Faut-il regarder Vernon Subutex, la nouvelle série star de Canal+ ?
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Adaptée du best-seller de Virginie Despentes, la série événement avec Romain Duris est de toutes les conversations. Mais vaut-elle vraiment le coup ?
Vernon Subutex est partout. Avec l’arrivée de Game of Thrones et la perte de vitesse de Canal+, on comprend que les enjeux soient considérables. Adaptée de la trilogie de best-sellers de Virginie Despentes, la série condense un esprit rock dont s’est toujours revendiqué la chaîne. Au vu des précédents échecs d’adaptation de l’autrice (Baise-Moi, Les Jolies Choses), le pari est osé pour la réalisatrice Cathy Verney (Hard) et son co-scénariste Benjamin Dupas (10 pour cent). On ne va pas tourner longtemps autour du pot : la série n’est jamais à la hauteur du matériau original, mais constitue un excellent divertissement.
Pour ceux qui se seraient terrés dans une grotte ces dernières années, Vernon Subutex est le nom du protagoniste, un disquaire au chômage qui se fait expulser de son appartement. À la rue, il contacte d’anciens potes qui gravitaient autour de Revolver, son mythique magasin de disques. Alex Bleach, vieux rockeur sur le retour, en faisait partie… Mais celui-ci meurt d’une overdose, lui laissant trois mystérieuses cassettes vidéo en guise de testament. Vernon retourne dans l’anonymat de la ville, sans savoir qu’il est devenu l’homme le plus recherché de Paris.
Tous les éléments sont en place pour développer une série surprenante et décadente. Dans sa quête du canap’ parfait, Vernon nous emmène à travers un Paris cosmopolite dont le 19ème arrondissement est le centre de gravité. Les lieux sentent la vérité, et on s’amuse à reconnaître les rues, les spots, ou saisir une ambiance. Mais en choisissant un format de neuf épisodes de 30 minutes, la série ne fait qu’effleurer l’esprit des quartiers qu’elle traverse, et sous-traite nombre de ses personnages secondaires. Tout va beaucoup trop vite, si bien qu’on saute d’un appartement à l’autre, on claque une bise et nous voilà dehors. Profondément frustrant.
Côté interprétations, Romain Duris est littéralement transfiguré. Figure quasi-christique aux longs cheveux noirs et à la peau burinée, et on se projette par lui dans le vécu de Vernon. Un casting cinq étoiles l’accompagne : Céline Sallette dans le rôle de la Hyène, et la chanteuse Fishbach qui nous révèle un talent certain pour l’actorat. Pour le reste, les habitués du cinéma d’auteur français ne se mettent jamais en danger : Laurent Lucas, Philippe Rebbot, Emilie Gavois-Kahn… On aurait aimé davantage de profils atypiques pour porter ces rôles forts en gueule. Plutôt facile de se reposer sur un listing fourni tout cuit par quelques agents de la place.
Pour la musique, rien à redire. Enchaînant les tubes des Ramones, New Order, et The Jesus & the Mary Chain, le rock cohabite avec l’électro plus actuel de Vitalic et Moderat. La playlist trouve son équilibre entre nostalgie et contemporain. Le budget confortable a cependant son revers de médaille : parce que tout est trop propre, comme lissé par une absence d’urgence, la série parle d’une réalité désabusée avec un débordement de moyens bourgeois. On a l’impression d’étouffer dans une réalisation haut de gamme qui n’arrive jamais à sublimer son sujet. Et la bande-son sonne comme le vestige anachronique d’un esprit à jamais perdu.
Les flashbacks sont les plus révélateurs à ce sujet. Sensés nous témoigner la folie d’une époque révolue, on n’y voit que la reconstitution clinquante d’une vision fantasmée du rock. Alors oui, on se prend au jeu. Mais à choisir, on préfère se remater Vinyl de Martin Scorsese et Mick Jagger. Parce que si la série est loin d’être ratée, on lui demandait bien plus que d’être belle et académique, mais de transmettre une énergie sale et intègre. Bref, d’avoir du cœur. C’est bien beau d’habiller des métros aux couleurs de la série, mais le rock c’est se foutre à poil.
VERNON SUBUTEX A voir sur Canal+ Écrit et réalisé par Cathy Verney Avec Romain Duris, Céline Sallette, Fishbach