Professeur de lettres à ses heures perdues et inconditionnel du…
Actuellement à l’affiche du dernier film de Michel Gondry, Le Livre des solutions, Frankie Wallach interprète l’assistante de Marc joué par Pierre Niney. Autant dire qu’elle pétille à l’écran. La comédienne est également réalisatrice. Arty est allé à la rencontre de la jeune cinéaste. Elle nous parle de son amitié avec Michel, ses anecdotes de tournage et de ses projets.
Thierry : Bonjour Frankie, comment vas-tu ?
Frankie Wallach : Je vais très bien merci ! Avec la rentrée scolaire et la sortie du Livre des solutions, il y a de quoi oui !
T. : Peux-tu te présenter au public qui ne te connait pas encore ?
F.W. : Je m’appelle Frankie Wallach, je suis comédienne, réalisatrice et j’habite dans le 18ème arrondissement de Paris.
T. : Tu es à l’affiche du dernier film de Michel Gondry aux côtes de Pierre Niney et Blanche Gardin. Comment en es-tu arrivée à travailler avec Michel ?
F.W. : En fait, j’ai joué dans plusieurs publicités EDF que mon agent m’a déconseillé de faire, car cela donne une mauvaise image pour les comédiens. Gondry a vu l’une d’entre elles. Par ailleurs, il a aussi tourné des pubs que j’ai adorées. De mémoire, c’est plus précisément sa script qui m’a repéré. Dès lors, on s’est rencontrés via Facetime. Le courant est très bien passé. Il a estimé qu’il n’y a pas eu besoin de passer un test.
T. : Quelle(s) anecdote(s) gardes-tu de ce tournage ?
F.W. : Pour contextualiser, on a tourné chez la tante de Michel Gondry dans les Cévennes. Il y avait un aspect très familial et très intime. On était une petite équipe qui accédait à son univers personnel. On était très loin de Paris et de la gare accessoirement. Du coup, on ne rentrait pas du week-end. Je ne sais pas comment, je me retrouvais à faire du canoë avec Pierre Niney, Blanche Gardin et le chien. C’est assez drôle car généralement, un tournage s’étend sur plusieurs semaines et chacun reste dans son coin. Se retrouver le premier week-end à faire du canoë, gérer des histoires de rames, aller à la rescousse du chien bloqué sur l’île… Tu noues aussitôt des liens avec les autres comédiens et ressentir la même ambiance au sein de l’équipe pendant les heures de travail, c’est chouette !
Autre anecdote : le pot comédien. Je tiens à dire qu’on a organisé le meilleur pot comédien. L’équipe peut l’attester. Pierre Niney et moi l’avons organisé comme un mariage. Trouver du matériel dans les Cévennes était fastidieux. Il a fallu poster des annonces sur Leboncoin pour louer des instruments afin d’organiser une jam session, car Michel Gondry a un don pour la batterie. On a même appelé le resto du coin qui est venu en guise de traiteur. Il y avait ce côté familial qu’on appréciait à la différence des pots comédien à Paris où tu fais appel au traiteur et tu loues une boîte de nuit puis l’affaire est réglée. On l’a organisé dans la grange du jardin dans lequel le personnage de Marc fait des projections. Puis, il y avait cette impression de vivre dans les lieux de tournage. Bref, c’était incroyable ! On aurait dit un week-end d’intégration ! (rires)
T. : Si tu devais choisir un film de sa filmographie ?
F.W. : Je dirais Eternel Sunshine of the Spotless Mind que j’ai découvert curieusement après le tournage. Je ne voulais pas le voir avant car j’aurais été stressée. Puis, se comparer à Kate Winslet, c’est perdu d’avance. J’ai tellement apprécié notre premier échange téléphonique que j’avais oublié son statut de grand réalisateur. Pendant le visionnage, j’avais en tête toute sa sensibilité et sa personnalité. J’ai été bouleversée par le film tant par son propos (l’amour et l’oubli) que par les liens d’amitié que j’ai noué avec Michel Gondry. Sur le moment, je ne me suis pas dit « Michel Gondry a réalisé ce film » mais plutôt « mon ami a réalisé ce film ».
T. : Le film est semi-auto biographique. Il présente un réalisateur dans les nuages, insoucieux et irresponsable. Quels adjectifs utiliserais-tu pour qualifier Michel Gondry ?
F.W. : Sensible, hilarant et candide. Il a quelque chose de vulnérable. Il a peur de se faire dévorer, de ne pas être compris et qu’on ne saisisse pas ses blagues. Il peut néanmoins avoir ce côté drôle. En d’autres termes, il est blagueur à condition qu’il soit compris. Je me souviens même qu’il pensait déjà à la promotion du film après me l’avoir présenté. Il se questionnait sur ce qu’il devait dire ou ne pas dire, va-t-on considérer ce propos comme narcissique ou non, etc. Il est curieux de voir comment un artiste aussi talentueux soit-il puisse autant angoisser.
T. : La comédie est un genre encore et malheureusement dévalorisé. Pierre Corneille disait « La comédie n’est qu’un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. » Qu’en penses-tu ?
F.W. : Pour commencer, je trouve qu’en France, la comédie n’est pas reconnue à sa juste valeur. On a tendance à dire que le genre est malingre. Il n’a que pour objectif de divertir. Par exemple, pour mon premier film ayant pour sujet la santé mentale, j’ai choisi la comédie car elle permet de dédramatiser le propos et aussi, de délivrer davantage de messages. Pour revenir à la citation de Corneille, il y a en effet l’idée de la ressemblance puis il est très important selon moi de prendre du recul et d’avoir de la dérision.
T. : Tu as tourné Kneidler (recette juive polonaise, ndlr), ton premier documentaire en 2017 puis ton premier long-métrage Trop d’Amour en 2022 qui est en fait une maturation de ton projet initial. D’où est venue l’envie de réaliser ?
F.W. : Je me suis dit que je réaliserai mon premier film à 40 ans. Blague à part, c’est mon producteur qui m’a suggéré de le tourner, que je devrais filmer ma grand-mère. Je n’ai pas réfléchi, je me suis donc lancée. Quelques temps après, je ne pensais pas que mon producteur sortirait le film qui a d’ailleurs connu un franc succès. Puis, toute cette aventure m’a permis de me rapprocher de ma grand-mère.
T. : Pourquoi ta grand-mère et pas tes parents ?
F.W. : Le rapport avec les grands-parents et les parents ne sont pas les mêmes. Puis, ma grand-mère a un lourd passé : elle a été déportée. Je trouve que c’est une femme extraordinaire. Elle a connu une expérience horrible et ce qui est d’autant plus étonnant, c’est qu’elle garde un côté très gai et sait prendre du recul par rapport à toute cette histoire.
T. : Le court-métrage-documentaire est accompagné de sa recette sur le site. Peux-tu nous réciter la recette ?
F.W. : Alors, il faut trois ou quatre œufs, de la farine de Matza, de l’eau chaude, du sel, du poivre et de l’huile. Pour le bouillon, il faut des légumes et un poulet entier. J’avoue avoir utilisé des bouillons de cube dans la mienne. Mea culpa. Et tu manges le poulet après, c’est le drame.
T. : Pourquoi ce plat en particulier ?
F.W. : Pour une question purement identitaire : je voulais que ce soit ashkénaze. Puis, pour son contexte historique : il s’agit d’un plat que nos aïeux mangeaient quand ils n’avaient pas d’argent. Il me semblait légitime d’en parler.
T. : Pourquoi pas écrire un livre des recettes avec ta grand-mère ?
F.W. : C’est en cours ! Enfin ce n’est pas mon projet initial, mais celui du Grandmas Project (projet indépendant qui a pour dessein de filmer sa propre grand-mère en train de cuisiner dans un film de 8 minutes, ndlr) qui se chargera de publier un livre de recettes de toutes les grands-mères.
T. : Il serait ton Livre des Solutions.
F.W. : Si je devais écrire un livre des solutions, ce serait plutôt l’idée de faire un film avec zéro euro, à 25 ans, type long-métrage, je pense à la fabrication de Trop d’Amour et je volerais plein de conseil de Michel Gondry du type « apprends en faisant », « n’écoute pas les autres » et après « écoute les autres ». Je trouve que tous ses conseils sont propres à la création et encore plus à l’essence des premières créations auxquelles Michel y est retourné.
T. : Dans ton film Trop d’Amour, tu mets en avant ta famille avec beaucoup d’auto-dérision et surtout, ta grand-mère, Julia Wallach, avec qui tu accordes une attache particulière. Vous êtes très liées au même titre que Fran et Mamie Yeta. Dans le film, tu dis « je veux filmer ma famille parce que je veux tout choper. Je veux filmer le plus possible ma grand-mère. Je veux garder ça. » Est-ce un travail de mémoire ? Peut-on parler de crainte de la perdre de ta mémoire ?
F.W. : Je pense que c’est la crainte de la perdre, oui. Je me souviens de ma mère parler de sa grand-mère. Je ne peux qu’imaginer à son sujet. Quant à ma grand-mère, comment la mettre en scène ? comment évoquer son intonation, sa démarche, ses punchlines ? J’avais besoin de la filmer sur le vif. Avoir des images d’elle, c’était à la fois un devoir de mémoire et un marqueur d’authenticité. Puis, j’avais envie de la faire connaître au public malgré le fait qu’il accède à son intimité et de la rendre immortelle à travers ces images.
T. : Tu as étudié au King’s College de Londres. Quelle leçon du cinéma retiens-tu ?
F.W. : Hormis le fait d’avoir appris à analyser un film et bien que j’aie eu des professeurs passionnants, pour être honnête : rien. J’aurais voulu en apprendre davantage sur la réalisation. Je voyais les acteurs jouer dans des films. Ce qui m’intéressait à ce moment-là, c’était de faire partie du film. Cela n’a fait qu’accroître ma frustration. Petite parenthèse : Helena Bonham Carter a également étudié à l’université de Cambridge. Elle aurait quitté subitement ses études car elle éprouvait une certaine lassitude. Je me permets de faire le parallèle car j’ai voulu quitter le King’s College au bout de deux ans. Je suis donc allée voir le directeur en lui évoquant cette anecdote. Il m’a demandé ce que je faisais encore à l’université alors que mon objectif était de devenir comédienne. J’ai pris mes affaires, je suis rentrée à Paris.
T. : As-tu des cinéastes fétiches ou acteurs/actrices de référence ?
F.W. : Ça change souvent. En ce moment, je dirais le cinéma scandinave avec Ruben Östlund et Joachim Trier.
T. : Si tu devais donner à ton tour des leçons de tournage ou d’écriture aux futurs cinéastes, quels conseils leur donnerais-tu ?
F.W. : « Apprends en faisant », le conseil que me donnait Michel, et faire quelque chose de personnel. Le plus simple est de se regarder soi pour créer plutôt que d’inventer. Comme dirait le producteur Patrick Sobelman, « le cinéma, c’est du concret ». Je pense à la scène de l’addition dans Sans Filtres de Ruben Östlund qu’il a vécu avec sa femme. Il évoque un fait réel afin d’apporter de l’authenticité à la scène.
T. : Tu prépares ton second long-métrage, Momentum, une comédie dramatique. Peux-tu nous en dire davantage ?
F.W. : L’histoire se passe dans une retraite actuelle en Norvège, dans laquelle un couple de deux français s’y retrouvent. Le film évoquerait la désillusion, marqueur de la fin de l’innocence et de l’insouciance ainsi que le début de l’âge adulte. Pour le personnage féminin, je l’imagine solaire, la trentaine. Quant au personnage masculin, j’aimerais qu’il ait une certaine féminité, qu’il soit maladroit mais naturel. Dans l’idée, un Paul Mescal français.
T. : Quelle est la définition d’un.e artiste ?
F.W. : Quelqu’un qui est prêt à partager sa sensibilité.