Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Avec leur 2nd EP L’Élite de la nation, Julie Roué et Angèle Chiodo de Carte Contact dézinguent nos névroses avec un électro communicatif et des paroles désabusées. Leur musique taillée pour danser est la promesse d’une libération des corps et de l’esprit.
Sorti le 8 février 2020, le second EP de Carte Contact, L’Élite de la nation, embrasse dur et cogne tendre en quatre titres : Drogue sur les dérives de la fête parisienne, Emmanuel Macron sur le cauchemar électoral, D’accord pour dire qu’on ne l’est peut-être pas et Je me déteste un peu pour faire la paix avec soi. Ce mini-album est signé par deux cœurs perdus dans le flot des colères contemporaines, entre coups de gueule contre la société et hymnes à expier nos névroses.
Cet uppercut trouve sa raison d’exister entre le foutraque et la transe, comme si des productions brutes aux visuels spontanés, Carte Contact avait trouvé sa voix pour parler avec les tripes.
Marin : Bonjour Julie et Angèle. Il paraît que votre groupe Carte Contact est né pour les besoins d’un film ?
A. : Je cherchais un.e compositeur.rice pour la musique de mes courts-métrages, et Julie avait une approche très expérimentale de la musique. Elle a une personnalité forte avec un côté caméléon à pouvoir copier des styles hyper vite, ou faire des propositions bruitistes farfelues. Ça m’a plu tout de suite de travailler avec elle. Après on est devenu amies et elle m’a demandé d’écrire les couplets d’une chanson pour un film.
J. : C’était pour Jeune femme de Léonor Serraille. Je devais composer une chanson à l’image de l’héroïne du film, c’est-à-dire un peu pétée mais attachante. Je connaissais la voix d’Angèle et les chansons qu’elle avait fait avec un ami, Golden Q. On a écrit comme ça, en deux jours, la chanson Like A Dog. Angèle a une approche complètement intuitive des chansons, elle fait exploser mes structures et démolit tout ce qui est un peu trop joli. Ça fait mal mais c’est génial parce que ça m’oblige à aller toujours ailleurs.
M. : Quels artistes écoutez-vous en ce moment ?
J. : On n’écoute pas les mêmes choses, mais on se fait découvrir des artistes. J’écoute pas mal de pop américaine grand public et EDM. Tout ce qui fait danser. En ce moment, j’écoute Billie Eilish, le trio Labyrinth, Sia et Diplo. J’adore le dernier EP de Charlotte Adigéry. Côté français, Irène Dresel, Kompromat ou encore Jeanne Added.
A. : En concert j’ai hâte de revoir Thee Agnès Muller. Sinon je suis fan du label Habibifunk, j’écoute leur Soundcloud tout le temps. Christian Löffler aussi. Aucun rapport, j’adore Mathilde Fernandez. Quand j’écoute sa voix je me prends pour une duchesse. Encore aucun rapport, en ce moment je réécoute Casey que j’admire beaucoup. Elle a une manière d’écrire sincère et directe, ça fait du bien.
M. : Vos textes sont désabusés, dansants et décomplexés. Peut-on danser de tout avec Carte Contact ?
A. : C’est le but. Emmanuel Macron est une chanson qui pourrait presque passer pour un lip-dub pro Macron. Ce n’est pas nouveau de se déguiser en roi, c’est le travail des bouffons et du carnaval. Par contre à la fin, quand on chante « dialogue social » – surtout pendant le solo de Jean-Christophe Supercherry, ça m’émeut. J’y crois vraiment.
Les élections sont toujours des périodes affreuses. J’aimerais avoir l’air intelligente avec un propos construit, mais franchement non… J’ai découvert la politique avec « Votez Chirac », quel cauchemar ! J’essaie d’en rire parce que c’est une des seules choses que je puisse faire, ça ne coûte pas cher.
J. : On peut danser de tout et surtout on doit le faire. Danser est le meilleur remède au cynisme, mon hygiène de vie comprend deux cours de zumba par semaine.
M. : Il y a aussi Drogue, un titre presque nihiliste…
A. : Drogue raconte ce que tu caches sous le tapis pour pouvoir t’amuser. La fête à Paris est souvent un entre-soi classiste, validiste, qui cache la misère personnelle et sociale. Tout le monde connaît ce paradoxe. La question du plaisir individuel et du groupe se pose, de comment tu te positionnes là-dedans. Je trouve sain de se demander comment on s’amuse, avec qui, aux dépens de qui. Bon ça donne clairement pas envie de faire la fête avec moi, tant pis (rires).
M. : Pourquoi avoir opté pour des visuels aussi do-it-yourself ? Une influence de la culture Internet ?
J. : Le visuel c’est Angèle.
A. : J’ai fait des études d’arts, mais faire son propre graphisme c’est assez casse-gueule. Je n’ai pas trop de recul. Les codes de la culture Internet comportent une bonne dose d’idiotie et de déluge de n’importe quoi dans lequel je me sens bien. La culture Internet va contre tout ce que j’ai pu apprendre à l’école, où on nous a appris une certaine notion du bon goût, de la vraie culture.
Le langage visuel du web ouvre des possibilités niveau créativité, et brouille la hiérarchie des institutions de l’art, avec ceux qui savent et les autres. Ça me fait tellement rire de voir des choses aberrantes visuellement, iconoclastes, hyper mal faites, qui touchent des millions de gens d’un coup. Et parfois c’est vraiment beau.
M. : La dernière question est la signature chez Arty Magazine. Quelle est votre définition d’une artiste ?
A. : C’est une étiquette assez bizarre. « L’artiste » fait appel à des notions dépassées de type « ceux qui ont de la poudre d’or dans les veines » versus ceux qui n’en auraient pas. Pour moi, il y a ceux qui se sentent légitimes pour se dire artistes, et ceux qui n’osent pas. En soi faire de l’art c’est essayer de s’accommoder avec le réel et construire des choses avec cette matière, essayer de le partager avec d’autres humains. C’est très basique, ce n’est pas snob, mais malheureusement tout le monde n’a pas l’occasion de le faire, parce qu’il faut un peu de temps pour le développer, s’approprier des techniques, rater, ne pas se démotiver, et si tu veux en même temps gagner de l’argent pour te nourrir c’est compliqué.
Cette notion d’Art avec ses corollaires le Génie et l’Inspiration sont plutôt démotivants pour une bonne partie de la population qui se dit « c’est pas pour moi. » Ce sont des classifications autoritaires et excluantes.
M. : Et toi Julie ?
J. : C’est vrai que c’est compliqué de se déclarer « artiste », au final les seuls que ça intéresse vraiment, c’est le Trésor Public. Je ne pas si ce qu’on fait est de l’Art, mais on essaie de parler aux gens, dans leur tête et dans leurs tripes. Dans une chanson comme Drogue, on part d’un endroit très brut, avec une instrumentation bruyante et souterraine, pour aller vers une fin lyrique, dans les airs.
La musique, c’est tout ce qu’on ne dit pas avec des mots, mais qui parle directement au corps pour aller jusque dans les pieds, qui nous extirpe d’un sentiment de départ un peu poisseux. C’est comme prendre un élastique, l’étendre au maximum et se rendre compte qu’en tirant, ça fait de la musique.