« Last Words » : Est-ce que la fin du monde avec Charlotte Rampling et Nick Nolte vaut le coup ?
La Force et la farce sont (souvent) avec lui. Curieux…
Que retient-on le plus d’une histoire, d’un voyage ou d’une personne ? En règle générale sa fin, puisque c’est le souvenir le plus récent. Mais comme le dit l’adage, le chemin parcouru n’est-il pas plus important que sa finalité ? Si tu es au milieu d’une rupture amoureuse, voire en plein doute existentiel, cette fiction italo-franco-anglaise du cinéaste Jonathan Nossiter est faite pour toi.
Last Words, comme son titre l’énonce tragiquement, retrace le récit provoquant et cahotant de ce qui pourrait être les dernières traces d’une humanité en panne sèche. En effet, nous sommes en 2086, les écosystèmes se sont effondrés et une catastrophe bactériologique liée à un virus respiratoire (!) a frappé le monde des hommes. Les derniers survivants, incarnés par un casting international distingué (l’américain Nick Nolte, la britannique Charlotte Rampling, le suédois Stellan Skarsgård) déambulent et survivent au milieu d’un monde désertique où se dévoilent les traces d’une civilisation passée.
Projet ambitieux et mûri depuis six ans par un cinéaste engagé, préoccupé et nostalgique, Last Words propose le pari fou et improbable d’aller encore plus loin que tout le cinéma post-apocalyptique américain : La Planète des Singes (1968), Waterworld (1995), Les Fils de l’homme (2006), Je suis une légende (2007), Mad Max : Fury Road (2015) et on en passe.
Casser le mythe du héros
Dans la plupart des films post-apocalyptiques, il y au moins une figure rassurante, celle du héros, rayon de lumière censé nous éclairer dans un amas d’obscurité et de gravas. Or ici, le contrepied est immédiat : nous suivons le parcours du dernier des Africains, incarné par Kalipha Touray, un réel réfugié gambien. Le personnage est déboussolé, il ne fait que tenter de survivre et s’adapter. Par cette figure sans grand relief de témoin relai, Nossiter nous confronte plus directement à la possible réalité d’un monde effondré, un monde qui aurait réagi trop tard aux enjeux du XXIe siècle. Ce n’est pas un récit post-apocalyptique, mais plutôt une chronique post-post-apocalyptique.
Et quel monde perdu et amnésique à venir. Sans les moyens d’un blockbuster, Nossiter réussit à marquer fortement et ponctuellement la rétine par la force de visions naturelles simples mais impactantes. La proposition est radicale et quasi-documentaire, domaine que connaît bien Nossiter : on lui doit le documentaire viticole Mondovino en 2004. Cette proposition est puissante et déstabilisante par la sécheresse et la précision de son regard sociologique.
Chronique d’une lutte enragée contre l’oubli
Le film interroge sur notre rapport à la dépression, la vanité, la beauté, la valeur signifiante ou insignifiante des choses. Quand il n’y a plus rien, qu’il y a-t-il après le rien – et après ce rien, peut-il encore y avoir quelque chose ? Cet angoisse du néant possible, de la perte des acquis, de ce qui nous constitue, le cinéaste la ressent et la partage. Les causes de cette peur fantasmée ne sont pas ici le sujet ou même la solution, seules comptent les conséquences. Last Words pourrait reprendre le fameux poème de Dylan Thomas, figuré en plein écran pendant Interstellar : « Et toi, mon père, là, sur ces tristes hauteurs, Maudis-moi, bénis-moi maintenant de tes pleurs féroces, je t’en prie ! N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit. Mais rage, rage encore, lorsque meurt la lumière. »
En décrivant une lutte enragée, belle mais vaine, ou belle car vaine, contre le néant et l’oubli, Last Words ne peut laisser sans voix, même s’il laisse intentionnellement parfois une absence de ressenti. Il est certain qu’en sortant de la salle, on peut se sentir essoufflé, vidé, à court de mots. Puis on réalise que les derniers souffles de cette œuvre ne sont pas censés nous abattre, mais au contraire nous donner envie de mieux construire et défendre les générations à venir. Comme à la fin d’une relation ou d’un voyage, ce sont peut-être finalement moins les derniers mots qui comptent, mais tous ceux qui les ont précédés et qu’on n’aurait peut-être pas osé prononcer.