Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
NSFW : Eva Merlier, la diversité des corps et des couples pour la Saint-Valentin
Loin des clichés normatifs habituellement véhiculés lors de la Saint-Valentin, rencontre avec la photographe Eva Merlier qui magnifie la diversité et la beauté des corps sur Instagram.
Ah, la Saint-Valentin. Ses restaurants pleins à craquer, son petit business juteux et ses publicités normatives. Pour célèbre l’amour sur Arty Magazine, on avait envie de créer une ode à la diversité en parlant du travail de la photographe lyonnaise Eva Merlier, une artiste autodidacte diplômée en études de design.
Transformant son entourage en modèles fiers et libres de leur différence, l’artiste fait de son travail un cri du cœur sensoriel, en l’honneur de toutes les femmes que l’on croise dans la vraie vie, et celleux qui se sentent femmes. Attachée à la communauté queer, Eva Merlier présente des couples en dehors des étiquettes et des clichés normatifs habituellement véhiculés.
Dans sa série Sisterhood, l’artiste image « la solidarité, cette relation complice que les femmes peuvent avoir entre elles, l’amour que l’on se donne malgré les différences qui peuvent nous séparer. » Avec l’une de ses autres séries Pride Out Loud, elle entre dans l’intimité de couples issus de la communauté queer pour leur donner la parole par l’image. Sous son objectif, le t-shirt d’une modèle tourne en dérision cette rengaine vieille comme le machisme : « Feminism killed love ». L’amour n’a jamais été aussi beau que quand il s’assume féministe.
Marin : Salut Eva. Commençons par le commencement, comment es-tu venue à la photographie ?
E.M. : J’ai toujours plus ou moins pris des photos depuis que je suis jeune, mon père aimait beaucoup la photo. Ça, c’est pour le côté un peu cucul de la présentation (rires). En vérité, ça doit faire 5 ans que ma pratique a vraiment changé et s’est politisée. C’est né d’un constat assez simple : les personnes autour de moi ou que je croise dans la rue ne sont jamais représentées dans les médias. J’avais envie de battre en brèche la représentation lisse des femmes en montrant leur diversité.
M. : Ton approche m’intéresse encore plus que ton profil est autodidacte. Comment organises-tu tes shootings ?
E.M. : Je travaille beaucoup en collaboration avec la.e modèle. Ensemble, on va réfléchir à comment la personne a envie de se montrer, dans quel décor, avec quelle tenue. Finalement, ce qu’on a envie de dire avec ces photos. L’échange avant et pendant le shooting installe une relation de confiance avec la.e modèle. Une fois que le shooting est terminé, toutes les photos avec lesquelles elle ne se sent pas à l’aise ne vont pas être retenues. Ça permet que la personne se lâche et essaie des choses.
M. : Et le casting, comment se passe t-il ?
E.M. : Je n’ai pas de critères étant donné que je travaille sur la diversité. C’est vrai qu’au début, ce n’était que mes proches par souci de facilité. Petit à petit, j’ai shooté mon entourage élargi et des influenceuses qui sortaient des normes classiques de beauté. C’est aussi des personnes que je croise dans mon salon de tatouage et salon de thé vegan Sales Gosses Ink, que j’ai ouvert à Lyon avec ma copine. C’est un lieu qui correspond à 100% à mes valeurs, donc les personnes que j’y rencontre s’y prêtent souvent.
M. : En quoi c’est important pour toi de transmettre ces images ?
E.M. : C’est important pour moi car ce sont des images que j’aurais aimé voir plus jeune. Beaucoup de personnes sont dans ce cas. Quand tu ne corresponds pas à la norme de société en étant une femme blanche, mince, cisgenre et hétéro, tu as du mal à comprendre qui t’es et avancer dans la vie. Les modèles que l’on te propose ne te correspondent pas, c’est important d’avoir une représentation réaliste de la société. Je me demande où sont les modèles photoshop-ées que l’on peut voir, car moi je ne les ai jamais croisées dans la vie.
M. : Beaucoup de tes modèles sont des femmes et des personnes de la communauté queer ?
E.M. : Je shoote beaucoup de femmes et de personnes queer car ce sont elles qui subissent le plus les discriminations. Je commence cette année une série sur la psychophobie et la santé mentale, c’est important de parler de choses qui sont tues. Grâce aux réseaux les voix sont plus ouvertes aujourd’hui. Il y a plein de choses que j’ai pu lire sur Instagram et qui m’ont beaucoup aidée. Si j’avais pu les lire à 15 ans, je serais arrivée où j’en suis maintenant avec moins de souffrance et plus rapidement. C’est impossible de vouloir imposer un modèle parfait car personne ne l’est. Plus on montrera de la différence, mieux ce sera pour tout le monde.
M. : Ton interview sort pour la Saint-Valentin, quel message as-tu à faire passer pour la célébration de l’amour ?
E.M. : J’ai travaillé sur la série Pride Out Loud où j’avais envie de montrer des couples de la communauté queer en sortant des clichés. Le cliché du couple hétéro c’est quelque chose d’hyper plan-plan et exclusif. Le cliché du couple queer c’est deux personnes qui font la fête et se trompent. Alors que dans la réalité, il n’y aucune règle pour personne. Ce serait intéressant d’avoir une série avec des interviews pour montrer qu’il n’y a pas de modèle type ; il n’y a pas de modèle pour être toi-même ; pour ton couple non plus. Chacun a sa vision et fait ses choix comme de fêter ou pas la Saint-Valentin.
M. : Si tu devais profiter de cette interview pour transmettre quelque chose qui te tient à cœur ?
E.M. : C’est important de ne pas juger et laisser faire chacun ce qu’il veut : ce sont des valeurs que j’essaie d’instaurer de manière bienveillante dans mon travail. C’est encore un problème aujourd’hui que les gens soient tout de suite sur la défensive dès qu’ils sont face à quelque chose de différent, de ce qu’ils ont l’habitude de voir. Qu’une personne décide de vivre son couple de X manière.s ne regarde personne d’autre qu’elle. Plus généralement, personne n’est en droit de juger la manière dont quelqu’un se présente au monde.
M. : Tu n’échappes pas à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?
E.M. : C’est un challenge, cette question (rires). Spontanément, je dirais qu’un.e artiste est quelqu’un qui met sa sensibilité au service des autres.