Interview : Amandine Lesay tire le portrait de notre génération
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
En partenariat avec EasyClap.
Fortement attachée à la musique, Amandine Lesay a collaboré avec Calvi on the Rocks, Tomorrowland et plus récemment le Dour Festival. Bien que connue pour ses portraits d’artistes, la peintre issue du mouvement vandale des années 90 a plus d’une corde à son arc. Découverte.
Damso, Orelsan, Vald, Amélie Lens et Nina Kravitz étaient au Dour Festival cet été. Sur scène bien sûr, mais aussi en peinture avec des grands formats réalisés par Amandine Lesay. La street artist invitée par le mastodonte belge en est loin d’être à son coup d’essai, puisqu’elle avait déjà collaboré avec Calvi on the Rocks et Tomorrowland quelques années plus tôt. Mais son attraction pour la célébrité s’arrête à sa passion pour la musique. Pote de soirée, tête d’affiche ou parfait inconnu, sous son pinceau tout le monde est égal et chacun devient un sujet potentiel qu’elle s’efforce d’iconiser. Souvent intimes, parfois provocateurs et toujours surréalistes, Amandine croque le portrait de notre génération.
Des collaborations avec des galeries d’art, de grandes marques et le Tour de France
Exposée dans de célèbres galeries d’art (le Palais de Tokyo, Le Musée des Armées, le Musée Juif) et partenaires de grandes marques (Pantheone, Bellerose, Adidas), Amandine fait valoir son art avec des sommités. Mais là où elle nous a soufflé, c’est avec sa fresque monumentale réalisée pour le Tour de France, alors que le départ était organisé dans sa ville de cœur Bruxelles. Sur 3 facades et 24 mètres de haut de l’Institut des Arts et Métiers, l’artiste a mis à l’honneur deux figures du cyclisme belge : Eddy Merckx qui a remporté 5 fois le Tour de France, et Yvonne Reynders la quintuple championne du monde. L’occasion de tirer un trait gigantesque entre les générations, une célébrité masculine et une cycliste moins mise en lumière, tous deux au sommet de leur art.
Marin : Hello Amandine. J’ai découvert ton travail à travers tes portraits d’artistes. Pourquoi s’attaquer à cet exercice en particulier ?
Amandine : C’est un concours de circonstance au départ, je cherchais des motifs textiles pour une collection de fringues pour PNL. J’ai commencé à faire des portraits d’eux et j’imaginais leurs visages comme un papier peint. De là m’est venue l’envie d’un papier peint de rappeurs, comme un mur qui raconterait l’histoire du rap […] Mon but ici est de montrer les icônes modernes, d’être un témoin générationnel.
Le travail n’est absolument pas terminé, je voudrais faire une expo avec une centaine de portraits. C’est par le nombre et le panel de personnes, représentatives de notre époque, que cela aura du sens. Il se trouve que ce début de travail a collé avec la demande du Dour Festival. J’aime que mon art ait du sens, il a du sens pour le public car la musique et les chanteurs représentent un présent, un passé et une mémoire collective qui nous unit. C’est en particulier le retour des festivaliers qui m’a touchée.
M. C’est la question lifestyle : quelle est ta routine de travail ?
A. : J’aime faire des grosses sessions de 12H par jour, enfermée pendant une semaine ou deux. Je n’ai pas d’horaires seulement des délais : je trouve que cette phrase résume bien la temporalité du travail de l’artiste. Quand je crée, je passe en mode pilote automatique où tout est instinctif et évident. L’idée est de me déconnecter de mes pensées avec deux écrans, un avec les images qui m’inspirent, l’autre avec une série. Ainsi tous mes sens sont occupés – mes yeux, mes oreilles, mes mains ; c’est comme si j’avais trouvé le bouton off de mon cerveau. C’est aussi une manière d’évaluer mon temps de travail, j’ai par exemple réalisé tous les portraits du Festival de Dour avec les saisons de Game Of Thrones… Même si parfois j’essaie d’écouter des émissions plus culturelles.
M. Tu peins aussi de gigantesques fresques murales. Quel est le process pour réussir une œuvre à ces dimensions ?
A. : C’est vrai que le gigantisme est un défi à part entière, la mise en oeuvre va vraiment dépendre du contexte. C’est-à-dire la taille du mur, le recul, l’image représentée, la présence de nacelles, d’échafaudages… Concrètement, s’il y a la possibilité de projeter l’image je n’hésite pas, mais le travail de peinture reste compliqué car il faut en permanence prendre du recul. Le smartphone devient un outil indispensable pour zoomer dans l’image même si une bonne vieille feuille de papier reste utile… Pas besoin de recharger la batterie (rires).
M. Impossible de passer à côté de ton troisième sujet de prédilection, les selfesses. C’est quoi le secret pour peindre le booty parfait ?
A. : Premièrement je te dirais : choisis le bon modèle (rires). Après je ne dirais pas que c’était mon sujet de prédilection, mais c’est en passe de le devenir. Ce sujet correspond à une demande particulière dans le cadre d’une exposition et conférence autour la sexualité féminine au Consulat [NDLR : Ancien lieu culturel éphémère à Montparnasse].
C’est en adéquation avec un de mes sujets de prédilection, celui des images prises avec les téléphone portables, les témoignages d’instants de vie, les traces numériques du réel. Je choisis souvent des moments d’intimité, d’oubli, d’interdit, de plaisir… J’aime raconter les dérives de ma génération. Seulement ici le processus s’inverse, c’est le sujet qui se capte lui-même, et je deviens voyeuse malgré moi.
M. Pour finir, tu n’échappes pas à la question signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’une artiste ?
A. : C’est raconter le monde avec mon point de vue, être témoin d’une réalité, d’une génération, parler de mon époque, de ce que je connais. J’aime la beauté dans le laid, la douceur dans le trash, il faut que ça sorte des trippes mais avec maîtrise et travail.