5 albums à ne pas louper cette semaine : Rone, Tom Misch & Yussef Dayes, TheColorGrey…
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Cette semaine de sorties est placée sous le signe du métissage, comme un appel à sortir de l’entre-soi par la musique. Il y a le chef-d’œuvre universel et poétique de Rone, le jazz fusion de Tom Misch & Yussef Dayes, le rap neo-soul de TheColorGrey, les racines africaines d’Amarula Café Club et le jazz électro de Glass Museum. On est parti pour un vingtième tour de piste, confinement ou pas.
Rone – Room With A View (LP)
Notre morceau préféré : « Babel »
Chaque sortie d’un album de Rone est un événement. Son cinquième opus, Room With A View, ne fait pas exception. À la différence près que l’événement avait lieu au Théâtre du Châtelet avec le Ballet National de Marseille, dans un spectacle écourté du 5 au 13 mars en raison d’un imbroglio juridique. Sur scène, dix-huit danseurs s’activaient et s’époumonaient sous la direction artistique de (La)Horde, nous laissant pantelant face à leur beauté furieuse. L’album de Rone dans sa forme studio en retient des fragments de poésie apocalyptique, de synthés analgésiques et d’explosions vocales : la philosophie enflammée d’Alain Damasio sur Nouveau Monde, les chœurs célestes sur Human, les babillements du renouveau sur Solastalgia. Rone raconte l’impuissance d’une génération face aux enjeux environnementaux : plus qu’un album-concept, Room With A View touche par son universalité.
Lisez notre interview de Rone.
Tom Misch & Yussef Dayes – What Kinda Music (LP)
Notre morceau préféré : « Festival »
C’est la seconde sortie de la semaine qui risque de marquer durablement les esprits : le chanteur et guitariste Tom Misch et le batteur Yussef Dayes dévoilent leur album What Kinda Music. Les deux prodiges du South London s’étaient rencontrés en 2018 lors de la fête de lancement du premier disque de Tom Misch, Geography, et depuis ils ne se sont pas quittés. Encore mieux : voici leur progéniture jazzy sur le mythique label Blue Note. Fruit de l’union entre la rythmique chaloupée des baguettes de Yussef et des riffs alanguis des cordes de Tom, les deux orfèvres prouvent que le bouillonnement créatif de la nouvelle génération peut se marier à un savoir-faire ancestral. C’est à la fois un disque accessible par le sens de la mélodie pop de Misch, et expérimental par les ambitions instrumentales de Dayes. Ce disque au nom interrogatif, What Kinda Music, pourra séduire les spécialistes de l’underground fusion qui fréquentent La Gare, comme le public branché féru de sorties à La Cigale, dans une transmission fusionnelle entre les publics, les générations et les nationalités.
TheColorGrey – Overcome (LP)
Notre morceau préféré : « Nothing At All »
De son métissage hip-hop et RnB dans une capsule pop, l’album Overcome du belge TheColorGrey n’est ni tout noir ni tout blanc. L’auteur et compositeur entrelace les genres dans une fusion calibrée pour l’été, si bien qu’on se surprend à rêver d’un ride sur la côte ouest en décapotable, en quête d’un american way of life fantasmé. Son flow dense nous rappelle les tonalités du meilleur de la scène américaine, entre les ambiances intimistes de Daniel Ceasar et la poésie neo-soul de Bilal, quand ses vibes les plus mainstream nous font dire qu’Usher c’était vraiment bien dans les années 90. L’artiste creuse son tunnel sous l’Atlantique pour rejoindre son terreau spirituel, avant de négocier un virage vers la terre congolaise de ses ancêtres, pour renouer en esprit avec leurs racines communes. Si la musique est un voyage, TheColorGrey nous y transporte.
Glass Museum – Reykjavik (LP)
Notre morceau préféré : « Abyss »
Second album du duo bruxellois après deux ans d’absence, Reykjavik voit double. Dans son alliance entre les sonorités organiques du piano et celles synthétiques de l’electro, entre la fragilité des notes suspendues et la puissance brute des progressions, mais aussi entre sa grande clarté mélodique et sa complexité de production. Une dualité que l’on retrouve dans l’éclat des glaciers d’Islande, vivants et inanimés, fragiles et majestueux, transparents et opaques, que l’on devine être l’une des sources d’inspiration de leur jazz versatile. De cet ADN qui coule de source, le projet d’Antoine Flipo et Martin Grégoire nous conquiert avec un naturel déroutant. Comme s’il était écrit que Glass Museum devait composer là leur petit chef d’oeuvre, leur premier album s’appelait Deux.
Amarula Café Club – VOL.II (EP)
Notre morceau préféré : « Od’e »
Chaque semaine de sorties dessine sa tendance ; Amarula Café Club en clôture de notre sélection d’albums confirme que fin avril est appelé au métissage. Avec le quatuor parisien, on prend la tangente pour le Sénégal avec Axel, la Réunion avec Yann, Madagascar avec Arnaud et l’Italie avec Vincent. Leur pop monde aux racines africaines résonne en français dans l’incontournable Od’e, en anglais dans l’introductif 0.9, mais aussi en espagnol et en malgache. Ce mélange étonnamment fécond leur confère une identité unique que les tracks Amarillo et Afrodiziak ancrent dans des héritages parfaitement digérés, avant que l’édit radio de Low nous assène l’évidence de leur talent multiculturel rehaussé d’electro pop. Au-dessus de la mêlée, les compères nous font dodeliner de la tête en puisant le meilleur de chaque fief musical.