Focus : Filippo Fontana croque avec humour les dérives du monde moderne
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
En partenariat avec EasyClap.
Illustrateur italien basé à Bruxelles, Filippo Fontana s’est fait connaître avec ses Unes de journaux satiriques. Il transforme le pire de la culture, de la politique et de la richesse en illustrations jouissives rappelant le travail de Kyle Platts et Simon Landrein.
Des nouveaux riches de sa série Magnum aux dérives du show business dans Void, Filippo Fontana transforme la farce continue du monde moderne en illustrations satiriques… Qui nous tirent un sourire à pleines dents. L’artiste arrive à trouver la faille de ces personnages grotesques en accentuant leurs traits, sans pour autant en faire des clowns, mais en les mettant face à leurs propres excès et contradictions. S’appuyant sur le référentiel actuel de la pop culture, on peut voir Batman, Superman ou Naruto détournés de leur destin héroïque pour devenir des rebuts du système, quand il ne s’attaque pas frontalement au patriotisme exacerbé dans ses Unes de journaux satiriques. Avec légèreté et humour, Filippo Fontana remet au goût du jour la tradition italienne de la satire.
Marin : Hello Filippo. Peux-tu te présenter à travers 3 émojis ? Qu’est-ce qu’ils représentent pour toi ?
🔫🍾😷 : Je crois que ces emojis définissent assez bien ce que je fais.
M. C’est la question lifestyle : comment se passe pour toi une journée type de création ?
Une journée typique de création n’a rien de bien excitante pour moi. J’adore travailler la nuit. Quand je travaille, je mâche beaucoup de gomme et j’écoute de nombreux podcasts radio, liés généralement à la politique. Je suis un grand fan de musique gangsta rap, mais j’écoute aussi beaucoup de musique indie rock depuis peu. Je travaille actuellement sur Magnum 3, le dernier numéro de ma série de bande dessinée Magnum. Celle-ci sera liée à la politique internationale et à l’actualité.
M. T’as collaboré avec Gram Publishing, à part une unité de
mesurer, tu m’expliques en quoi ça consiste ?
Gram Publishing, c’est un super collectif d’éditeurs indépendants. Leur sélection est pleine de sujets pointus et cohérents. Leurs publications sont étroitement liées à la mode et à la culture urbaine. Je ne connais pas beaucoup d’éditeurs indépendants avec une identité aussi forte et définie. En plus, ils mènent une réflexion poussée avec une vision très « fraîche » des choses. On a décidé de collaborer car on a beaucoup d’intérêts en commun (à savoir la culture hip hop, l’ironie, la satire, etc.) et une vision proche du monde de l’édition indépendante.
M. Ce qui m’a particulièrement frappé quand j’ai découvert votre travail, c’est la dichotomie entre votre ta de couleurs joyeuses et sa charge politique. Pourquoi veux-tu transmettre ton engagement sous cette forme?
Pour être tout à fait honnête, les couleurs que j’utilise sont souvent choisies simplement en fonction à la technique d’impression que je vais utiliser. Je travaille habituellement avec des tons directs, donc la quantité et la combinaison de couleurs sont plutôt limitées. Mais j’aime aussi les couleurs très saturées en général. Comme les vignettes que je dessine sont satiriques, et parfois assez « sombres », les couleurs brillantes créent une beau contraste qui souligne leur ironie.
M. T’as abordé la question du matérialisme et de l’exhibitionnisme dans ta série Magnum. Quel est ton regard sur ce monde où l’argent est devenu un spectacle?
Oui, c’est évidemment le sujet le plus récurrent de mon travail. Pour l’essentiel, je reprends un concept similaire exprimé dans le roman italien Mastro-Don Gesualdo par Giovanni Verga. Dans l’histoire, le protagoniste, Mastro-Don Gesualdo, grâce à son travail acharné et ses efforts, parvient à devenir très riche. Mais en dépit de ses grandes facilités économiques, il est incapable de s’intégrer dans la noblesse italienne à cause de ses mains « grandes et calleuses ». Cette métaphore utilisée fait allusion à ses origines humbles et ses manières sans éducation.
De la même manière, aujourd’hui, un personnage comme le boxeur Floyd Mayweather, dont le père a été abattu par son oncle alors qu’il n’avait pas un an, et dont la mère était héroïnomane, grâce à son engagement est devenu le sportif le plus rémunéré de tous les temps. Le boxeur multimillionnaire est également connu pour son attitude sur les réseaux sociaux. Ses selfies avec des sacs Gucci pleins de billets de banque, ses photos dans un peignoir tenant des bouteilles de champagne, ou habillé avec des vêtements de sport en conduisant des Bentleys et Rolls Royces, expriment à peu près le même concept que les « mains grandes et calleuses » de Mastro Don Gesualdo.
La différence entre Floyd Mayweather et Mastro Don Gesualdo, c’est qu’avec le progrès social de la société occidentale du siècle dernier, le fait d’être riche en venant d’un milieu pauvre de nos jours n’est plus à cacher. Au contraire, le self-made man est devenu une figure à admirer, car le succès est réalisé entièrement avec son propre travail acharné, sans aucune recommandation, et sans nécessairement descendre de la société aristocratique. En fait, la figure du nouveau riche est célébrée surtout dans la culture afro-américaine, à travers le hip-hop notamment, et montrer sa richesse devient un symbole d’émancipation sociale. Ainsi, à travers l’énorme succès de la musique rap de ces dernières années, le phénomène de la richesse ostentatoire s’est étendue à l’échelle mondiale, devenant en quelque sorte un lieu commun. En plus, les réseaux sociaux sont l’endroit idéal pour se montrer, ce qui a fait vraiment exploser dramatiquement cette tendance.
M. Si t’es enfermé dans un bunker jusqu’à la fin du monde, tu préfères être avec Kyle Platts, Tony Montana ou un rappeur américain?
Facile, Tony Montana bien sûr.
M. T’as créé de nombreuses Unes satiriques de journaux de différents pays. Tu voulais développer une réflexion critique par l’association de ces images ?
Oui, totalement. Cette série d’affiches entend transmettre une vision de l’actualité internationale de manière satirique et stéréotypée, mais toujours étroitement liée à la réalité des faits. Pour que le lecteur puisse développer indépendamment une réflexion critique en réponse aux images, et de créer des associations entre la situation politique d’un ou plusieurs états.
M. Tu n’échappes pas à la question signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’une artiste ?
Hmmm… Celui qui crée ce qu’il veut, je suppose.