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« Ema » : Portrait d’une jeune danseuse en feu

« Ema » : Portrait d’une jeune danseuse en feu

Camille Leigh

Sur la bande-son de Nicolas Jaar, Pablo Larraín filme l’itinéraire d’une jeune danseuse, de drame personnel en libération salvatrice. Un portrait brûlant au rythme effréné du reggaeton de Valparaiso.

Pour son 9ème long-métrage, Pablo Larraín se détourne des figures historiques et politiques (Jackie, Neruda), et laisse l’impétueuse Ema envahir l’écran. La jeune danseuse chilienne, interprétée par Mariana Di Girolamo, semble s’être égarée dans une existence pleine de discordances : elle est mariée à Gastón, un chorégraphe contemporain de renom (Gael Garcìa Bernal) mais embrase la nuit de ses pas de reggaeton. Elle déborde d’amour et de sensualité mais elle a abandonné son fils adoptif, Polo. Le film de Pablo Larrain dépeint l’errance d’une mère-enfant rongée par la culpabilité, mais furieusement libre. Sélectionné aux festivals de Sundance et de Toronto, le film remporte le Prix Unimed de la Mostra de Venise.

La passion trouble de personnages meurtris

La première force d’Ema, ce sont ses personnages insaisissables, et la relation trouble qu’ils entretiennent. Ema et Gastón sont liés par leur amour de la danse, mais surtout par la douleur d’une adoption ratée. Les personnages, meurtris, s’agrippent l’un à l’autre comme des enfants, tout en se prêtant au jeu cruel de la culpabilisation. Le regard presque face caméra de Gastón qui fixe Ema, et imite Polo suppliant sa mère de ne jamais l’abandonner, est presque insoutenable. L’actrice Mariana Di Girolamo fascine par la justesse de son Ema, à la fois immense et d’une fébrilité extrême. Elle incarne à la perfection son ambivalente attraction chargée de répulsion pour Gastón. Entre les deux ex-parents, la passion retrouve son sens premier, celui de la souffrance.

Le reggaeton, hymne orgasmique d’une jeunesse émancipée

Le battement de cœur du film, c’est aussi sa musique. Le producteur électro américano-chilien Nicolas Jaar signe une bande-son empreinte de poésie qui nous saisit dans un souffle, nous entraîne au-dessus des toits de Valparaíso et nous plonge, peu à peu, dans une transe dont on ne sort qu’à la dernière minute du film. Les chansons reggaeton d’E$tado Unido et Stéphanie Janaina hypnotisent par leurs sonorités urbaines et organiques. De leur pulsation instinctive émerge une exaltation collective libératrice. Leurs contre-temps irriguent les veines des danseuses de rue et expriment leur révolte animale contre une société qu’elles n’hésitent pas à mettre à feu et à sang. Lorsque Gastón les bouscule en décrivant le reggaeton comme une « musique de détenus qui empêche de penser et cultive la violence et la sexualisation du corps des femmes », elles défendent à cor et à cri leur danse rouge et brûlante qui devient l’hymne orgasmique d’une jeunesse émancipée, celle qui danse la vie et couche avec le monde.

Une indéfectible pulsion de vie

Le film de Pablo Larrain a quelque chose de profondément incarné. La relation aux corps et à l’espace y est inédite, par la danse, d’abord, qui est omniprésente. Le spectacle de Gastón, avec sa scénographie incandescente et une caméra qui circule entre les corps, fait naître le désir et l’ivresse du mouvement. La séquence de reggaeton et son montage de plans proche du clip donne à voir une chorégraphie sans discontinuité, qui se répand et enflamme la ville. À travers la danse, l’excitation se propage et les cœurs se connectent. C’est bien sûr autour de l’envoûtante Ema que tout gravite. L’expression de son amour est toujours charnelle : la sensualité de l’enfant qui suce son sein, le reggaeton comme outil de séduction, le sexe comme sublimation érotique de son attachement. Ema est comme une mère nature traversée d’une indéfectible pulsion de vie et d’un amour universel qui semblent ne pouvoir s’exprimer que par le corps. Elle est, selon les mots de son réalisateur, à la fois une mère, une sœur, une fille, une amante, une épouse, une danseuse. Elle est, selon ses propres mots, « l’amour » et enseigne « la liberté ».

EMA
Réalisé par Pablo Larraín
Avec Mariana Di Girolamo, Gael García Bernal,, Santiago Cabrera
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