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Interview : Baptiste Allard, au fil du piano avec son album « Rubato »

Interview : Baptiste Allard, au fil du piano avec son album « Rubato »

Marin Woisard

Le compositeur parisien Baptiste Allard s’est fendu un peu plus tôt dans l’année d’un magnifique premier album, Rubato, explorant l’héritage des Romantiques et des compositeurs de cinéma. Tout en légèreté et en simplicité, Rubato est une balade sensible qui marque les esprits en 12 titres.

Comment renouveler le piano en 2020 ? Si certains font le pari des hybridations électro comme la réinterprétation de Bach par Arandel, ou plus récemment la collaboration entre Bruce Brubaker et Max Cooper avec la Philarmonie de Paris, le pianiste touche-à-tout Baptiste Allard choisit de prendre la voie d’un classicisme romantique réactualisé de références cinématographiques. On entend, tout au long de son premier disque Rubato, la rencontre entre les BO de Michel Legrand et de John Williams, et les indéboulonnables maîtres que sont Frédéric Chopin et Franz Schubert. Sur ce territoire fantasmé entre les notes noires et blanches, Baptiste assemble thèmes personnels et fruit de commandes passées, dans un grand écart vibrant entre hier et aujourd’hui.

Marin : Salut Baptiste. Ton premier album, sorti le 8 mai 2020, s’appelle Rubato. Quelle est la signification de ce titre ? En quoi définit-il l’identité de ton album ?

Baptiste Allard : Rubato est un terme qui tire son origine du mot « rubare », qui signifie « voler » en italien. Il est arrivé sur les partitions de Chopin et toute la vague romantique. Il est devenu une indication de jeu qui permet à l’interprète de varier le tempo, les temps de la mesure à un moment précis et permet de donner une expression personnelle à la mélodie. Pour moi, c’est un outil formidable pour mettre en avant sa sensibilité. Durant mes années au Conservatoire, les professeurs m’ont trop souvent reproché de l’employer. J’ai donc décidé, en hommage à cette éducation classique, de nommer mon premier opus solo ainsi.

D’autre part, il fait référence au cinéma et à la musique de film. Faire du « rubato » prend tout son sens lorsque l’on compose pour le cinéma : suivre la cadence de l’image pour une émotion plus forte. Tout l’art du rubato est de savoir le doser, comme un vrai cuistot. Quand il y en a trop, la dégustation risque d’être salée. Je pense que dans cet album la recette est plutôt bien équilibrée.

M. Avant ce disque, tu t’es fait connaître dans la composition de musique à l’image, notamment en composant trois des B.O des longs-métrages du réalisateur italien Léonardo Tiberi. Quelle place occupe la musique de films dans ta vie ?

B.A. Effectivement, j’ai eu la chance de me plonger là dedans rapidement, dès la fin de mes études. La musique de film m’a toujours attirée depuis mon plus jeune âge. Mes parents issus du milieu artistique, m’ont baladé partout et toujours en musique. Le plus souvent accompagné en playlist avec des grands comme Delerue, de Roubaix, Sarde, Jarre, Legrand, Badalamenti, Rota, Morricone et bien d’autres… Je forgeais ma personnalité à la maison et ma rigueur au Conservatoire.

Une occasion s’est présentée en Italie et j’ai pu faire mes premières armes. Ça a été une expérience assez hors-normes. Je savais écrire de la musique pour moi, mais pas pour un film. Il ne suffit pas seulement d’écrire des notes sur une portée. Il faut être un vrai couteau suisse et gérer énormément d’étapes dans le processus de la post-production. Chose que j’ai dû apprendre sur le tas. S’y atteler sans parachute reste le meilleur apprentissage. Depuis, ma vie se rythme en fonction de cela. J’élargis mon champs des possibles en mettant en musique des genres différents et j’essaye de me faire une place. Une carrière dans le cinéma, oui. J’y vais avec joie et conviction. Apparemment la route est longue, ça se bonifie avec le temps, comme un bon vin.

M. On trouve dans ton album une référence cinéphile au Citizen Kane d’Orson Welles avec le morceau Rosebud. Que représente ce film pour toi ? Composes-tu avec des images en tête ?

B.A. Citizen Kane est un film qui tourne autour du mystérieux mot « Rosebud » (littéralement, le bouton de rose), qu’un magnat des journaux américains (Orson Welles) prononce juste avant sa mort. Toute l’histoire démarre avec cette énigme. J’adore les énigmes, le mystère. Pour moi, c’est en quelque sorte tout le talent des américains et l’image que l’on peut se faire du 7ème art concentré dans un film. Je l’ai vu plusieurs fois jeune et récemment encore.

Mon titre Rosebud y fait bien sûr écho. C’est une sacrée référence. L’histoire de la musique de film est marquée de grandes époques, et le compositeur Bernard Herrmann en est l’un des plus grands et influents. Ce sont tous les codes du romantisme et post-romantisme de la musique mis au service du cinéma. Dans mon album, certaines pistes sont tirées directement de films ou projets auxquels j’ai participé. Pour les autres, dites originales, je fais mon propre scénario et quand je suis à mon clavier, les images viennent et j’écris.

M. D’autres titres laissent parler l’intime comme Love Theme ou Chagrin. Comment fait-on pour renouveler l’exploration des émotions humaines au piano, considérant l’héritage laissé par les Romantiques et les Écoles de Vienne ?

B.A. Très bonne question. Souvent, j’essaie de m’imaginer à cette époque dans le paysage viennois aux côtés de Mozart, Beethoven ou Schubert. Quelle aurait-été ma place ? D’ailleurs, aurais-je été compositeur ? Chacun de nous arrive dans ce monde à un certain moment, avec sa génération, son époque et un magnifique grimoire que j’appelle « héritage ». Plus le temps avance, plus il sera riche et grand. C’est hyper positif, cela veut dire qu’on peut y participer, construire de nouvelles choses. Facile à dire, très difficile à faire. C’est l’enjeu du compositeur qui évolue avec son temps. Il sera toujours entouré ou précédé de génies, mais heureusement pour lui, il vivra et ressentira ses émotions propres. La musique en est une. Alors je me nourris un maximum de mon jardin et l’intime fera le reste.

M. Cette année 2020 a été placée sous le signe du piano avec les sorties de Hania Rani, Arandel, Bruce Burbaker ou encore Lucien Bruguière. Quel est ton sentiment face à l’émergence d’une nouvelle génération de compositeurs ? Comment vois-tu l’avenir ?

B.A. Pour être honnête, j’ai été agréablement surpris d’une telle émergence dans ce secteur, et de voir une telle richesse de la nouvelle génération dont je fais partie. Quand j’ai fabriqué cet album, au début je pensais être seul ou du moins faire partie d’un petit mouvement. Mais au fil du temps et à la suite de mes recherches pour comprendre où placer Rubato, j’ai eu de bonnes surprises. Je suis très heureux de voir que le piano n’a pas perdu de sa superbe, mais surtout qu’il arrive aujourd’hui à sortir aisément des carcans classiques. Les styles sont variés et le piano feutré. Il devient soudainement très intime, dans le ressenti et le jeu.

On peut dire aujourd’hui qu’il fait désormais concurrence au démonstratif et à l’éloquence des interprètes des grandes salles. Il va encore évoluer dans le bon sens, je le sens, le public est très présent. Les touches blanches et noires joueront toujours ensemble, partout, pour tous.

M. Et comme c’est la tradition chez Arty Magazine, quelle est ta définition d’un artiste ?

B.A. Un artiste est un rêveur. Il puise chez les uns et les autres qui l’entourent pour n’en ressortir que le meilleur. Il est l’un des témoins de notre histoire, d’une période unique, qu’il retranscrit avec toute son honnêteté.

Écoutez Rubato de Baptiste Allard sur Spotify.

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