Inconditionnelle de culture japonaise, de la dolce vita parisienne et…
Au 32 rue des Trois Frères, dans le quartier artiste de Montmartre, le disquaire The Mixtape accueille le producteur et DJ Terence, alias Darius. Il raconte comment il a rencontré la famille Roche Musique, ce qui l’a mené à faire de la musique, ses prochains projets, mais aussi la fois où il a raté un after avec Sebastien Tellier…
Ce vendredi 10 décembre, une lumière matinale enveloppe doucement Paris, encore engourdi par la soirée de la veille, la dernière des discothèques avant la fermeture. Et pourtant, Darius a profité de sa soirée pour composer jusque tard dans la nuit. Au fond de la boutique, il s’installe prendre son petit déjeuner : un thé et un pain au chocolat, plutôt qu’un café et un croissant.
Terence a le sourire facile et la voix rassurante. Son teddy américain lui donne un air juvénile, accentué par des traits doux et un regard chaleureux. Enthousiaste et passionné, ce producteur a commencé la musique enfant, inspiré par son père. « Dès qu’il a vu que je m’intéressais à la musique, il m’a offert mon premier clavier. Et pendant toute ma scolarité, je n’avais qu’une hâte : rentrer à la maison pour y jouer. » Depuis ? Quatre EP, deux albums, 1,4 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify et des fans qu’il a pu rencontrer grâce à ses tournées internationales. Intérieurement, on ne peut pas s’empêcher de remercier son père de l’avoir mis sur le chemin de son talent.
Des luminaires pour l’étincelle créatrice
En pleine composition de son nouvel album, qui fait suite à son EP récemment sorti Oasis, Darius a besoin de renouer avec le calme et le grand air dans lequel il a grandi. Son enfance en Charente-Maritime lui a donné le plaisir des choses simples, un bonheur tranquille qu’il recherche pour laisser venir l’inspiration. « J’aime beaucoup les luminaires, par exemple. Donc j’aime bien travailler dans une pièce qui en a beaucoup, pour créer une ambiance cosy et inspirante. » détaille t-il en observant la lampe tactile posée sur la table. Selon lui, l’inspiration vient spontanément et naturellement, ce qui la rend imprévisible. « Le secret pour pouvoir faire de la bonne musique, c’est aussi de savoir faire des pauses et ne jamais forcer. J’ai envie que la composition reste un moment de plaisir. »
Le confinement a été l’occasion pour Darius de faire une pause dans son rythme effréné : « Quelque part, j’attendais cet événement majeur dans nos vies, qui allait nous faire prendre conscience de notre rapport à nous même, aux autres et à la planète. » Sorte de résidence forcée, la pandémie a été pour lui l’occasion de renouer avec d’anciennes passions et de se retrouver face à lui-même.
Composer lui prend du temps, et Darius se sent parfois tiraillé entre l’injonction à la régularité des sorties et son perfectionnisme. « Même si je ne sors pas souvent de nouveaux morceaux, je veux pouvoir les travailler assez pour être profondément fier de ce que je propose. C’est pourquoi les morceaux de mes EP et de mes albums sortent au compte-gouttes. Mais je suis toujours très content de ce que je publie, et c’est ce qui compte. »
Pour s’exprimer, Darius s’inspire et s’imprègne de tous les genres musicaux. « J’écoute beaucoup de hip-hop, de soul et de funk, et aussi du rap, qui a pris beaucoup de place dans la musique de ces dernières années. » Loin de s’enfermer dans ses propres cases, Darius se cultive en écoutant et réécoutant de tout : « En 2000, je n’avais pas du tout conscience de l’émergence du RnB et du hip-hop, de la qualité de ce qui était produit. Aujourd’hui, en redécouvrant ces morceaux, je suis touché. Je suis vraiment admiratif du travail de 50 Cent, Justin Timberlake, Timbaland, Dr. Dre… » Si avant, il cherchait à rester dans le sillage électro de Breakbot et l’écurie Ed Banger, il s’éloigne aujourd’hui de cette volonté puriste de genre. Pour cela, rien de mieux qu’explorer le métissage de mélodies et de rythmes, un exercice qu’il réussit avec brio dans son nouvel EP. C’est par cette diversité des genres que Darius arrive à s’exprimer franchement.
Sa dernière excursion l’a mené jusqu’au rock. En ajoutant à la personnalité de son clavier un enregistrement live d’une batterie, il découvre de nouvelles possibilités : « Inviter des musiciens à jouer avec moi en studio ajoute une dimension dingue à mes morceaux. C’est une expérience que j’ai envie de renouveler en enregistrant des chœurs de gospel, ce que j’ai un peu commencé à faire dans le titre Apology. »
Avide de nouvelles expériences, Darius rêve de composer la bande originale d’un film. Cinéphile et inconditionnel de Hans Zimmer, la découverte du sound design l’a beaucoup marqué : « Faire la BO d’un film comme Interstellar, ce serait un rêve. » Pour lui, la musique dans les films s’apparente au suggéré, à ce que l’on devine sans voir, et permet de rendre aux films à suspense une dimension sombre et profonde : « La musique explicite la tension implicitée par l’image. Black Mirror et Conjuring ne seraient pas les films qu’ils sont sans leur BO. »
De Paris à Jakarta, Darius aux platines
Construire un live a toujours été un projet pour Terence. Mais c’est son perfectionnisme qui le freine : « J’ai tellement peur de ne pas faire assez bien que j’aurais tendance à réduire les performances musicales pour être sûr de tout bien réaliser. » Cela ne l’empêche pas de réfléchir à un spectacle et à une expérience immersive lors de ses DJ sets, par exemple en travaillant une nouvelle scénographie pour sa tournée aux États-Unis, qui devrait débuter en avril 2021. « Qui devrait », oui, puisque depuis la pandémie, tout est conjugué au conditionnel…
Et si, à une époque, Darius avoue avoir été saturé de concerts et fatigué par les tournées, les concerts lui ont manqué et lui manqueront s’il en est privé : « Quand je fais de la musique, je la fais pour la partager. C’est ce partage qui donne du sens à ce que je compose. » Lors de la reprise culturelle de cet été, Darius a renoué avec son public dans les nouvelles salles de Paris. Après un DJ set au festival Madame Loyal au cirque de Villepinte, il avait mixé sur le toit de l’Arche de la Défense. Aujourd’hui, il dit ne jamais avoir eu autant envie de faire des concerts de toute sa carrière.
Les DJ sets ont été aussi pour lui l’occasion de vivre des expériences marquantes lors des tournées internationales : « Je n’avais jamais voyagé en dehors de l’Europe. Pouvoir aller aussi loin, entouré de mes potes, et tout ça grâce à la musique, c’était surréaliste. » Dépaysé par la gastronomie chinoise et par la pauvreté en Inde, il a été aussi très surpris par un concert à Jakarta : « Le public était vraiment avec nous, il criait, mais personne ne dansait ! Ils étaient tous en train de filmer avec leur téléphone. C’était assez perturbant. »
Rêveur, créatif et sociable, Terence touche par sa sincérité. Une spontanéité parfois ombragée par une certaine retenue, une timidité contre laquelle il travaille. Pourtant immense fan de Tame Impala, au point de pleurer lorsqu’il le voit en concert, Darius n’a pas osé l’approcher quand il en a eu l’occasion : « Dans mes lives, j’ai du mal à prendre le micro pour parler à la foule. Je suis sociable mais, au final, plutôt introverti. En fait, je crois que je préfère laisser le destin guider mes rencontres. » Et c’est une posture qui lui a plutôt réussi, puisque c’est finalement le hasard – ou le destin – qui l’a mis sur la route de Jean Janin, alias Cézaire, le fondateur de Roche Musique, le label français emblématique du renouveau de la French Touch.
Parfois, la timidité l’amène aussi à quelques regrets. Quant à la fin de Rock en Seine, un after se profile avec Sébastien Tellier, l’occasion s’échappe et encore aujourd’hui, il s’en mord les doigts.
Darius croise le chemin de Jean Janin alors qu’ils sont tous les deux à une soirée du Nouvel An à Tours. Les yeux de Terence se perdent dans ses souvenirs quand il évoque, le sourire au bout des lèvres, cette époque si proche et si lointaine où tout se passait via Facebook et MySpace : « On s’est ajouté, et finalement, j’ai rencontré via internet toute cette bande qui deviendra Roche Musique : FKJ, Kartell… Un jour, Jean m’invite à une soirée à L’Exclaibur, une sorte de bar/boîte dans le centre de Tours. C’était mon premier DJ set, et c’était aussi la première fois que je rencontrais les gens de Roche Musique en chair et en os. » Les influences funk, disco et électro rapprochent les pépites émergentes de la French Touch, et aujourd’hui, Roche Musique est non seulement un label mais aussi une bande de potes, mués vers les mêmes objectifs par une énergie commune.
Faire de la musique, pourquoi déjà ?
« Pourquoi je fais de la musique ? Parce que c’est le domaine où j’excelle le plus. » Répond t-il après quelques secondes de réflexion. Si la passion de la musique l’a toujours accompagné, faire une carrière de musicien n’était pas tout de suite un sujet. C’est par hasard – encore – qu’il rencontre un musicien pendant ses études à Lyon. Il lui fait écouter ce qu’il compose, et cet ami le pousse à créer un MySpace : « L’année de mes 19 ans était compliquée. Je n’étais pas payé en alternance, j’avais une coloc compliquée, j’étais en échec scolaire et j’avais un gros chagrin d’amour. »
Terence décide alors de prendre une année sabbatique, et s’exile chez ses parents. Là-bas, la musique prend une place de plus en plus grande dans son quotidien. Il décide d’y consacrer sa vie, une décision que sa mère soutient, en lui avouant qu’elle avait toujours pensé qu’il allait devenir musicien. En 2012, sort son premier EP, Velour : « L’histoire de cet EP, c’est exactement ça : je voulais donner mes tripes pour arriver à vivre de ma passion. Si d’autres y arrivent, pourquoi pas moi ? » Finalement, la musique l’a sauvé, avoue t-il, et c’est grâce à cette détermination qu’il en est là aujourd’hui.
Témoin et acteur d’un genre nouveau
Quand il était enfant, Terence écoutait la musique de sa mère, diverse et moderne. De Will Smith en passant par les Daft Punk et George Michael, elle lui fait découvrir la funk et l’électro, une influence qui transpire de sa musique encore aujourd’hui.
Après son baccalauréat, Terence part faire ses études à Lyon. Sa seconde passion, le dessin, le guide vers une formation de graphiste. Un apprentissage qui lui a beaucoup appris, et qu’il continue à utiliser dans le cadre de son projet en prenant en charge les visuels de son projet. C’est à cette période qu’il découvre Ed Banger, Breakbot et Justice. « Et là, c’était un déclic. D’un côté c’est la musique que j’avais toujours attendu, qui mélangeait les genres comme je voulais le faire, et de l’autre cette musique m’a paru complètement improbable. Quand je suis allé voir l’un des premiers DJ sets de Breakbot, j’avais l’impression d’assister à la naissance d’un genre nouveau, futuriste. »
Arrivée juste après Ed Banger, la génération Roche Musique a transformé l’électro. Ces nouveaux producteurs ont réussi à utiliser à leur propre façon les mêmes influences et les mêmes éléments : « Tout en utilisant l’héritage de nos prédécesseurs, on a réussi à créer notre propre musique. Je ne suis pas certain que l’on soit pour autant une nouvelle vague, mais c’est une idée qui me plaît. Je pense qu’au fond, on a envie de continuer cet héritage et d’être la relève. » Seul le temps nous dira comment l’histoire de l’électro sera racontée, mais on est persuadé que le nom de Darius y figurera.