Professeure de philosophie et étudiante en histoire de l'art le…
1978-2063, 85 ans séparent ces deux années. Tel un rendez-vous de carrière, nous allons discuter avec Charlie Winston de son évolution dans la musique, de sa naissance dans une famille de musiciens à cette lettre qu’il s’écrit pour le Charlie du futur dans son dernier album, As I Am. De quoi en savoir plus sur le plus français des anglais.
Manon : Salut Charlie, tu nais en 1978 dans une famille de musiciens, est-ce que ça a influencé ensuite ta manière de travailler, de côtoyer le monde musical ?
Charlie : En fait, les influences sont directement familiales, mes parents qui étaient des chanteurs, on habitait dans un hôtel et il y avait toujours une ambiance de musique, de théâtre, de comédie… c’était très festif, il y avait deux salles de spectacle, deux restaurants, et deux bars.
M. : Oui, donc cela t’as quand même dirigé très vite vers la musique.
C. : Oui, vraiment, le bar en bas de chez mes parents s’appelaient « Charlie’s Bar », donc je pense que ça me donnait un peu de fierté, peut-être.
M. : En 2006, tu enregistres ton premier album, Make Way, comment en viens tu à enregistrer un album alors que tu n’as rien sorti vraiment avant ?
C. : J’avais déjà enregistré avec mon frère ses albums et j’étais très souvent en studio à cette époque, j’ai aussi fait produire des albums pour d’autres artistes. Donc j’étais confiant, un peu trop confiant peut-être, mais c’est important. J’ai eu comme une vision dans ma tête de ce que je voulais faire, tout n’était pas prévu mais j’ai exploré et essayé des choses.
M. : En 2007, tu deviens le « baby-sitter » du fils de Peter Gabriel. Est-ce que tu peux nous expliquer cette rencontre qui t’a conduit ensuite à faire des premières parties ?
C. : En fait, ce n’est pas exactement ça, ça a commencé parce que j’ai joué de la basse dans le groupe de mon frère et il a signé un contrat avec Sony pour faire un album. On a enregistré ensemble dans « Real World Studios » de Peter Gabriel donc on le croisait souvent, on mangeait tous ensemble. J’ai rencontré Peter là, mais aussi sa femme Melanie, elle a ensuite déménagé de New York à Londres à côté de chez moi, pas loin, juste dix minutes, elle n’avait pas beaucoup d’amis dans cette nouvelle ville, donc j’ai l’invité à nos concerts. Elle est très vite devenue notre amie et finalement, avec ma copine, elle a nous a invités à passer des vacances donc on a passé deux semaines là-bas avec lui, en famille, et son fils de trois ans. Quelques mois après ça, il y avait une cérémonie de remise de prix auquel ils devaient être tous les deux, ils n’avaient personne pour garder leur fils donc je m’en suis occupé. À la fin, j’ai donné mon petit EP, Going Hobo, à Peter, et trois mois après ça, il m’a appelé pour dire qu’il adorait, et j’ai commencé ses premières parties.
M. : En 2008, Like a Hobo paraît, et entre directement numéro 1 dans les classements en France, comment tu vis cette très rapide exposition ?
C. : C’était très excitant, mais intense, bizarre aussi, parce que j’ai une très grande communauté de musiciens et des amis aussi à Londres, et là une nouvelle vie s’offrait à moi en France dont mon équipe de management. Quand tu as du succès, tu es très occupé, tu dois toujours faire des interviews, les radios, télévisions, concerts, c’est intense, mais j’ai beaucoup aimé. Je ressentais aussi beaucoup de solitude en même temps, parce que c’était difficile de partager mon expérience avec quelqu’un d’autre, ou parler avec des gens que je connais bien, parce que tout le monde voulait être mon ami. C’est un peu comme un trophée de connaitre quelqu’un qui est célèbre, on a une maladie avec la célébrité dans notre culture, on change notre compréhension, notre sens de réalisation, c’est très bizarre.
M. : En 2010, tu fais ta première tournée Hit The Road avec ton album Hobo paru l’année d’avant, comment tu vis cette première fois d’aller de ville en ville devant les gens pour présenter ton album ?
C. : C’était incroyable, spécialement parce que c’était un gros tube, tout le monde était hyper excité, autour de toute la tournée, c’était fun et mon groupe était super. Mais j’avais déjà fait beaucoup d’expériences en tournée, avec mon frère aussi, pas la même ampleur, mais quand même.
M. : Est-ce que tu as une anecdote ou un fait marquant justement de cette tournée là ?
C. : En fait, je pense que l’anecdote remarquable pour moi c’était le moment où j’ai fait un festival à Nîmes dans l’Arena, et c’était avec la chanteuse anglaise, Duffy, qui était très très connue à ce moment. Elle était la dernière à jouer sur l’affiche, mais pour une raison que je ne connais pas, ils ont décidé de changer pour mettre moi à la fin de la nuit. Quand j’ai rencontré Duffy, elle n’était pas contente du tout, elle m’a dit « ah c’est toi Charlie Winston ». (rires)
M. : En 2011 paraît Running still, un second album aux titres marquants, dont je retiens Where can I buy happiness… quel regard as-tu sur les paroles de cette chanson aujourd’hui ? Est-ce que depuis le temps maintenant, tu as trouvé le vendeur du bonheur ?
C. : Non, c’est impossible d’acheter le bonheur, mais je pense que c’est utile de chercher à suivre ce qui apporte du bonheur. En fait, c’est toujours là, si on veut le choisir, si on veut l’avoir, c’est juste une décision, mais l’acheter, c’est impossible. Moi j’ai le bonheur dans ma vie, et c’est parce que je l’ai choisi. Des fois, non, c’est vrai, il y a des moments compliqués, c’est ça la vie, mais on a toujours le pouvoir de choisir, même quand c’est difficile.
M. : L’année suivante, en 2012, tu travailles avec Saule, tu es producteur de son album. Tu apprécies ce travail de l’ombre aussi, de travailler pour d’autres ?
C. : Oui, beaucoup, oui. Je fais ça depuis longtemps et c’était vraiment un plaisir de faire ça avec lui. J’aime bien faire mon projet aussi, mais je pense que je préfère travailler pour les autres.Et puis, je suis un papa, donc je réduis un peu les autres projets, mais j’adore ça.
M. : Ensuite, en 2014, tu as ton troisième album Curio City avec des sonorités plus électro. Pourquoi ce choix ?
C. : C’était un peu choquant pour le public français justement. Pendant cette époque, j’ai vu deux films qui m’ont influencé beaucoup, Blade Runner et Drive. J’ai adoré l’atmosphère des deux films, ça m’a donné l’envie. Aussi, j’ai acheté une maison à Londres, après 6 ans de vie à Paris et c’était vraiment le mood de Londres. C’était une autre direction et je n’aime pas l’idée d’être dans une boite : « ah il va faire ça à chaque fois ». Je préfère essayer d’autres choses, évoluer.
M. : En 2015, j’ai l’impression qu’il y a un peu une transition que j’appellerais « écologique et humanitaire », il y a le clip de Say Something que tu fais avec les réfugiés à Calais, tu participes à la COP21, tu vas discuter avec des étudiants, tu es engagé avec l’association 4Ocean… Est-ce que c’est une prise de conscience qui était déjà en toi ou il y a vraiment cette année-là quelque chose qui change ?
C. : Je pense que c’est un petit peu les deux parce que j’ai déménagé à Brighton dans le sud d’Angleterre et là-bas c’est très écologique et conscient de toutes les choses comme ça. Mais aussi, j’ai eu une prise de conscience que j’étais très égoïste, que je me focussais sur moi tout le temps. C’était juste le moment. Peut-être que j’avais besoin d’avoir un équilibre de vie entre le fait d’être Charlie Winston et de réaliser que je peux utiliser ma position et mon statut pour donner quelque chose aux autres. C’est aussi une époque avec beaucoup de mouvements militaires, racistes, des guerres, du fascisme, Trump, le Brexit… Ce n’était pas pas juste dans ma tête, mais c’était une conversation publique aussi. Quand tu es engagé dans des projets comme ça, il y a deux choses. Premièrement, ça prend beaucoup de temps. Et deuxièmement, c’est difficile de changer le comportement des gens. Je ne me considère pas comme un activiste, je voulais juste donner quelque chose. Maintenant c’est plus un engagement personnel. Je pense que c’est important de chercher intérieurement le changement qu’on veut avoir dans le monde.
M. : En 2017, tu annonces une pause dans ta carrière qui finalement ne se passe pas vraiment comme prévu. Comment tu vis ce moment ?
C. : Dépressif. Très dépressif. J’avais plusieurs problèmes entre la santé de mon enfant et mes problèmes de mal de dos, mon déménagement dans le sud de la France imprévu. J’avais décidé d’aller vivre au Malawi avec ma famille pour quatre mois et finalement on a du annuler pour la santé de mon fils qui est épileptique. Ça a été une période compliquée, mais ça va beaucoup mieux.
M. : 2018, ton album Square 1 marque justement l’envie d’un nouveau départ, aussi bien musicalement avec des nouvelles sonorités, des nouvelles envies, que personnel avec une nouvelle vie en France ?
C. : C’était cool, mais j’ai eu des difficultés, de contrat, de label, ma santé, du fait de revenir. Chaque artiste qui a une carrière longue, il y a toujours un moment où c’est difficile. Il faut recréer de la nouveauté. j’ai changé de label pour aller chez Tôt ou Tard, ça a tout changé.
M. : Pendant l’année 2019, tu parcours les routes européennes pour une tournée qui t’emmène entre autres à Copenhague où tu profites du mois le plus froid de l’année pour faire un plongeon dans le fleuve, mais aussi à Tahiti et Moorea juste avant l’annonce de la fermeture des frontières à cause du COVID. Apprécies-tu ces périodes où tu parcours les pays et villes, où ta maison est un tour-bus pendant quelques mois ?
C. : J’adore. C’était juste avant le Covid. J’ai fait une tournée presque tout seul, j’ai adoré faire ça. J’étais avec une amie qui fait tous les filmings et les blogs, c’était très marrant.
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M. : L’année 2020 annonce aussi une période de Covid et de confinements, c’est pour toi une année où tu profites de ce temps pour écrire et te recentrer sur toi et ta famille. Comment vis-tu cette année ?
C. : Je travaillais beaucoup. Ma femme faisait l’école chez nous et moi, j’étais dans la cabane et je travaillais. C’était difficile aussi, comme pour tout le monde. Mais c’était un moment spécial, je pense que j’ai beaucoup aimé.
M. : 2022 est justement l’année de la sortie d’As I am, de sa tournée, de la création d’un podcast « As we are » où tu convies des invités. Comment perçois-tu la réception de cet album et du projet par les gens qui te suivent ?
C. : Incroyable, c’était super. Je n’ai pas porté beaucoup d’attention à la réception, mais j’ai eu beaucoup de retours des médias. Mais même avec le public, je pense qu’ils ont apprécié. Tout le monde m’a dit que l’album les touchait alors ça m’a touché aussi (rires).
M. : Pour l’année 2023, tu poursuis ta tournée en dehors de l’Europe avec une tournée nord américaine (Etats-Unis et Canada), puis de retour en France avec 4 sessions « As i jam », des concerts intimistes avec des invités qui retracent, un peu à la manière de cette interview, ta carrière. As-tu l’impression que cet album marque un tournant dans ta carrière ? Que ces concerts où tu retrouves tes proches pour 4 soirées mystères créés une sorte de transition entre le passé et ce qui se passera ensuite ?
C. : Je ne sais pas. Je suis toujours là. On aime bien le mot « come back », « retourner ». Là, par exemple, les quatre concerts, c’est une petite transition. C’est un moment où je me rappelle qui je connais et qui est important pour moi, ou qui donne quelque chose et c’est aussi une façon de me remettre dans l’ombre pour laisser la scène aux gens avec qui je travaille. J’adore les moments où je peux juste jouer la basse, ou la batterie, ou du piano, ou faire les chœurs, quelque chose qui donne du soutien pour les autres. Peut-être que c’est ça que je cherche, c’est juste d’être inclus avec un groupe ou avec des autres. Je préfère mettre la lumière sur le musicien.
M. : Nous allons maintenant nous projeter vers deux dates : 2024 et 2063. Comment te vois-tu l’année prochaine ?
C. : J’espère un nouvel album. J’écris en ce moment. J’espère que je vais enregistrer pendant l’hiver. J’imagine que je ne vais pas faire beaucoup de concerts. Et j’ai d’autres petits projets que je voudrais commencer. Pour l’instant, c’est juste des idées dans ma tête.
M. : Et dernière date, 2063. Letter from my future self est une chanson où tu t’imagines en 2063 et tu écris une lettre au Charlie de 2022. Que lui conseilles tu ?
C. : Je voudrais dire… fais une psychothérapie, parce que c’était la solution à mon problème de mal au dos. Et aussi, depuis que j’ai commencé à faire ça, j’adore m’explorer moi-même et je pense que c’est très important. Je souhaiterais que ça soit enseigné à l’école. Je pense que je voudrais lui dire que ce n’est pas nécessaire d’apaiser les autres tout le temps. J’ai passé trop de temps dans ma vie à faire ça et j’ai payé après. Et aussi… Je sais pas. C’est déjà pas mal. Merci Manon.