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« Les Misérables » est bien plus qu’un film sur les violences policières

« Les Misérables » est bien plus qu’un film sur les violences policières

Marin Woisard

Membre du collectif Kourtrajmé, Ladj Ly a gagné le cœur de la critique au Festival de Cannes, dont il est reparti avec le Prix du Jury sous le bras. Représentant de la France aux Oscars, Les Misérables continue son ascension fulgurante de Montfermeil à Los Angeles. Mais quel en est vraiment le sujet ?

15 juillet 2018. Le pays rugit de joie : la Coupe du Monde vient d’être gagnée. De cette communion collective dont Paris ne connaît que rarement, une bande de jeunes ados exulte au milieu des Champs-Élysées, tous fiers de porter les couleurs françaises. Ladj Ly pose sa caméra dans l’effervescence, attrape l’ivresse, et se lance sur les rails énergiques d’une grande communauté républicaine. Les différences ne comptent-elle plus ? Une question vite élucidée en revenant à Montfermeil, cloisonné par les intérêts de différents groupuscules qui la composent, luttent avec l’État qui n’est plus qu’un pouvoir parmi d’autres. Les Misérables évoque ces idéaux républicains perdus.

Un constat lucide

Pour un film présenté par la presse généraliste comme un pamphlet anti-flics, la première surprise est de découvrir que l’on suit dans un premier temps une équipe de la BAC et pas des habitants du quartier. Stéphane (Damien Bonnard, très bon), le nouveau venu de l’unité, assimile les codes propres à la cité, en accompagnant ébahi le regard du spectateur dans ce milieu en vase clos. À ses côtés, Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djebril Didier Zonga) incarnent deux cow-boys qui jouent à se faire respecter, tandis qu’ils sèment en réalité la terreur partout où ils passent.

Sur la temporalité d’une journée, Ladj Ly nous balade entre les tours pour déconstruire les clichés un à un : les Frères Mus’ ne sont pas de dangereux terroristes mais des religieux pacificateurs, les gosses ne mordent que si la caravane policière aboie, le Maire n’est diligenté que pour régler les petites affaires internes.

Avec ce film, le réalisateur raconte un peu sa vie, ses expériences, celles de ses proches. Il explique : « Tout ce qui est dedans est basé sur des choses vécues : la liesse de la Coupe du monde évidemment, l’arrivée du nouveau flic dans le quartier, l’histoire du drone… Pendant cinq ans, avec ma caméra, je filmais tout ce qui se passait dans le quartier, et surtout les flics, je faisais du copwatch. Dès qu’ils débarquaient, je prenais ma caméra et je les filmais, jusqu’au jour où j’ai capté une vraie bavure. »

Une vision humaniste

Les Misérables n’a pas d’égal dans sa proposition lucide et humaniste. Ladj Ly s’efforce de présenter les protagonistes et leurs enjeux sans manichéisme au cours de quarante minutes quasi-documentaires. Le réalisateur et son co-scénariste Giordano Gederlini s’attachent à humaniser chaque personnage et en premier lieu les policiers de la BAC, que l’on suit jusqu’à leur foyer familial dans une banlieue similaire à celle de Montfermeil. Les fonctionnaires sont le reflet d’une société livrée à elle-même où chacun joue sa carte sur l’échiquier local. Par cet aspect, Les Misérables ressemble peu aux dits « films de banlieue » comme La Haine de Mathieu Kassovitz ou Ma 6T va cracker de Jean-François Richet.

L’événement déclencheur est le vol d’un lionceau, le précieux des gitans. Les gavroches de la France arc-en-ciel vont devenir les parias des grands frères du quartier, loin des terrains de foot moscovites où la diversité est érigée en modèle national. Les Misérables ébranle l’éveil des consciences autant que l’organisation parfaitement codifiée de la cité. De là, Ladj Ly va engager son récit dans une course-poursuite haletante, ponctuée de séquences brillantes en huit-clos, avant de clore par un final explosif, en miroir direct de l’ouverture festive.

Les Misérables est bien plus qu’une simple charge contre les dérives policières, il est le portrait d’une société pluriculturelle livrée à elle-même. Derrière cette caricature à peine dissimulée, subsiste peut-être l’image anarchiste de Ladj Ly filmant caméra au poing, lui collant aux pieds depuis sa vidéo copwatch filmant une bavure policière, ou son documentaire 365 jours à Montfermeil sur les émeutes de 2005. Depuis, son propos s’est précisé et enrichi par le passage à la fiction, et portée à son meilleur avec la fin des Misérables suspendue à un geste, preuve que le sort des banlieues n’est pas scellée dans le béton de Montfermeil.

LES MISÉRABLES
Réalisé par Ladj Ly
Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga
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