à travers la France. Même les ordinateurs et la compta est toujours dedans aujourd’hui.
M. : Suite au bras de fer juridique entamé par la Municipalité de Saint-Ouen avec la saisie du tribunal de grande instance de Bobigny le 2 juillet 2019, un jugement en appel est attendu le 3 décembre. Quelles sont les solutions alternatives qui vous ont été proposées ?
J.B. : On veut défendre l’idée que ce lieu est attaché à ces murs. Le bâtiment avait été acheté par la Mairie pour accueillir l’association, c’est un bâtiment qui s’appelle Mains d’Œuvres pour les ouvriers des cuisines Valéo. On s’est attaché à cette histoire et à la vie de Saint-Ouen. Ça n’aurait pas de sens d’emmener Mains d’Œuvres ailleurs.
M. : Du point de vue juridique, comment ça va se passer ?
J.B. : On était en train de préparer le passage en appel du 3 décembre, mais on est conscient qu’il y a des élections en mars. Comme ça tient à une décision unilatérale du maire, on pense que s’il part en mars on aura notre place à Saint-Ouen. Pour l’instant, on attend de voir ce qui se prépare dans les semaines à venir. S’il faut, on tiendra jusqu’en mars.
M. : La raison avancée par la Mairie était notamment les loyers impayés ?
J.B. : On a publié un droit de réponse avec les quittances de loyer et tout ce qu’il faut. C’était une incohérence totale de réclamer des loyers alors qu’on n’avait plus de subventions. On se demande encore ce que ça veut dire alors qu’on a des soutiens du Ministère de la Culture, de la région, du département et des autres villes limitrophes [NDLR : la Municipalité de Paris a affiché son soutien clair et franc à Mains d’Œuvres]. C’est un non-sens de ne pas être soutenu par sa propre Mairie.
M. : Tu penses que c’est de l’opportunisme politique dans une période pré-électorale ?
J.B. : Si c’était une stratégie politique, elle est un peu ratée. Tous les habitants de la ville sont très touchés par la violence et l’acharnement du geste. Je pense que c’était une erreur de ne pas entendre ses citoyens réclamer plus de liens et plus de lieux pour s’exprimer et se rassembler.
M. : Aujourd’hui, on a l’impression que le combat est gagné dans l’opinion ?
J.B. : J’ai plutôt l’impression de commencer un combat. S’il faut le faire on sera là et on ne lâchera rien.
M. : Avant de se quitter, quelles sont vos prochaines échéances ?
J.B. : Le jugement en appel du 3 décembre 2019 et les élections municipales en mars 2020. En attendant, on va rester là et inviter des artistes. Si on doit rester sous les barnums, on sera là.