Interview : Isaac Delusion, au sommet de la vague
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
À quelques heures de leur seconde Cigale à guichet fermé, Isaac Delusion sont revenus sur la conception de leur troisième album Uplifters. Une bouffée d’air frais agrémentée d’anecdotes sur un disque dur cramé, un verre de Ricard renversé, et un témoignage touchant du chanteur du groupe sur son adolescence.
Marin : Hello Jules et Loïc. Votre première date à la Cigale était sold-out avant même que votre album ne soit sorti. Ça ne vous a pas trop mis de pression ?
Jules : On n’était pas trop stressé, ça nous a plutôt rassuré. C’était agréable de savoir qu’on était attendu.
M : Cet album a failli ne jamais voir le jour quand votre disque dur et les premiers enregistrements sont partis en fumée. Comment avez-vous avez géré cet ascenseur émotionnel ?
Loïc : Au début ça a été hyper pénible à vivre. On s’est rendu compte que notre vie tenait à un disque dur d’ordinateur, et même si c’est immatériel, c’était comme si une partie de nous avait disparu. On s’est servi de ce petit désastre informatique pour repartir avec une nouvelle énergie. Ça fait beaucoup relativiser, tu reviens à des choses plus basiques, et cette philosophie là a imprégné la création de l’album. On est reparti vers quelque chose de plus léger et de plus simple.
J. Reculer pour mieux sauter (rires).
M : Vous êtes allés chercher une énergie plus spontanée voire adolescente ?
J. Totalement, j’ai l’impression que dès les premiers textes de Pas l’Habitude et Fancy, Loïc est reparti vers cette vibe adolescente. Avec ce disque dur qui a cramé et ce retour à la case départ, il y avait une sorte de mysticisme généralisé. Les thèmes de l’album sont arrivés comme par magie.
L. Uplifters s’est fait hyper facilement alors que les précédents ont été parfois un chemin de croix. Cet album a coulé naturellement jusqu’à la dernière heure de studio. Ces supers bonnes vibes dans l’écriture et l’enregistrement se ressentent à l’écoute. C’est peut-être pour ça qu’il donne autant le sourire.
J. On était tellement bien en studio qu’il a fallu que Nico, notre bassiste, renverse un verre de Ricard sur du matos de notre ingé son pour qu’on l’interprète comme le signe qu’il était temps d’arrêter. Sinon on continuait (rires).
M : Être passé d’une major avec Parlophone à un label indépendant avec Microqlima a joué dans cette libération ?
J. On s’est toujours assuré de garder notre liberté artistique. On n’a jamais été contraint chez Parlophone mais il y a une petite part de libération avec Antoine Bigot [NDLR : fondateur du label Microqlima] dans le sens où le dialogue est plus simple et fluide qu’avec un chef de projet en major. On se comprend immédiatement.
L. Même si on a toujours été accompagné par une structure, on a su gagner en autonomie et apprendre à nous débrouiller par nous-mêmes avec ces trois albums. On a compris avec Uplifters en particulier qu’il fallait être maître de son projet et ne pas se laisser porter par d’autres.
M : J’ai lu que vous aviez écrit l’album tous les deux après la tournée, comment l’avez-vous conçu ?
L. Oui après et pendant la tournée précédente. Je travaillais beaucoup dans le van car tu peux être hyper nomade et créatif avec un laptop. La nouveauté c’est qu’on a quasiment co-écrit tous les morceaux avec Jules. La première étape est de s’envoyer les morceaux puis de les peaufiner. Ensuite les autres musiciens du groupe apportent leur touche et arrangent les morceaux. C’est comme la fabrication d’un produit en usine avec plusieurs passages en chaîne d’assemblage. Ce qui sort à la fin est le résultat de plusieurs personnes différentes.
M : Je veux tous les jours des produits de l’usine Isaac Delusion. La dernière étape de la chaîne d’assemblage c’est le mixage ?
L. On enregistre chez notre ingénieur son Perceval Carré qui est là depuis nos premiers lives. Il enregistre comme un passionné avec une multitude de micros et un vrai savoir-faire pour les batteries. C’est très compliqué d’enregistrer une batterie pour qu’elle sonne bien. Il fait en sorte que les sons soient purs et que ça marche tout seul.
J. Il apporte un recul et une vraie vision de notre musique. C’est le sixième membre du groupe.
M : Perceval est là depuis votre premier EP Early Morning il y a 8 ans. Quel sentiment avez-vous en regardant tout le chemin parcouru ?
L. On a le sentiment d’être des rescapés. En 2012, il y avait toute une scène parisienne qui n’existe plus et on est hyper fier d’avoir traversé la tempête de l’arrivée massive du streaming et de l’effondrement des maisons de disque. On a tenu la barre, continué à produire et su garder notre public. On est dans une époque où l’on peut tomber dans l’oubli du jour au lendemain. On se sent extrêmement chanceux d’avoir tenu huit ans par les temps qui courent.
M : Il y a aussi l’Impératrice qui a tenu la barre parmi les groupes de Microqlima. Ça vous inspire de suivre leur chemin avec une tournée américaine ?
L. On a déjà fait la tournée aux Etats-Unis. Les américains ont une personnalité ultra versatile, il suffit de ne pas être présent pendant un moment et ils passent à autre chose. Les français avaient le vent en poupe à l’époque de Phoenix et des Daft Punk, mais j’ai l’impression que ça a changé.
M : Le fait d’avoir des références anglo-saxonnes au milieu de la scène parisienne qui s’est très francisée, c’est important pour vous ?
J. On est dans une vibe anglo-saxonne depuis le début. La troisième ville qui nous écoute est Istanbul alors qu’on n’y avait jamais mis les pieds jusqu’à il y a quelques mois. Le Mexique nous écoute aussi énormément. Ça valide le fait qu’une pop anglo-saxonne peut se faire aujourd’hui et qu’il y a du monde pour l’écouter.
M : Istanbul et le Mexique, c’est la dynamique du soleil ?
J. Je veux bien passer ma vie entre l’un et l’autre (rires).
M : Le morceau Pas L’Habitude se démarque justement sur votre album pour ses paroles en français ?
L. Le but était de faire un morceau minimaliste avec des paroles qui puissent trouver une résonance universelle. Pas L’Habitude s’adresse aux gens introvertis qui ont tendance à être écrasés dans notre société. J’en ai fait longtemps partie plus jeune en ayant du mal à trouver ma place dans ce monde un peu brutal. C’est ce que j’ai voulu décrire dans ce morceau et les mots sont arrivés tout seuls. C’est Charles Aznavour qui disait que les mots venaient en même temps que la mélodie lorsqu’il composait à son piano, comme s’ils étaient dictés par une force supérieure. Sur ce morceau, les mots ont coulé naturellement.
M : Fancy est le second single qui se démarque naturellement sur l’album. Ses paroles étaient aussi liées à l’adolescence ?
L. Fancy parle des sentiments conflictuels que tu peux trouver à l’adolescence entre l’amour et la haine. Ce sont des choses exacerbées et ambivalentes que tu peux ressentir à cette période là.
M : Fancy et Pas L’Habitude partagent le trait commun d’avoir été clippés. En quoi avoir un visuel aussi fort que la musique est important pour vous ?
J. Le but est d’avoir un clip plus fort que le morceau, si possible. Ce sont des paris sur des scenarii et des réalisateurs auxquels on laisse carte blanche. Souvent on est surpris quand on découvre les clips. On participe à l’écriture mais on n’était pas sur le tournage de ces deux là. Si les clips marquent le public, c’est qu’on a fait confiance aux bonnes personnes.
M : Est-ce que vous aimeriez jouer dedans ?
L. On n’est jamais apparu jusqu’à maintenant dans nos clips, mais comme on aime surprendre et ne pas reproduire les mêmes schémas indéfiniment, j’aimerais bien qu’on nous voit dans un clip… Avec une soucoupe volante, ça s’appellera La Soupe aux choux (rires).
M : Vous n’échappez pas à la question signature chez Arty Paris. Quelle est votre définition d’un artiste ?
L. Un artiste c’est quelqu’un qui va au bout de ses convictions et de ses envies. Quelqu’un qui suit sa voie intérieure.
J. Ça me donne envie de citer John Lennon qui disait : « Je suis un artiste, donnez-moi un tuba et je vous ferais un tube. » (rires).
M : C’est malin, maintenant j’ai envie de te donner un tuba.
L. On verra si je suis un artiste. Je risque de moins bien m’en sortir que John Lennon, mais je veux bien relever le défi (rires).