Le film du dimanche : « Gainsbourg (vie héroïque) », le conte intime de Joann Sfar
Ses origines ardennaises lui font aimer la bière belge autant…
Gainsbourg (vie héroïque) fête cette année ses 10 ans. À cette occasion, le premier film de Joann Sfar est disponible sur Netflix depuis début août. C’est avec bonheur qu’on (re)découvre l’histoire du sulfureux chanteur sous un angle tout personnel. Le Gainsbourg de Sfar sort d’un conte poétique où l’originalité dicte son tempo. Pour notre plus grand plaisir.
Les lobbys du tabac auraient sans doute aimé avoir un Joann Sfar sous le coude pour promouvoir la cigarette. Dans Gainsbourg (vie héroïque), les clopes – qu’enchaîne cette vieille canaille de Serge Gainsbourg – nous entraînent dans des volutes de délices visuels et sensoriels. Troquant sa casquette d’auteur de BD, l’artiste s’attaque en 2009 pour son premier long-métrage à la réalisation d’un film sur le mythique homme à la tête de chou. De quoi faire un brin flipper quand on constate que la plupart des biopics sont souvent sans relief ni réelle charge émotionnelle. Or, dans ce film, on a un vrai supplément d’âme : en partie, grâce à un casting de folie, mais pas que. Tout le génie réside dans l’art de Sfar de prendre la tangente en dévoilant une vision très personnelle de Gainsbourg. Car il s’agit ici d’un conte sensible, empreint d’arts visuels, qui esquisse des péripéties autant réelles que imaginaires et fantasmées par le réalisateur.
Sans céder à une certaine chronologie de la vie de Gainsbourg, Sfar se joue du classicisme en flirtant avec les ellipses temporelles et en imprégnant son film d’originalités. Pour les fans du dessinateur, le générique met l’eau à la bouche. Et pendant toute la première partie du film imaginant l’enfance de Lucien Ginsburg, le bédéaste, qui nous régale de ses aquarelles, prête son talent à Lucien, qu’il rêve de le savoir dessiner. Comme une quête d’évasion pour un petit juif sous l’Occupation. Seul bémol : on aimerait retrouver ces dessins tout au long du film.
Gainsbourg et Nosferatu
Mais le réalisateur nous emprisonne dans la magie poétique de son univers grâce à une élégante marionnette. Plutôt que de miser sur la convenue voix-off, il crée une sorte de double maléfique du Poinçonneur des Lilas, qui ressemble étrangement au Nosferatu de Murnau. Longiligne, grands doigts, costard noir, « la Gueule » incarne ce mystérieux démon qui semble aussi être à l’origine du processus créatif du musicien : celui qui le pousse vers la chanson, au détriment de la peinture. Aussi celui qui le mène vers la destruction, les excès, vers Gainsbarre.
Comme des notes qui se succèdent en pointillés sur une partition de musique, les chansons rythment ce film pendant plus de deux heures. La musique est omniprésente, lancinante, enivrante. Elle renforce certaines scènes d’un caractère émotionnel puissant, sinon sexuel, comme lorsque Gainsbourg couche avec sa première femme, Elisabeth, ou s’enchevêtre avec Jane dans la baignoire de la rue de Verneuil. Excepté l’enregistrement original avec Birkin de « Je t’aime… Moi non plus », toutes les autres chansons sont interprétées par les acteurs. Eric Elmosnino, qui campe avec justesse le personnage de Gainsbourg, n’a pas à avoir honte de sa voix.
Un air de comédie musicale
Les duos sont particulièrement savoureux, une ode à l’amour (et à l’adultère) avec Greco et Bardot. Cette dernière, remarquablement jouée par Laetitia Casta, dévoile – en plus d’un sein rebondi – une des plus belles scènes du conte, qui s’apparenterait presque à de la comédie musicale, avec une danse sensuelle et spontanée. De son côté, le duo avec un Boris Vian, toujours muni de sa trompette, sur « Je bois » est un hymne au lever de coude, à la fête, à la vie.
La vie, cette vie, c’est celle de Lucien Ginsburg, devenu Serge Gainsbourg, romancée par Joann Sfar dont l’humilité lui fait dire : « J’aime trop Gainsbourg pour le ramener au réel. »