« Adolescentes » : Que vaut le documentaire de Sébastien Lifshitz primé à Locarno ?
En attendant de s’installer en Islande entourée de ses films…
Avec Adolescentes, le réalisateur Sébastien Lifshitz dresse la chronique sensible de deux jeunes filles, Emma et Anaïs, entre complicité et différences. Présenté en première au Festival de Locarno en 2019, le film était reparti couronné du Prix Zonta de la Semaine de la critique.
Le dernier film de Sébastien Lifshitz, Adolescentes, retrace la jeunesse de deux filles, Emma et Anaïs, de leurs 12 ans à leurs 18 ans. Tourné sur 5 ans, par intervalles de quelques jours tous les mois, ce documentaire suit donc la vie de ces deux meilleures amies opposées par leur milieu social, leur histoire, leur famille, leur parcours ; pourtant confrontées à la même société et engrangées dans le même mouvement.
5 ans de tournage à hauteur de quelques jours chaque mois
Expérience de tournage dans la lignée du film de Richard Linklater, Boyhood, lui aussi tourné dans la durée, ce documentaire parvient néanmoins à magnifier ce processus et lui trouver sa juste application, faisant de cette évolution interne sa plus grande force. Les films sur l’adolescence se situent souvent au-dessus du gouffre du cliché, prêts à basculer. Lifshitz parvient ici à l’éviter largement, car ne cherche à regarder l’adolescence ni avec romance, ni avec nostalgie, mais laisse à ces jeunes filles le choix de se réinventer, de penser et montrer leurs propres versions de l’adolescence, qui n’a de cesse de nous rappeler nos expériences personnelles.
Un documentaire qui ne dit pas son nom
De plus, Lifshitz parvient à trouver la juste distance de la caméra – celle-ci se fait entièrement oublier, évitant l’écueil du voyeurisme qu’un homme filmant deux jeunes filles pourrait facilement évoquer. Le cinéaste fait de ce documentaire une odyssée de vie qui se regarde comme une fiction. C’est un documentaire qui ne dit pas son nom, lui permettant de trouver une justesse aussi étonnante qu’émouvante.
Au milieu de la poésie de leur quotidien maladroit, parfois naïf mais toujours sincère, se révèlent en filigrane les profondes inégalités sociales de leurs deux trajectoires. Quand l’une s’amuse dans ses premières soirées de lycée, l’autre découvre le monde professionnel tout en réglant ses problèmes familiaux. Pour autant, le film ne tombe jamais dans le misérabilisme, rendant à ces deux trajectoires de vie leur propre puissance.
Petites histoires, grande Histoire
Enfin, ces deux cheminements sont intercalés d’images d’archives des attentats, des élections, qui perturbent le film comme le quotidien, et lient les petites histoires à la grande, tout en puisant dans notre mémoire et nos traumatismes.
Ainsi, à travers le quotidien de deux jeunes filles qui se forment, apprennent, vivent et pleurent, Lifshitz parvient à donner un panoramique touchant des problèmes et des mouvements qui traversent notre société, tout en restant constamment du côté de l’intime, écrivant ainsi l’Histoire à une échelle humaine.
ADOLESCENTES