« Soul » : Pixar nous offre un supplément d’âme essentiel pour terminer 2020
Il mène sa vie une manette à la main, absorbant…
Soul, le dernier-né des Studios Pixar Animation, est dorénavant disponible sur la plateforme Disney +, en lieu et place d’une sortie au cinéma. Si les premières images du film avaient laissé pensé qu’il s’inscrirait en une sorte de spin-off de Vice Versa, cette production estampillée Pete Docter, déjà à l’œuvre sur Là-Haut, Monstres et Cie et, tiens donc, Vice Versa, est une véritable pépite d’humanité sincère et parfaitement nuancée. Un prétendant à l’Oscar de l’animation 2021 et un champion déjà certifié de l’année 2020, qu’il conclut de la plus belle des manières.
Pitch : Joe est professeur de musique au collège. Il souhaite partager sa passion à ses élèves qui lui accordent peu d’intérêt, mais lui aussi rêve de plus, de pouvoir vivre de son art dans les clubs de jazz qu’il arpentait avec son père aujourd’hui disparu. Alors qu’un événement heureux se profile, un autre beaucoup plus tragique pointe le bout de son nez. Oui, la formule est un peu alambiquée, mais on aimerait en dire le moins possible sur le contenu. Spoilers free, tu comprends ?
Que faire lorsque tout est finalement possible ?
Soul est une œuvre émotionnelle, qui traverse un spectre de sentiments immense et jamais galvaudés. Portés par une technique absolument irréprochable, le film met en images la solitude, la quête de soi, la pression sociale pour une certaine idée de la réussite, la charge familiale, le parcours initiatique de vie et l’entraide comme jamais un autre film Pixar ne l’avait encore fait. Il est résolument le film le plus humain, et malgré la représentation du monde des âmes et l’humour parfois absurde et gag-esque de certaines situations, le film d’animation le plus terre-à-terre du studio à la lampe de bureau.
Quant à la technique, elle est remarquable : l’animation est fluide, les plans de foule de New York sont quasi photo-réalistes, l’éclairage de certaines scènes est proprement fabuleux. On y joue avec les focales et un effet de flou aggravé lorsque Joe, notre héros du quotidien, se trouve dans le monde des âmes, ces soul en attente d’une personnalité, car tout y est encore incertain, indécis, et par extension, possible. Et voici qu’intervient sans prévenir le sujet du film – le sujet principal, entendons-nous, puisque l’œuvre regorge de sous-thèmes chacun exploré avec justesse et émotion – soit le champ des possibles, la possibilité, la décision.
Il reste aujourd’hui probablement quelques irréductibles réfractaires à l’idée d’une animation pour adultes, malgré les œuvres-oignons des maisons Pixar ou encore du Studio Ghibli, pour ne citer qu’elles. La force d’un film familial, et son identité, c’est celle du film qui parlera à chaque génération de spectateurs. Soul, pour les plus petits, c’est une histoire d’une beauté folle, d’une animation tout en swing, d’un montage qui jazz, d’un chat qui parle, aussi.
On y rit, on y fait la moue triste d’un enfant ému par les tribulations d’un héros au capital sympathie égal à celui du grand Carl Fredricksen, qui allait jusqu’à s’envoler d’amour pour sa femme depuis longtemps disparue. Pour les moins petits et les adultes qui les ont suivis, Soul est une œuvre d’une profondeur considérable, qui interroge chaque décision en bâtissant un état des lieux personnel : qu’ai-je fait de ma vie ? Qu’en fais-je, présentement ? Le film pousse à poursuivre ses rêves, sans jamais tomber dans le niais ou le discours grandiloquent de l’entraîneur de football américain qui supporte à bout de bras l’adolescent paraplégique.
Un film aussi profond que ton âme
Le scénario de Pete Docter, qu’il a co-écrit, est justement humain, l’adjectif étant ici mûrement réfléchi, et, ce faisant, singulièrement bouleversant. Poursuis tes rêves, mais si tu abandonnes, c’est okay. Si tu te contentes de vivre, que tu trouves le ressentiment de tes pairs dans une routine ou une action qui pourrait sembler loufoque et incompréhensible, c’est okay. Vivre, c’est okay. Chacun sa passion, même pour ceux qui n’en ont pas. Soul (re)met en images l’importance d’une madeleine, celle-là même que chérissait Marcel. Le gâteau prend ici la forme d’une sucette, d’une part de pizza, d’une manifestation arboricole de l’automne. Le film nous rappelle non pas l’enfance, ou telle période particulière ; il nous rappelle de vivre. Sans atours, bons sentiments ou fioritures excessives. D’ailleurs, les âmes oubliées ne le sont jamais vraiment, le savais-tu ?
Il y a beaucoup à dire sur un film qui traverse un panel d’émotions aussi large et qui ne perd littéralement pas une seconde pour y montrer quelque chose, pour y envoyer un message – d’où l’allégorie des oignons, voir plus haut, voir Là-Haut (ndlr : humour de rédacteur). L’objectif de ce papier, comme un hommage à la profondeur tentaculaire de cette œuvre, est simplement de te convaincre de lui laisser une chance. Nous n’avons même pas tant fait allusion à la musique, qu’elle soit instrumentalisée ou intérieure, et pourtant au cœur de la quête du héros, car il y a également tant à y discerner. Un argument de plus pour les mélomanes en herbe.
Le film, que l’on pourrait aisément qualifier d’essentiel par les temps qui courent, s’achève néanmoins, post-générique, sur une mauvaise blague, celle d’un personnage qui apparaît en invectivant le spectateur : « Hey, le film est terminé, rentre chez toi ! ». Pixar aurait pu s’abstenir sur le coup, mais le chef d’œuvre est tel qu’on leur pardonnera.