Ayant erré dans le milieu de la finance pendant quelques…
Ben Mazué vient de sortir Paradis, son quatrième album, écrit à la Réunion. Entretien avec son auteur-compositeur.
Ben Mazué nous confie sans détours ses émotions qui torpillent le cœur, les tempêtes affrontées et ses espoirs pour ses enfants en nous livrant un album-guide pour bien se séparer et sur la parentalité. Dans cet album, le quotidien et ses petits détails sont sublimés par une écriture touchante et d’une rare justesse.
Pour un disque de rupture, le ton y est particulièrement lumineux, bienveillant et résilient. Paradis est un album qui fait du bien, comme une sorte de thérapie.
Anoussa : Paradis, ton quatrième album, est sorti il y a 2 semaines. Comment te sens-tu ?
Ben Mazué : Je me sens bien, un peu pris dans un tourbillon sympathique qui est plutôt agréable. Ça me fait plaisir de parler de cet album que je suis fier de porter.
A. : Quel est ton sentiment face à ce contexte particulier de sortie ?
BM. : Je n’ai pas l’impression que les gens soient moins attentifs, voire au contraire. C’est peut-être plus embêtant sur la présence de mes disques en magasins. Je pense qu’un jour, ce confinement et cette distanciation vont s’arrêter. On va à nouveau avoir le droit de se toucher, de se réunir, de se fédérer, de dîner ensemble, de partir en week-end, d’aller voir des spectacles et des festivals. Et quand ce moment arrivera, on va vivre un moment incroyable de libération. Je m’accroche à cela.
A. : Cet album est axé autour de deux thèmes principaux. Le premier est celui de la séparation. Cet album a-t-il eu une vertu thérapeutique pour toi ?
BM. : J’espère que le métier que je fais est thérapeutique parce que je passe mes journées à le faire. C’est une chance énorme de pouvoir faire un métier qui te fait du bien, qui te sauve, qui te guérit, qui te nourrit. J’ai cette sensation même quand je ne parle pas de rupture. Le fait de faire des chansons de mon côté me fait du bien. Je pense qu’écrire des chansons sur la rupture a été thérapeutique. Mais quand je fais des chansons pour un album, il faut surtout que l’émotion soit partageable, diffusable. L’idée est de trouver un écho et que ça résonne, sinon c’est inutile.
A. : Pour un disque de rupture, il est particulièrement lumineux et rempli d’espoir. Comment fait-on pour bien se séparer ?
BM. : Je pense qu’il faut aller tout au bout de l’histoire, au fond du fond de la tristesse, de la difficulté, de l’enthousiasme, de l’envie. Il ne faut rien regretter, c’est ce qui permet de se séparer en étant digne. Ce n’est pas très drôle comme réponse mais elle est sincère.
A. : Tu as aussi écrit sur le couple heureux. Par quoi es-tu le plus inspiré ? La tristesse ou le bonheur ?
BM. : Le plus inspirant, c’est le déséquilibre. Quand tu te sens déséquilibré dans une émotion qui te remplit tellement qu’elle te pousse à faire quelque chose : ça peut être chanter, danser, écrire. C’est de ce déséquilibre que vient l’inspiration. Et, ce déséquilibre peut être dans plein de trucs : dans le bonheur, dans le malheur, dans le stress. Je préfère ce déséquilibre dans le bonheur. Quand je suis déséquilibré de bonheur, c’est vraiment un truc assez agréable. Souvent, quand on vit des choses très agréables, on n’a pas envie d’en parler, on veut surtout se mettre à en vivre. J’écris beaucoup sur le malheur parce que j’ai envie de l’expliquer. Parce qu’en l’expliquant, j’ai l’impression que je vais l’éteindre alors que le bonheur, je n’ai pas envie de l’éteindre.
A. : Le second thème de ton album est relatif à celui de la parentalité. Peux-tu nous parler du titre Parents qui évoque les couples ne désirant pas d’enfants, sujet assez tabou dans notre société ?
BM. : J’ai écrit cette chanson avec le groupe Ma Pauvre Lucette (MPL). Quand on s’est rencontrés, on a parlé de ce thème en se disant que la famille telle qu’elle est décrite aujourd’hui classiquement, ce sont des parents et des enfants et c’est tout. Alors que ça pourrait être des tas d‘autres trucs : des oncles, des tantes, des figures parentales qui sont parfois un voisin, un animateur télé que tu trouves génial. Il y a plein de choses qui créent la figure parentale et il y a donc plein de choses qui font de nous des parents.
C’est intéressant de se dire que si tu vis en couple avec quelqu’un et que tu n’as pas de désir d’enfants, ça ne fait pas de toi quelqu’un qui n’est pas famille ou qui n’est pas tendre. La famille, c’est plein de conjugaisons. Je crois qu’il faut donner de la place aux gens qui ne veulent pas d’enfants parce que c’est aussi dans une démarche écologique. Il ne faut pas penser que ces gens sont défaitistes ou tristes d’être ce qu’ils sont. Ils ont juste envie de penser le mot famille autrement et ce n’est pas mal.
A. : Sur cet album, il y a 3 featurings avec des artistes aux univers très différents les uns des autres. Comment sont nées ces collaborations ?
BM. : Jérémy Frérot, je le connais depuis qu’on a commencé la musique ensemble. Sur son premier album Matriochka, il y a la chanson Gaffe aux autres qu’on a écrite ensemble mais qu’il chante seul. Sur mon album, j’avais envie de chanter cette chanson avec lui. J’aime bien quand les chansons traversent des albums, témoignent d’une connivence, d’une sympathie et d’une appartenance. Et, j’ai beaucoup d’admiration pour le bonhomme que j’aime beaucoup. C’était une manière d’associer du travail avec des gens qu’on aime et qu’on admire.
Pour Poupie, je suis tombé sur son EP que j’ai saigné à mort. Je cherchais une voix dans son genre. Je lui ai envoyé un message en espérant qu’elle réponde positivement. En se rencontrant, j’ai découvert une femme extrêmement simple et facile d’accès.
J’ai découvert Anaïde Rozam sur Instagram, comme beaucoup de gens, à travers ses pastilles où elle campe des personnages très différents. J’ai trouvé qu’elle était très bonne comédienne. Pour le titre Semaine A / Semaine B, je cherchais une comédienne pour faire le rôle de cette maman. Je lui ai envoyé la maquette et elle m’a dit qu’elle était intéressée. Elle est venue en studio en me disant qu’elle ne savait pas très bien faire mais en réalité, elle savait très bien faire.
A. : Au niveau de la production, il y a quelque chose de très orchestrale voire symphonique avec notamment la forte présence de cordes et de cuivres …
BM. : Je voulais qu’on fasse avec les moyens du bord. Avant tout, c’est Guillaume Poncelet les moyens du bord. Guillaume est un compositeur, arrangeur avec qui je travaille depuis 3 albums. Il est assez virtuose, il a eu le Premier Prix de Conservatoire de trompette et en même temps, il joue tous les pianos de l’album comme un dieu. Il fait cette jonction entre la musique apprise, la musique de conservatoire, la musique scolaire, la musique écrite sur des partitions et la musique autodidacte que je fais et que j’ai apprise sur le tas. Il fait cette jonction sans jamais y mettre le moindre jugement. Il n’est pas supérieur au prétexte qu’il a fait des études, au contraire il s’adapte et il me propose d’ajouter de l’élégance à ce que j’amène. C’est un énorme atout. Je voulais faire travailler Guillaume sur les cordes car c’est un excellent arrangeur de cordes. J’adore ce qu’il fait donc c’était surtout pour me faire plaisir !
A. : Comment as-tu travaillé cette production avec Guillaume Poncelet ?
BM. : Je voulais qu’on fasse tout nous-même. Je ne voulais pas faire venir un batteur, un guitariste, un bassiste. Je voulais qu’on joue tous les instruments. J’ai joué la plupart des guitares et fait tous les chœurs. Guillaume a joué tous les pianos, les basses, les trompettes et les cuivres. On a aussi travaillé avec le beatmaker 2B avec qui j’avais collaboré sur le morceau J’attends (avec Pomme) qui figurait sur la réédition de mon précédent album Les Femmes Idéales. J’avais aimé sa manière de travailler le beatmaking.
A. : Pour conclure cette interview, voilà notre dernière question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
BM. : C’est une question qui d’abord commence par un silence. La définition d’un artiste se rapproche de celle de l’artisanat. Un artiste, c’est quelqu’un qui crée avec ses mains. Dans l’artisanat, il y a quelque chose de très utile, tu crées un produit avec tes mains qui aura une utilité, comme une carafe d’eau. Dans l’artistique, il y a quelque chose de très inutile. Mais, je suis pour l’inutile, ce n’est pas un mot moche dans ma bouche, au contraire.
Les commerces considérés comme non essentiels le sont dans l’urgence. Mais, dans la vérité d’une vie, c’est totalement essentiel et on s’en rendra compte quand on aura à nouveau le droit de se fédérer, de se rencontrer, de se réunir.