« Les Traducteurs », un vrai thriller à la française en salles ce mercredi
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Auteur du charmant Populaire en 2012, Régis Roinsard signe son retour avec un whodunit à la française dans le milieu de l’édition. Servi par un casting international, le film tient-il ses promesses de thriller tricolore aux airs d’adaptation d’Agatha Christie ?
Un bunker souterrain sans lumière naturelle ni contact avec l’extérieur. Une dizaine de traducteurs enfermés pour assurer la sortie synchronisée d’un best-seller mondial. Une surveillance en continu par des vigiles armés. Fiction, tu me diras ? Réalité. En 2013, le puissant éditeur italien Mondadori a confiné ses traducteurs pour adapter la suite de Da Vinci Code écrite par Dan Brown. Flairant le concept, l’histoire est adaptée par le réalisateur Régis Roinsard dans le scénario original Les Traducteurs, un whodunit à tendance Cluedo qui doit tout à Agatha Christie. Si dans la réalité rien n’a fuité, tout vrille rapidement dans le film. Un pirate menace de mettre en ligne les premières pages du best-seller répondant au titre de Dadelus. Le calme apparent vole alors en éclat avec une question en suspens : qui est l’auteur de la fuite ?
En 2013, l’éditeur italien Mondadori a enfermé une dizaine de traducteurs dans son bunker milanais
Avant que la projection ne commence, son producteur Alain Attal vient nous toucher un mot : « Ne dîtes rien de la fin dans vos articles ». Le teasing est d’enfer. L’intelligence féroce du nabab n’est plus un secret pour personne : cette petite phrase lâchée mine de rien sonne comme la promesse de surprises en série. Car si les journalistes ne sont pas cloîtrés dans un bunker, toute la profession habituée aux effets de manche est réunie dans la salle obscure. Sur ce point, le film déjoue nos pronostics à grand renfort de twists, flashforwards et fausses pistes. Un canevas travaillé qui témoigne aussi de sa première faiblesse : le besoin de nous prendre par la main jusqu’au coup de grâce final d’un dénouement terriblement explicatif. Pris dans une structure à tiroirs ultra étudiée, la justification constante coupe le souffle au récit, enfermé dans une bulle archétypale où les rouages prennent le pas sur le naturel. Les Traducteurs veut jouer au « plus malin, tu meures ». Un petit jeu dangereux.
Sa seconde carence tient d’un paradoxe. Les Traducteurs aborde un discours sur la passion de la littérature, sujet absolument fascinant évoqué par chaque personnage qui en incarne une variante, sans ne jamais réussir à la transposer à l’écran. Où est le feu divin dont le film se veut le porte-étendard ? Quelle flamme anime les scénaristes derrière tout ce décorum ? On se demande encore. En critiquant les rouages du milieu de l’édition, présenté comme une usine à fric transformant les best-sellers en produits marketés, Les Traducteurs tombe dans les travers qu’il voudrait allumer. C’est ce qu’on appelle se prendre les pieds dans le tapis. On a mal en rédigeant ces lignes car le film touchait à quelque chose d’essentiel – et de rarement évoqué, l’impact des mythes contemporains sur le réel à travers le personnage russe de Katerina, la récupération capitaliste de la création artistique par l’éditeur Eric Angstrom, et le dilemme entre passion et carriérisme avec la jeune assistante du magnat.
Un casting cinq étoiles avec Lambert Wilson, Olga Kurylenko, Frédéric Chau ou encore Alex Lawther
De toute cette galerie de personnages, chaque traducteur représente à la fois un archétype national et une vision de l’écriture. Il fallait une armada d’acteurs soigneusement castés pour que l’affaire roule. On reconnaît que le pari est relevé haut la main : Olga Kurylenko, Sidse Babett Knudsen, Eduardo Noriega, Alex Lawther, Riccardo Scamarcio, Frédéric Chau, Sara Giraudeau, Anna Maria Sturm, Manolis Mavromatakis, Maria Leite et Lambert Wilson dans le rôle de l’éditeur sont de la partie. On tire notre chapeau au britannique Alex Lawther brillant dans le rôle du geek introverti. Et on se gratte la tête d’incrédulité face au sur-jeu stéréotypé de Lambert Wilson en ébullition Actors Studio. Globalement, les interprétations ne déçoivent pas. Ce sont plutôt leurs trajectoires qui ne dépassent jamais le cliché attendu : l’italien séduisant et calculateur, le grec défait et bedonnant, la danoise mère de famille et dévouée à sa tâche. Parmi ces seconds couteaux de haut vol, on notera pour terminer la surprise Frédéric Chau qu’on découvre en dehors des rutilantes comédies françaises.
Les Traducteurs est loin d’être une plantade industrielle. Mais il y a un tel écart entre ce que le film cherche à défendre et ce qu’il transmet réellement, que la déception ne peut qu’être grande. Dans « plantade industrielle » c’est l’adjectif qui nous interpelle. Il s’agit bien ici d’une usine où l’humain n’a plus sa place malgré toute l’affection qu’on porte au travail de Régis Roinsard. En 2012, Populaire avait apporté l’atout charme de l’univers des concours de vitesse dactylographique, du duo solaire Romain Duris et Déborah François et surtout d’un propos résolument touchant. Les Traducteurs nous donne le sentiment d’un produit désincarné qui lorgne avec envie sur les productions américaines. On ravale nos regrets avec les romans d’Agatha Christie et ses descendants spirituels Reservoir Dogs de Quentin Tarantino et plus récemment À couteaux tirés de Rian Johnson. Le Whodunit n’est pas prêt de recevoir sa traduction française.