« Madame Claude » sur Netflix, ultra-léché mais sans relent sulfureux
Ses origines ardennaises lui font aimer la bière belge autant…
Disponible depuis le 2 avril sur Netflix et largement attendu, le biopic sur Madame Claude, la maquerelle des Trente Glorieuses, se révèle sans relief. À force d’ellipses et d’images trop esthétiques, la cinéaste Sylvie Verheyde parvient surtout à nous perdre. Dommage.
La forme plus que le fond
Le première adaptation de la vie de Madame Claude en 1977 par Just Jaeckin a le mérite d’être raccord avec un certain cinéma des années 70 : provoc’ et sensuel, libéré et cynique. Bref raccord aussi avec l’apogée de l’ère Madame Claude, incarnée par une Françoise Fabian au sommet. Mais dans ce film la composition esthétique ne prenait jamais le pas sur le fond, car l’œuvre avait l’intelligence de traiter avec soin la perversité intrigante d’un certain milieu et l’hypocrisie de gouvernements, soucieux de moraliser leur peuple à l’aune de la révolution sexuelle.
Le long métrage de Sylvie Verheyde, lui, peine à mettre véritablement en relief cette hypocrisie étatique de la Vème République. La réalisatrice semble avoir préféré mettre le paquet sur la dimension esthétique de séquences feutrées où l’on se sent propulsé dans un film du styliste et réalisateur américain Tom Ford. Pas étonnant que Madame Claude, initialement prévu pour le cinéma, soit produit sur Netflix, dont l’écueil est parfois de renvoyer des plans très lisses et trop soignés. Et contrairement à L’Apollonide de Bertrand Bonello, les prostituées semblent en mal d’incarnation. Leur physique si parfait ne laisse pas assez entrevoir les tumultes de la vie de prostituée.
Madame Claude, monstre ou modèle de féminisme ?
Mais plus qu’une maison close digne de L’Apollonide, le sérail de Madame Claude s’apparente surtout à une agence de recrutement de femmes en vue de dompter et dominer les hommes. Telle une armée durement entraînée, les 200 filles de la maquerelle sont une marchandise que le « monstre » Claude a appris à vendre chèrement pour se frayer un chemin et égaler les hommes haut placés. Et cette volonté de montrer la personnalité d’une provinciale partie de rien pour gravir les échelons est franchement réussie. C’est grâce aussi au talent de Karole Rocher, déjà remarquée dans Le Bal des actrices de Maïwenn, en 2009.
La comédienne manie à merveille le registre diabolique, sans en faire trop. Justement, elle incarne avec subtilité une Claude presque féministe. Le beau jeu de Karole Rocher s’épanouit, se déploie pleinement dans la relation de quasi amour que Claude noue avec un personnage fictif, Sidonie (Garance Marillier, toujours au top, dans ce film aux tonalités bien différentes de Grave, de Julia Ducournau). Alter ego de la Jeune et Jolie de François Ozon, Sidonie sera la protégée de Claude autant qu’elle accélèrera sa chute. On pourrait se désoler que le plus intéressant dans ce biopic soit en fait une histoire entre deux femmes, inventée par la réalisatrice, mais on se laisse entraîner dans ce récit intimiste qui donne du piquant à un film sans grand éclat.
Manque de souffle narratif
Ce manque d’éclat et de surprise serait-il dû à un scénario mal ficelé qui peine à te happer ? Se pose déjà un problème d’équilibre. Alors que la voix off, portée par Karole Rocher pour raconter la chute de la proxénète la plus célèbre de France, semble vouloir te prendre par la main, les ellipses temporelles et narratives semblent, elles, vouloir te perdre. Contrairement à l’américain David Fincher, dont le choix de narration joue sur l’envie de dérouter un spectateur peu aguerri sur le sujet du film tout en parvenant à le maintenir en haleine, Sylvie Verheyde perd tout bonnement son spectateur en cours de route.
Pourtant, niveau suspense, la réalisatrice avait de quoi faire avec cette proxénète hors-norme. Alors que l’on comprend que ses affaires étaient florissantes pendant toutes les années gaullistes et pompidoliennes, puisque les Renseignements Généraux laissaient l’empire de Madame Claude prospérer en échange de confidences recueillies sur l’oreiller par ses filles, on aurait vraiment aimé être embarqués dans un univers plus interlope – avec des enjeux tellement énormes que les années Giscard, président empli de moralité, ont fini par faire éclater. Dans ce film, on pénètre à peine tel ou tel milieu (la mafia, avec Roschdy Zem, l’État et la police avec Pierre Deladonchamps et Benjamin Biolay), toujours incarnés par des hommes qui gravitent sans consistance autour de Claude, que la porte déjà se referme. On y parle beaucoup sans que grand chose ne se passe, et c’est bien dommage, car Madame Claude se définissait surtout comme une femme d’action.