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Interview : Fils Cara, comète stéphanoise de la chanson française

Marin Woisard

Enfant d’immigrés italiens, stéphanois de naissance et ancien ouvrier, Fils Cara descend d’une fière lignée de poètes dont les chefs de file seraient Rimbaud, Gainsbourg et Kurt Cobain. Son premier EP Volume est la pierre fondatrice d’un talent naissant.

Signé sur le label phénomène Microqlima (L’Impératrice, Isaac Delusion, Pépite), Fils Cara vient d’arriver à Paris pour vivre son projet musical. Avant cela, le chanteur bossait à l’usine à Saint-Etienne où il rêvait de mélodies qui font carrière, et de mots qui remplissent l’assiette. Entre deux pauses clopes, les astres ont parlé.

Ce qui ressemblait à une dimension parallèle n’existe pas seulement dans les livres qui tapissent son jargon : Fils Cara a attrapé au vol l’opportunité d’une vie d’artiste en nous ébouriffant avec sa poésie au flow de plume. Son premier EP Volume monte le son pour nous dire que rien n’est impossible à celui qui croit, travaille et n’abandonne jamais.

Melting-pot d’avant et d’après

Sorti le 17 janvier, son mini-album fusionne son phrasé poétique à de l’argot urbain, son urgence contemporaine à de la chanson française, la culture noble à une autre plus populaire. Imagine que Mike City ait produit un track de Gainsbourg ; le vertige est là. Continuité de ce bouillonnement musical, l’artiste a dévoilé un triptyque de clips mêlant grande peinture et imagerie Instagram. Chaque film de ses trois singles Nanna, Contre-Jour et Cigogne décline le même procédé : un tableau animé qui se révèle dans un long travelling arrière en format vertical.

Imagine qu’un touriste prenne une story de l’expo Fils Cara au Louvre ; le vertige s’étire. Sois rassuré, le chanteur n’est pas prêt de se laisser parquer entre de bourgeoises colonnades de marbre, soient-elles italiennes comme ses ancêtres.

« T’étais qu’un visage dans la foule, puis boom, figé » Fils Cara – Nanna © Pierre-Emmanuel Testard
Marin : Hello Fils Cara. Quelle est l’origine de ton nom d’artiste ?

Fils Cara : Cara est le prénom de ma mère sicilienne, je suis né dans une famille issue de l’immigration. J’ai choisi ce nom en clin d’œil à ma mère pour porter sa bonne étoile. Dans ma famille, on croit à ça. À terme, le projet est d’aller puiser dans mes racines familiales pour raconter quelque chose d’universel.

M. : Pourquoi avoir choisi de signer sur Microqlima… Qui est associé à une scène moins urbaine que tes sons ?

FC. : Déjà, je fantasmais le concept de label indépendant comme pouvait l’être Sub Pop dans les années 90 à Seattle. Je suis conscient que ma « poésie urbaine » n’est pas forcément rattachée à l’image des groupes de Microqlima (ndlr, Isaac Delusion, L’Impératrice, Pépite). Ce qui m’intéresse c’est la démarche botanique de Microqlima. On plante une graine et on attend de voir comment elle germe. C’est une petite serre où chaque artiste est agent de sa propre météo.

M. : C’est grâce à l’un de tes anciens projets que le label t’a repéré…

FC. : Oui, mon projet s’appelait Klë en référence au peintre Paul Klee. C’est un projet que j’avais à Saint-Etienne, où je suis né et où j’ai grandi. Je lui ai donné naissance avec un EP quand je travaillais à l’usine avec mon frère. C’est grâce à un morceau portant le nom de la célèbre metteure en scène Ariane Mnouchkine qu’Antoine le fondateur de Microqlima m’a contacté.

M. : Est-ce qu’il existe une école stéphanoise d’écriture ?

FC. : Je ne peux pas théoriser au sens propre ce qu’est la plume stéphanoise (rires). Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des échos qui rayonnent entre les différents projets stéphanois. Autant ceux de Raphaël Herrerias du groupe Terrenoire, mon reuf Zed Yun Pavarotti, La Belle Vie… J’ai l’impression qu’il y a sinon un vocabulaire commun, en tout cas des thèmes partagés. Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’écrit pas depuis Saint-Etienne et qu’on est parti à Paris. Je me sens accompagné des fantômes de ma ville.

« Je ne peux pas théoriser au sens propre ce qu’est la plume stéphanoise (rires). Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des échos qui rayonnent entre les différents projets stéphanois »
M. : J’ai lu que tu étais aussi influencé par le fantôme de Kurt Cobain. N’est-ce pas étonnant au vu de la direction de ton projet ?

FC. : Absolument étonnant c’est vrai, parce que je ne cherche pas un son grunge. Le grunge est autre part, il est dans ce que je ressens quand j’écoute Nirvana avec cette énergie totale et perforée. Je me sens en connivence avec Kurt Cobain pour ses failles. Un morceau m’a particulièrement marqué, c’est sa reprise de Something des Beatles qu’il a fait chez lui avec son magnéto. Kurt accorde différemment sa guitare de George Harrison, il faut écouter cette version qui prend un sens divin. C’est la même chose que la reprise de Gainsbourg de Parce Que qui est meilleure que l’original d’Aznavour… Bien qu’on parle des Beatles.

M. : À part Nirvana, quels ont été tes premiers coups de foudre musicaux ?

FC. : J’écoutais beaucoup de musique « douce » comme Philharmonics d’Agnès Obel. Je passais des nuits à me morfondre dans mon pieu à l’écouter. Beaucoup de musique triste m’accompagnait à l’époque car j’étais un ado triste. Et à la fois il y avait l’autre pan, le jour de cette nuit là, avec Ouest Side de Booba. J’ai découvert ensuite le rap des années 90 sur Youtube avec les Sages Poètes de la Rue et notamment le morceau Bouge Tête Seuf’, hyper vénère mais encore mieux écrit que certains morceaux sous format chanson. Et puis, j’ai eu une temporalité Gainsbourg et tout ce qui en découle au niveau de la liberté d’écriture.

M. : Comment est-ce que tu définirais ton univers au milieu de toutes ces influences ?

FC. : Je le définirais par le concept de musique hybride, parce que mon univers est à la confluence de ces diverses influences. Le terme « chanson française » me convient aussi parfaitement. Je ne trouve pas du tout ce terme tabou. Et puis le mot « poésie » ne m’est pas étranger non plusn en opposition à la prose. C’est-à-dire le monde prosaïque, quand tu te lèves, tu vas à l’usine, tu rentres chez toi, tu te fais une merguez, et tu es tellement crevé que tu t’endors dessus. Et à côté, il y a le monde de la poésie où j’ai le droit de m’installer à Paris. C’est complètement dingue, je n’y ai jamais pensé dans ma vie. C’est le droit à l’amour et à la joie. J’étais un ado triste et maintenant je suis en joie.

M. : Est-ce important pour toi de livrer une vision romantique ?

FC. : La romance est un terme qui me gêne dans le sens où si tu la ressens dans mon univers, elle n’est pas faite exprès. Exprimer les sentiments, c’est évident. Romancer mon réel, c’est un truc que je ne veux pas faire. Je cherche à écrire plus directement, la poésie est pour moi un langage brut et pur. Elle n’a rien à voir avec la romance, le roman et encore moins le romantique.

M. : Parlons de la poésie amoureuse de Nanna. Que voulais-tu exprimer avec ce morceau ?

FC. : Nanna, c’était simplement dire qu’il y a des liens entre les personnages, les astres et la vie. C’est le chemin de la mise en lien avec une métaphore filée sur la rencontre avec la lune. En fait, un soir, je suis rentré de l’usine où je travaillais en tant que préparateur de commandes dans un entrepôt de grand froid. Je fumais une clope en regardant la lune et je me suis dis qu’il fallait en parler. Je suis allé chez mon producteur Osha peu de temps après, il a créé une boucle et les paroles me sont venues : « Comme un satellite » (ndlr, Fils Cara se met à chanter). C’est une rencontre astrale et terrienne avec ma fiancée actuelle et la lune.

M. : Quelle couleur souhaitais-tu donner à ton EP ?

FC. : Je dégagerais deux couleurs. La plus romantique, on dira (rires), va à l’essentiel des histoires : Nanna, Contre-Jour, Cigogne, et J’m’en vais. Il y a une seconde couleur plus poétique : CFC, Les Honoraires, Sans Filtre et Argo avec Zed Yun Pavarotti. J’aime cette phrase de Gainsbourg : « Les gens ont des idées qui véhiculent des mots, et moi des mots qui véhiculent des idées. » Ce sont des enchaînements de séquences visuelles qui relèvent de l’état de fait. C’est une couleur que je revendique davantage et que j’aimerais développer sur le second disque que je suis en train d’écrire.

M. : En parlant réunion de couleurs, que dirais-tu de considérer culture populaire et noble à parts égales ?

FC. : C’est une question complexe. Tu décris un état du monde complètement post-moderne où il n’y aurait pas de hiérarchie entre les choses, un relativisme absolu entre Dostoïevski, Angèle, Crazy Frog et Marc Levy. Cette idée est très difficile à intégrer pour moi. Il y a une hiérarchie dans l’art qui vient de la dichotomie entre prose et poésie. On ne peut pas dire que Mozart et Niska aient apporté la même chose à la musique, mais on peut dire que cette culture plurielle crée de la beauté.

M. : Pourtant, tu jongles bien entre différentes cultures…

FC. : Je n’ai pas l’impression de jongler entre une culture profane et une culture sacrée. Il n’y a pas de culture sacrée si Dieu est mort, pour citer une grande phrase de Nietzsche (rires). Si Dieu est mort, l’art est mort, tout est mort. Si tout est mort, tout peut vivre en suivant son flux. On est davantage dans un monde énergétique que dans un monde mathématique. Je compose seulement avec ce que je connais. Mon ami Zed Yun Pavarotti disait dans un morceau absolument fabuleux qui n’est pas sorti : « Je ne vois ce qu’il se passe ici. » C’est exactement ce que je pense.

M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?

FC. : Un artiste, c’est quelqu’un qui conçoit que l’amour est plus fort que la mort.


Volume de Fils Cara est disponible sur Spotify.

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