Depuis qu’elle a pleuré de rire devant Charlot essayant de…
Pour la 5ème émission de la reprise de Profession…, le magazine tenu par Michel Denisot en 2018 et repris par Antoine de Caunes en 2020, l’animateur s’intéresse au métier de photographe. 6 grand.es reporters et portraitistes sont invités sur son plateau, ce lundi 19 avril à 22H50 sur Canal+.
Nina : Bonjour Antoine ! Tout d’abord, quel a été ton point de départ pour cette émission ?
Antoine de Caunes : Le principe de l’émission Profession est établi depuis 2 ans environ. Au départ c’est un format américain, adapté par les producteurs de Roger Productions. La première saison était animée par Michel Denisot, puis ils m’ont demandé de reprendre la suite. Dans ce genre de format, c’est bien de changer régulièrement d’animateur pour donner une approche et un ton différents. Photographe est donc le cinquième épisode depuis le début de la saison. C’est un thème que j’ai choisi car la photographie me passionne. Quand j’étais jeune, j’ai d’ailleurs voulu être photo-reporter et puis la vie en a voulu autrement… mais j’ai gardé ce goût de la photo.
N. : Oui, on le voit au magnifique Leica M6 que tu as posé sur la table…
A. : C’est un « petit » M6 qui ne me quitte jamais. Quand j’ai commencé la photo il y a très longtemps, on m’avait prêté un M3 qui prenait la poussière sur une étagère, et c’est avec ça que j’ai tout appris. Depuis, je suis très fidèle aux appareils Leica.
N. : On comprend mieux pourquoi ce sujet te tient tant à cœur. Qu’est-ce qui te motive dans le concept de creuser en détails une profession ?
A. : Oh moi, c’est mon cœur de métier si tu savais ! Je me suis toujours considéré comme un passeur, un transmetteur. Je suis là pour aider les gens à raconter leur histoire ; et à la rendre audible au plus grand nombre, non seulement pour ceux qui s’y intéressent mais aussi pour ceux que ça pourrait intéresser.
C’est d’ailleurs le but de l’émission : donner la parole à des individus pour qu’ils parlent de leur métier, de leur passion. Et il y a un intérêt supplémentaire, c’est que personne ici ne vient se vendre ou faire de l’auto-promo, il s’agit simplement de son métier. Ça permet de prendre de la hauteur, d’avoir une liberté de ton que l’on retrouve peu dans ce genre de format de conversation à la télévision. S’ajoute à cela qu’on n’est jamais interrompu… On est dans de la pure conversation pendant une heure. Évidemment, plus les gens communiquent entre eux, plus ils s’écoutent, plus ils s’intéressent, plus ça marche ! L’émission me semble réussie si un môme qui regarde se dit : « Wow, c’est ça que je veux faire plus grand. »
N. : Charlotte Abramow est très admirative du travail de Paolo Roversi, d’ailleurs ils se sont rencontrés par le passé. C’était un pur hasard de les réunir pendant cette émission ou tu connaissais ce lien ?
A. : Je savais qu’ils s’étaient croisés, et je me suis dit que cela mettrait Charlotte à l’aise d’avoir Paolo sur le plateau. Après, c’est toujours compliqué de jouer avec les emplois du temps… Donc il y a un facteur chance aussi.
N. : Quand tu as choisi ces photographes, tu as vraiment cherché ces différences de profils, d’approches du métier ?
A. : Oui bien sûr, on se serait ennuyé si on avait eu 6 photographes de mode ou 6 reporters de guerre ! Il faut toujours un équilibre, par exemple lorsque l’on entend Patrick Chauvel, ses histoires sont tellement dingues, son rapport à l’image, la raison pour laquelle il va aussi loin… Enfin, on pourrait passer une heure en tête-à-tête avec lui ! Mais on peut également passer une heure en tête-à-tête avec les 6 autour de la table. Chacun a un univers absolument extraordinaire à raconter, un background de dingue. Il faut donc trouver la bonne émulsion, pour que tout le monde s’exprime, et puis surtout qu’ils trouvent des intérêts réciproques à converser.
Mon inquiétude, c’était qu’il y ait un fossé entre les photographes de mode, de l’esthétisme, et les photographes de guerre. Ce sont des approches tellement différentes que j’avais peur qu’ils communiquent mal ou difficilement… Et en fait pas du tout, car les deux se fascinent mutuellement.
N. : Oui, c’est ce qui est fort. D’ailleurs dans l’émission, les photographes parlent souvent de « l’instant décisif ». Karim Sadli dit aussi que finalement, le modèle ne ment jamais lorsqu’on le prend en photo. Pour toi, c’est quoi l’instant décisif ?
A. : Il y a deux options pour l’instant décisif : soit tu l’as au moment où tu le fais, soit c’est quelque chose qui t’échappe.
J’ai un très bon exemple d’un photographe que j’apprécie énormément, Marcel Hartmann, qui a fait une série de photos de Kirk Douglas il y a quelques années au festival de Deauville. Il fait une photo de Kirk Douglas, un vieil homme avec cette tête marmorée absolument incroyable. Des portraits classiques, de face, regard vers l’objectif. À la fin de la séance, Marcel Hartmann remercie l’acteur, disant qu’il a ce qu’il faut… Et juste au moment où Kirk Douglas se lève pour partir : il déclenche. La photo, elle est là ! Tu as un profil de Douglas parfait, avec l’impression d’une statue romaine en noir et blanc. Il est relâché parce qu’il ne pose plus. Souvent l’instant décisif, c’est l’accident, celui qui précède l’instant que tu pensais parfait.
N. : Au fur et à mesure de cette discussion, qu’est-ce qui t’a le plus frappé, surpris dans le parcours et la démarche artistique des 6 photographes présents ? Tu les connaissais déjà, mais il y a sûrement des choses que tu as dû découvrir ?
A. : Ce sont des histoires tellement différentes… On est resté 1h15 autour de la table à parler mais je pourrais y être encore tellement c’est un sujet qui me passionne. La manière dont on représente le monde, c’est un sujet infini. Après ce sont des émotions. Par exemple, j’ai été très touché par la manière dont Paolo décrivait ses premiers émois, sa façon de comprendre la lumière, cette approche très poétique, impressionniste qu’il a. J’aime aussi beaucoup chez Véronique de Viguerie, cette espèce d’envie d’aller au bout, de passer les barrières, de se rendre là où souvent c’est dangereux, interdit, et encore plus pour une femme.
Chaque photographe a une motivation que je comprends parfaitement… Ça vaut pour Karim, pour la jeune Charlotte Abramow qui est plus contemporaine, moderne dans son approche.
N. : Pour toi la photo, c’était quand même un rêve d’enfant, alors ?
A. : D’enfant non, mais je m’y suis intéressé tôt vers 12-13ans. Je pensais alors que j’allais être photographe, donc j’ai travaillé dans une agence qui s’appelait Sygma, à ranger des négatifs, des diapos, bref les trucs chiants. Mais c’est la meilleure école. Vous faites une formation express et surtout vous fréquentez des photographes. À mon époque, il y avait les Henri Bureau, Christian Simonpietri, Michel Barbot… des types qui vivaient des histoires invraisemblables ! Je les admirais et j’attendais qu’un sujet se présente pour qu’on me donne ma chance. Finalement ça s’est produit, je suis parti faire un reportage au Pays Basque la nuit de la mort de Franco. Sur place, je me suis rendu compte que ce n’était absolument pas le métier que je voulais faire. J’avais envie d’image, mais pas de me retrouver comme ça sur le terrain.
N. : Pour revenir un peu sur l’émission, porte-t-elle principalement sur des métiers artistiques ?
A. : Non, pas uniquement. Récemment, on a fait des pâtissiers, des avocats, des écrivains. Il faut que ce soit des métiers où il y a quelque chose à verbaliser, donc ça peut être plein de métiers différents. Moi, je les pousse hors des sentiers battus pour faire toutes sortes de métiers. Par exemple, « Profession : Curé » ou « Profession : CRS », ça m’amuserait beaucoup (rires) ! Ou médecin urgentiste, pas pour être dans l’actualité, mais pour avoir vraiment la philosophie de ce corps de métier. Il y a encore plein de choses à faire, évidemment.
N. : En tant que journaliste justement, comment fais-tu pour être aussi touche-à-tout ? Cette curiosité, c’est dans ta nature ?
A. : Oui, c’est vraiment dans ma nature. Le jour où je cesse d’être curieux, je change de métier. Pour le moment, ce n’est pas une question que je me pose, c’est une nécessité. Je me réveille le matin et je suis heureux de ce que j’ai à faire dans la journée. Je suis heureux d’avoir à découvrir et surtout d’aider à faire découvrir. L’enthousiasme est inhérent à la profession de journaliste.
N. : Dans l’émission, tu as demandé aux photographes présents de parler d’une grande émotion ou d’un souvenir d’une photo en particulier. Toi-même, y a-t-il une photo ou le travail d’un artiste qui t’a ému et transmis cette passion ?
A. : Un en particulier, non. À mon époque, c’était les Doisneau, les Cartier-Bresson, Irving Penn ou encore Helmut Newton. J’ai grandi avec ça. Après, je suis devenu ami avec Mondino, parce qu’on démarrait dans les mêmes années.
Cela dit, j’ai chez moi une photographie de Philippe Halsman – tu sais, le photographe américain qui faisait sauter tout le monde en l’air – et c’est Fred Astaire suspendu qui vole, avec sa canne, son haut de forme, ses guêtres. Il a une espèce de décontraction ultime. C’est l’une des plus belles photos pour moi, un cliché qui m’inspire tous les jours quand je le vois.
N. : Enfin, la question signature chez Arty Magazine, c’est quoi ta définition d’un artiste ?
A. : Vaste sujet… Ça peut être une définition cornélienne ou racinienne (rires) ! C’est-à-dire aussi bien quelqu’un qui voit le monde comme il voudrait qu’il soit, mais aussi quelqu’un qui voit le monde tel qu’il est. Ça s’applique dans les deux cas. C’est un mélange de lucidité et d’imaginaire. L’artiste est quelqu’un capable de réinventer le monde en permanence. L’artiste est quelqu’un qui me permet de voir ce que je n’aurais pas vu sans lui…