Diggeur compulsif, Arthur a toujours de bonnes histoires musicales à…
Le beatmaker français Degiheugi révélait le 23 avril 2021 son huitième album Foreglow, un voyage autour du monde organisé par cet éternel curieux tombé amoureux du sampling.
Initié aux platines au sein d’une formation de rap, Degiheugi repousse depuis plus de quinze ans les frontières du beatmaking. Ses mots d’ordre : partage, digging et passion. Voyageant jusqu’en Australie, réalisant les premières parties de DJ Shadow et partageant des plateaux avec des artistes de renom du beatmaking tels que Chill Bump, Smokey Joe & the Kid ou encore ProleteR, rien ne l’arrête.
À l’occasion de la sortie le 23 avril 2021 de son huitième album Foreglow, nouvel opus sous l’égide d’une bienveillance solaire et aux multiples influences allant de la samba à l’afrobeat en passant par la chanson française, nous avons été à la rencontre de cet infatigable digger afin de d’en apprendre d’avantage sur son parcours et ses projets. Un des plus beaux voyages que ce début d’année nous offre.
Arthur : Pour ceux qui te découvrent, peux-tu nous parler de ton univers musical ?
Degiheugi : Mon style musical c’est l’abstract hip-hop, c’est une variante du hip-hop plus orientée sur la musique instrumentale. Ça fait quelques années que je fais ça maintenant. À la base, c’est un mouvement du hip-hop qui est parti du beatmaking sur le rap des années 90. On a gardé la partie instrumentale en la travaillant un peu plus.
A. : J’ai vu que tu étais de Saint-Malo, comment t’es-tu initié au beatmaking ?
D. : J’ai commencé en tant que DJ dans un groupe de rap en 96. On n’avait plus envie de rapper sur les faces B et à l’époque c’était un peu dans les us et coutumes que ce soit le DJ qui se colle à la production. Donc naturellement, je m’y suis mis et j’ai découvert un horizon de création qui me paraissait encore plus large que dans le Djing. J’ai carrément accroché et je me suis concentré là-dessus.
A. : Quels artistes t’ont fait apprécier ce style ?
D. : Il y a eu DJ Shadow, RJD2, Blockhead, Wax Tailor en France pour citer les plus connus.
A. : Le 23 avril 2021, tu sors ton 8ème album intitulé Foreglow. Quelle est l’histoire de ce nouveau projet ?
D. : Je suis très attaché à ce moment de la journée où, quand le jour se lève, il y a une espèce de lumière très éphémère qui est souvent jolie et colorée. C’est encore très calme, on n’entend pas grand chose. C’est un moment que j’adore, qui est parfait pour faire de la photo ou se poser et apprécier le lever du jour. C’est dans cet esprit-là que j’ai attaqué l’album. D’où le nom, Foreglow, c’est une expression anglaise qui traduit cette idée de l’aurore. Ça résumait bien ce sentiment solaire de douceur et de bien-être que je voulais pour l’album.
A. : Il y a tout un travail autour de ton morceau d’introduction, pourquoi est-ce que ça te tenait à cœur de définir l’introduction ?
D. : C’est un petit clin d’œil aux mixtapes des années 98-2000 dans le rap français où les intro étaient toutes hyper travaillées par les DJ avec plein de strass, des scratchs, des extraits de morceaux, etc. Pour moi qui étais DJ avant, c’était limite mon passage préféré dans la mixtape. C’était là où le DJ donnait tout. J’ai voulu aborder l’introduction comme un vrai morceau et poser les bases de l’album. Ça ne se fait plus, et je le regrette et du coup je me suis dit que j’allais faire ça.
A. : Quel a été l’un de tes meilleurs souvenirs dans la réalisation de cet album ?
D. : Un moment que j’adore tout le temps, c’est lorsque je vais au studio pour terminer l’album. Là, cet album a été finalisé au studio OneTwoPassit à Paris. C’est toujours un moment que j’adore parce que je sais qu’à ce moment-là, quand on est au mixage, ça veut dire qu’on est dans la phase finale. Ça me met un point d’arrêt à mon espèce d’obsession de toujours vouloir améliorer les choses. Il y a aussi le featuring que j’ai fait avec Hugo Kant. L’échange a été tellement rapide, productif et inventif, que j’ai été très impressionné. C’est vraiment un des moments forts de la création de cet album.
A. : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
D. : Ça faisait vraiment pas mal de temps qu’on s’écoutait mutuellement. On a eu la chance de se rencontrer sur des concerts. C’est quelqu’un avec qui j’ai accroché tout de suite, autant humainement que musicalement. Et du coup, ça faisait longtemps qu’on avait envie de faire un morceau ensemble.
A. : Comment déniches-tu les samples que tu as utilisés pour Foreglow ?
D. : C’est un gros gros travail. Je vais pas dire que c’est la moitié du travail mais pas loin. Pour chaque album, pendant un an, un an et demi, je me consacre au digging, à chercher des disques. Après c’est le fruit du hasard, que ce soient les brocantes, internet, les disquaires, je chope plein de vinyles et au fur à mesure de mes recherches, je fais de petites marques et je les mets de côté. Pour cet album, vu que j’avais vraiment envie de mettre en avant cette sensation de soleil, j’ai plutôt été trouver des morceaux du sud de l’Europe ou d’Amérique du Sud. J’avais envie de partager ces rythmiques et ces mélodies hispaniques ou brésiliennes.
A. : Quel est l’un de tes samples préférés de Foreglow ?
D. : Sur le morceau Avant, il y a un sample qui m’a marqué parce que l’histoire est marrante. J’ai écouté ce sample et je me suis dit que je l’avais déjà entendu quelque part et que ça avait déjà certainement dû être samplé. J’ai cherché pendant des semaines et à la fin, je me suis resigné à me dire que le sample devait être si bien que j’avais l’impression de l’avoir déjà entendu. Et lorsque je passe au studio avec M. Gilles, il me dit “alors, on sample Funkdoobiest ?”. C’est un morceau qui utilise le même sample et que j’ai écouté toute ma jeunesse. Je me suis quand même pas mal arraché les cheveux.
A. : Quel a été le morceau le plus évident ?
D. : Ça a été le dernier morceau Just a Little More qui s’est fait très rapidement mais qui nous a posé beaucoup de soucis au niveau du travail final du mixage. Une fois qu’on a nettoyé la maquette, les défauts sont ressortis à tel point que je ne le supportais plus. C’est un morceau qui est hyper simple dans sa structure, basse, piano guitare, rythmique. Et finalement, c’est peut-être celui sur lequel on a le plus galéré. Ça a été assez compliqué de retrouver l’intention première du moment de la création, alors que j’étais parti hyper confiant
A. : J’ai vu que tu avais été graphiste et que tu avais fait les cover de tes 3 premiers albums. Comment ça s’est passé pour celle-ci ?
D. : J’ai été graphiste, je suis responsable de communication maintenant. Pour Foreglow, c’est un artiste catalan qui s’appelle Dulk qui l’a réalisée. Comme pour les deux précédents albums Endless Smile et Bagatelle. C’est un artiste peintre qui fait des animaux en géant sur des fresques murales. J’étais tombé sur une de ses fresques à l’époque où je cherchais un univers qui pourrait correspondre à ma musique et que je pourrais garder sur une série d’albums. C’était exactement ce que je cherchais, un univers onirique et coloré. Ça collait vraiment à ce que j’imaginais. Je me suis renseigné sur l’artiste et je me suis vite rendu compte que c’était quelqu’un de très connu. Je me suis dit que ça allait être compliqué. Je l’ai contacté quand même et finalement, ça n’a pas été si compliqué que ça. On s’est bien entendu, il a bien aimé ma musique et depuis, on collabore.
A. : Et le paresseux ?
D. : Je lui avais donné les grandes lignes de l’album avec cet espèce de lever de soleil, ses couleurs chatoyantes, etc. Et après, on a discuté de l’album et il m’a demandé sur quel animal je voulais partir en me demandant ce qui pourrait le plus me représenter. Le paresseux c’est un clin d’œil parce que j’ai mis très longtemps à refaire un album. Je taffe quand même beaucoup mais j’ai une tendance à procrastiner quand même un peu.
A. : Par rapport au précédent album, sur quoi penses-tu avoir le plus évolué ?
D. : C’est une évolution car je suis parti sur des choses beaucoup plus joyeuses et rythmées que ce que j’avais pu faire auparavant. Je me suis éloigné de l’univers un peu boombap et rap années 90, j’ai essayé d’aller un peu plus loin. J’avais surtout pas envie de me répéter.
A. : Tu as réalisé tes 7 premiers albums en autoproduction. Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés avec X-ray Production ?
D. : C’est mon tourneur (Face B) qui nous a présentés. J’étais parti pour le sortir en autoproduction. On a trouvé un terrain d’entente qui était cool parce qu’ils comprenaient mon projet, ma musique, ce que j’avais envie de faire avec. Et moi j’avais envie de tester au moins une fois dans ma vie ce que c’était que d’être épaulé par un label autre que le sien. Je me suis dit qu’il fallait tenter l’aventure. Pour l’instant je ne regrette pas du tout, l’album n’est pas encore sorti, mais quand je vois le travail et les personnes qui s’affairent autour du projet, très clairement, moi tout seul je n’aurais pas pu le faire. On sent une réelle envie, une réelle motivation, les gens sont à l’écoute. C’est une belle rencontre. Et en plus, ça m’a donné l’occasion de ressortir tous mes anciens albums en vinyles, chose que logistiquement, je n’aurais pas pu faire moi-même.
A. : Comment s’est passée la Late Night Studio Session ? Est-ce que d’autres sont prévues ?
D. : Ouais, c’est un truc que j’ai apprécié faire et effectivement on en a au moins deux autres de prévues.
A. : Qu’est-ce que tu aimerais explorer par la suite ?
D. : Pour cet album je me suis fait parfois accompagner de musiciens. J’aimerais vraiment réussir à pousser ce concept plus loin et apporter quelque chose de plus organique à ma musique en réussissant à l’ouvrir à d’autres horizons. Et être un peu moins dans une bulle de producteur tout seul dans son studio. Je pense que pour le prochain album, j’aimerais bien créer un petit cocon créatif de musiciens. Avoir un échange créatif plus large. Avec l’expérience et la maturité c’est quelque chose que j’ai envie d’essayer.
A. : Ma dernière question est notre signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
D. : Pour moi, un artiste c’est quelqu’un de créatif, qui ne se met pas de frontière, pas de limite, qui écoute ses envies, sa passion.