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Champs-Élysées Film Festival 11ème édition, un rodéo d’émotions

Champs-Élysées Film Festival 11ème édition, un rodéo d’émotions

Thierry Champy

Du 21 au 28 juin s’est tenue la 11ème édition du Champs-Élysées Film Festival, créé par l’emblématique Sophie Dulac, à la fois productrice, distributrice et exploitante. Arty Magazine a suivi cette grand messe du cinéma de l’intérieur.

À deux pas de l’Arc de Triomphe, au 129 avenue des Champs-Élysées se trouve le Publicis Cinémas, lieu de résidence du Champs-Élysées Film Festival. Le 21 juin, tandis que les férus de musique célèbrent le solstice d’été, cinéastes et cinéphiles avertis sont conviés à l’ouverture des portes. Dans la salle, les lumières s’éteignent, le silence est de rigueur. Le public se laisse enivrer par l’élégance, les notes musicales mélancoliques de Maud Lübeck et la poésie d’Irène Jacob.

S’ensuit un court extrait d’Un homme et une femme, rendant hommage à la légende du cinéma français Jean-Louis Trintignant qui s’est éteinte quelques jours auparavant. Une femme, blonde cheveux courts, robe rose fuchsia, au charisme indélébile se dirige vers le pupitre. Il s’agit de Sophie Dulac. Présentation des membres des différents jury. Le CEFF ouvre chaleureusement ses portes au public. Nous voici partis pour sept jours de festivités cinéphiles.

Sur la plus belle avenue cinéphile du monde

Au programme, plus de 50 films sélectionnés dont 12 longs métrages et 22 courts métrages en compétition. Petite nouveauté de l’édition, regard social et anthropologique de la femme avec la thématique « Freed from Desire : L’amour et le désir par les réalisatrices dans les années 90 », composé de deux fictions (But I’m a Cheerleader et The Watermelon Woman) et deux documentaires (Nitrate Kisses et No Sex Last Night). Sans oublier une programmation musicale riche : Vikken, Laura Cahen, Clara Ysé, Barbara Butch ou encore Adé (ex Thérapie Taxi). Chaque soir, un.e artiste se produit sur scène et anime la soirée avec une vue prenante sur l’Arc de Triomphe.

À chaque festival, une avant-première. Protocole oblige. En guise s’ouverture, After Yang de Kogonada propose une nouvelle définition au cinéma de science-fiction. Le cinéaste américano-coréen questionne l’existence humaine, l’identité culturelle et les modes de consommation – la création de l’être humain sur-mesure. Dans ce futur proche, il exploite exhaustivement le concept de l’appropriation de la mémoire et emporte le spectateur avec lui dans ses voyages temporels. Notons la virtuosité de l’image, un choix esthétique des couleurs, un design très soigné, et surtout, la simplicité de la vie nous faisant penser, sans équivoque, au cinéma de Yasujirō Ozu (contemplation de la vie, philosophie du thé), son réalisateur fétiche. Une belle découverte en somme.

Le Champs-Élysées Film Festival met aussi à l’honneur la musique avec nombre d’artistes, comme ici avec Barbara Butch en DJ Set au Flora Danica © Pierre Caudevelle

Professeur Aster

Cette année, l’invité d’honneur est le talentueux Ari Aster connu pour Hérédité, thriller horrifique oscillant entre L’Exorciste et Ju-On (The Ring) et Midsommar, un voyage terrifiant, malsain et sordide mais osé. Notons son inoubliable masterclass au Balzac qui lui permet de revenir sur ses premières expériences au cinéma : Dick Tracy, son premier film vu avec sa mère, son rituel de cinéma avec son père après l’école, sa fascination pour les films d’horreur durant son adolescence et ses premiers scripts qu’il caractérise « d’abject », en passant par ses influences cinématographiques que sont Hitchcock, Bergman, Fellini et Mizoguchi.

Son succès ? Il le doit selon lui à son opiniâtreté, son obsession pour l’esthétique et surtout son anticonformisme, « l’art de la narration doit être une forme de délit » se justifie-t-il en citant son ancien professeur d’université. Ari a toujours porté un intérêt pour les clichés et tente de copier les codes en les pervertissant. Durant la masterclass, le réalisateur américain souligne sa curiosité pour les expressions et sensations au cinéma. Il estime que c’est la meilleure façon d’observer et apprécier un film. Pour cela, faut-il se référer aux artifices de Brecht concernant la distance entre la scène et le public. Le questionnement sur l’authenticité de l’émotion a une place capitale dans son travail. De même pour l’aspect technique.

À défaut de tout vouloir contrôler, le réalisateur doit faire ses preuves, montrer qu’il maîtrise la technique cinématographique. À titre d’exemple, le découpage d’Hérédité est sans équivoque influencé par le travail de Polanski (la combinaison de cinq plans en un). En revanche, pas un mot sur son prochain film. Pour terminer, un artiste doit perpétuellement se renouveler au risque de (se) lasser le public. Un entretien qui nous permet de mieux saisir son point de vue et son travail.

Autre découverte surprenante, Quantum Cowboys, réalisé par Geoff Marslett, est autant une expérience visuelle qu’un road-trip western. Le film propose un concept bien particulier : Geoff exploite à son tour le multivers et utilise douze styles d’animation distincts – dessin sur papier, éléments découpés, ordinateur 2D, rotoscopie, vues réelles – pour créer un film pop-art psychédélique où la théorie du temps, aussi complexe soit-elle, se mêle à des réflexions philosophiques sur les arts. Le film repart avec le Prix du public dans la catégorie Meilleur long métrage américain indépendant.

« L’art de la narration doit être une forme de délit » confie Ari Aster en masterclass au Champs-Élysées Film Festival © Capucine Henry

À Sophie Dulac, le palmarès reconnaissant

28 juin, cérémonie de clôture. Dans l’immense salle du Gaumont Champs-Élysées, les festivaliers entrent dans une liesse attendue. Fait notable et appréciable, on trouve à quelques sièges près, assis côte à côte, des professionnels du cinéma, des journalistes et des cinéphiles. Ainsi pas de séparation franche, mais une invitation à se côtoyer et à partager des expériences, des émotions véritablement en commun. Le festival de par sa nature double (mi-français, mi-américain) est déjà en soi une invitation à rapprocher des cultures et des personnes qui ont rarement l’occasion de se croiser au quotidien.

Sophie Dulac rappelle aussi une triste réalité économique pour le monde du cinéma : la fréquentation des salles a repris certes, mais n’a jamais retrouvé le niveau d’avant Covid. Les salles sont donc en crise. Cet état de fait de la créatrice du Champs-Élysées Film Festival est surtout un appel à se mobiliser pour préserver et promouvoir l’expérience de la grande salle. Inversement à cette crise globale, elle explique que le public a été plus qu’au rendez-vous du festival, avant de remercier tous les bénévoles volontaires et passionnés qui ont permis sa tenue, dans un grand soucis de reconnaissance et de gratitude.

Le Prix de la Critique du Meilleur long métrage américain est remis, sur le son de The Verve – Bitter Sweet Symphony, au film A Love Song de Max Walker-Silverman (sortie prochainement en salles) pour « un portrait de femme jamais vu au cinéma ». Le réalisateur américain monte sur scène pour prendre la parole se dit « étonné » par le prix, estime que Paris est « une ville qui se préoccupe du cinéma et des gens », et non sans une pointe d’ironie que les journalistes critiques français sont les plus « flippants car les plus sympathiques » qu’il connaisse. Le Prix de la Critique du Meilleur long métrage français est ensuite remis à Lola Quivoron pour son film choc Rodeo (sortie prévue le 7 septembre 2022), la puissance du projet réussissant à « capter au plus près les corps et les visages » des conducteurs de la pratique du rodéo motorisé.

Le jury courts métrages, présidé par la réalisatrice et scénariste Anaïs Volpé, remet ensuite Le Prix France Télévisions du court métrage français doté d’un achat par France Télévisions, à Saint Jean-Baptiste de Jean-Baptiste Alazard, pour un documentaire caractérisé par le jury de « mythique », « païen », « expérimental », un court métrage insaisissable, festif, en un mot « dionysiaque » . Le prix du meilleur court métrage est décerné par le public pour la France à Séparation d’Aurélien Achache, et pour les USA à Lucky Fish d’Emily May Jampel, dont la réalisatrice émue s’est dite « triste de quitter la France » après « une semaine spéciale » de projections.

Présidé par la vivifiante Emmanuelle Bercot, le jury longs métrages a porté ses choix en premier lieu sur la récompense d’une grande « maîtrise formelle » (Au Revoir Jérôme, La Flûte Enchantée, Starfuckers) tantôt sur la performance d’acteurs et en particuliers d’actrices, propres à marquer la rétine et à faire chavirer nos cœurs émus (le casting d’Atlantic Bar, Rodeo, Mija). Avec ses prix accompagnés de dotations en soutien aux jeunes talents montants, c’est véritablement l’esprit de la « soif de liberté », de l’audace, de la communion, de l’absence de jugement et catégorisation qui semble avoir guidé les orientations de ce jury. Si le cinéma a souvent pour horizon ou prétention d’élever les âmes, ce soir-là le jury tient surtout à récompenser un cinéma qui sait rester « à hauteur d’âmes », sur terre, finalement proche du sol, comme un retour aux sources. Avant de mieux redécoller ?

La cérémonie de clôture de cette incroyable 11e édition avec Sophie Dulac, présidente et fondatrice du festival

Une dernière claque et s’en va

Le festival se termine en apothéose avec la présentation du frappadingue Everything Everywhere All At Once en avant-première française (il faudra attendre le 31 août prochain pour les curieux). Produit par A24 et considéré comme l’un des plus gros blockbusters d’auteur de l’année, le public a pu découvrir avec joie Michelle Yeoh dans un alpha-univers semi-cartoonesque où tout est permis. Durant la séance, une explosion de saveurs, des éclats de rire. Le duo américain a conquis à l’unanime le public français.

Aussi fou et ambitieux que pouvait l’être Cloud Atlas des sœurs Wachowski, les Daniels (Daniel Kwan et Daniel Scheinert) ont saisi les codes des différents genres auxquels ils se réfèrent ou rendent hommage : Wong Kar-wai, Ratatouille, La Vie d’Adèle, les films de kung-fu des années 70, Matrix, Satoshi Kon et les Looney Tunes. Avec de l’humour de situation et un sens du décalé venant de la comédie américaine et du cinéma asiatique ravageur, Everything est un film à six têtes, diablement décomplexé, un cocktail détonnant, inattendu, imparfait, qui ne pouvait mieux conclure un festival placé sous le signe de la chaleur humaine et de la surprise des sentiments intérieurs redécouverts. En un mot : jubilatoire.

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