« Les Siffleurs » : Le polar en langage sifflé de Corneliu Porumboiu
En attendant de s’installer en Islande entourée de ses films…
Suite à notre interview du réalisateur roumain Corneliu Porumboiu, on se penche plus en détails sur son long métrage Les Siffleurs présenté en sélection officielle au Festival de Cannes. Analyse à chaud du film sorti en salles mercredi dernier.
Film noir roumain tout en sifflement, Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu est une proposition étonnante. Cristi (interprété par Vlad Ivanov), inspecteur de police à Bucarest, joue sur plusieurs tableaux, entre la police et la mafia, afin d’obtenir un petit bout de vie meilleure, dans un monde qui l’a laissé désabusé et perdu. Corrompu et suspecté de l’être, il est mis sur écoute et surveillé, ce qui entrave ses plans.
Afin de libérer de prison un autre mafieux et récupérer 30 millions d’euros volés, on lui fait apprendre le silbo, un langage sifflé ancestral utilisé sur l’île de la Gomerra, qui lui permet de communiquer de manière codée et finir ce qu’ils avaient commencé. Les langues se répondent entre elles – silbo, espagnol, roumain – créant une atmosphère sonore confuse et transformant à nos oreilles toutes les langues en « codes ». Ces langues deviennent des outils, des armes, qui sont avec quoi ils vont parvenir à leur fin. Les Siffleurs est un polar de la communication.
Une arme ancestrale de communication
Le genre du film noir est ici connu et maîtrisé par Porumboiu. L’inspiration du genre classique est plus que visible dans le film. Le flic anti-héros, perdu, doutant de ses anciennes valeurs, nous rappelle plusieurs grands personnages du cinéma américain avec des thématiques récurrentes : la corruption, la suspicion, l’amour d’une femme fatale… Le film reprend tous les codes du Noir classique, presque à la lettre, et on se plait à retrouver les schémas que l’on connaît – et que l’on aime déjà. Mais que propose le film qui ne soit qu’à lui ?
Le film est ambigu, les situations le sont aussi, les volontés des personnages encore tout autant. Il n’y a pas de spectateur omniscient – au contraire, il est celui qui en sait le moins sur le déroulement des choses. Le spectateur doute et ne fait que deviner les enjeux, malhonnêtetés, dangers et alliances… L’ambiance est à la suspicion, dans le film comme dans la salle. Ce polar de la communication tire son intérêt et sa tension du manque d’information transmises au spectateur.
De petits moments d’étrangeté poétique
Puis, la touche personnelle de Corneliu Porumboiu affleure à l’image. Une certaine intuition poétique, pourrait-on dire. Elle se perçoit dans des scènes étonnantes de hall d’hôtel où l’on n’écoute que de l’opéra, dans de rares dialogues qui laissent un arrière-goût d’étrangeté, ou dans la mélodie des différentes langues qui se superposent. Et enfin, dans cet émerveillement et cette insistance presque documentaire sur ce langage sifflé, le silbo, qui offre aux spectateurs des scènes chantantes perdues au milieu des collines, ou des cours de « grammaire » irréels. La beauté du film réside alors dans ces petits moments d’étrangeté poétique qui relient directement le spectateur à la sensibilité du regard du cinéaste.
Néanmoins, un écart se creuse entre la singularité de ces instants et la simplicité de l’intrigue policière. Si le genre est maîtrisé, il n’est pas renouvelé ni sublimé. Le film ne semble être qu’un prétexte pour parler du silbo, et de l’émerveillement de son cinéaste face à ce langage. Très vite, les moments poétiques font tâche face à une intrigue assez schématique, créant un élément de comparaison qui à tendance à rendre l’intrigue policière et la narration, aux schémas vus et revus, lourdes et un peu insignifiantes.
Dès lors, l’intuition poétique première du réalisateur se retrouve réduite à une simple « bonne idée », et lui fait perdre ce petit quelque chose qui pourrait le faire passer d’un film agréable à un film mémorable.