Son avidité pour l’écriture et son gros penchant pour la…
Installé en France depuis quelques années, collaborateur d’André Manoukian et Alexandre Desplat, le compositeur franco-israélien Jérémy Hababou séduit avec son troisième album d’inspiration classique.
Le pianiste et compositeur franco-israélien Jérémy Hababou est un habitué du jazz. Après s’être installé à Paris, il sort un premier album encensé par la presse en 2016, Run Away, avant de collaborer avec André Manoukian sur un projet de piano présenté dans l’antre des aficionados du jazz, le New Morning à Paris.
En parallèle, l’artiste enchaîne les projets de grande envergure au cinéma, parmi lesquels : la bande-son de La promesse de l’aube, adaptation de Romain Gary avec Pierre Niney, L’Empereur de Paris réalisé par Jean-Francois Richet, ou encore en tant que compositeur additionnel pour Eiffel, aux côtés du mastodonte Alexandre Desplat. Multi-talents, on le voit même participer au film en tant que comédien.
Il sort pourtant de sa zone de confort en proposant un projet d’inspiration classique. Et son troisième album, intitulé Il était une fois, sorti le 10 février 2023 chez Naïve Records, ne déçoit pas. Ses mélodies, toujours épurées, sont puissantes et empreintes de poésie. Les seize titres du pianiste incitent l’esprit à divaguer et invitent à un voyage intérieur plaisant. Rencontre avec un artiste ultra-sensible.
Anaïs : Tu es aujourd’hui un grand nom du piano. Cet instrument a-t-il toujours été une évidence pour toi ?
Jérémy Hababou : Pas du tout ! Mes parents m’ont proposé de prendre des cours de piano quand j’avais 8-9 ans. Cela a duré deux ans parce que les cours ne me plaisaient pas. En fait, le prof m’enseignait de la musique classique, sauf qu’à l’époque je n’avais aucune affinité avec ce genre musical. J’ai donc complètement arrêté la musique jusqu’à l’âge de 16 ans où j’ai repris le piano, d’abord seul puis avec des professeurs.
A. : J’imagine que tu as donc découvert plus tard les grands compositeurs classiques.
J. H. : Oui, tout à fait. D’ailleurs, je suis très influencé aujourd’hui par la période de musique classique du début du 20ème siècle, qui correspond à la musique impressionniste, dans laquelle on retrouve des compositeurs comme Debussy, Ravel ou Satie. Je les aime beaucoup donc j’espère même qu’on les retrouve dans ma musique.
A. : Cela tombe plutôt bien car ton morceau Paradoxe m’a justement immédiatement fait penser à Erik Satie. On retrouve aussi des influences plus contemporaines dans l’album. Je pense notamment à Sofiane Pamart et à Guillaume Poncelet. Ce sont des artistes dans lesquels tu te retrouves ?
J. H. : Totalement ! Je me rapproche complètement d’eux en termes d’esthétique dans cet album, bien que ça ne soit pas forcément une musique que j’écoute. En réalité, j’écoute beaucoup de jazz et de classique.
A. : Je pense aussi à Yann Tiersen, notamment avec ton titre Shalom.
J. H. : Oui, c’est aussi un artiste dont je me suis imprégné. Ce qui est drôle avec Shalom, c’est que je me suis rendu compte après coup que le début du refrain était très proche d’un titre d’Interstellar. Et effectivement, ce sont les mêmes harmonies. En même temps, il ne faut pas oublier qu’il y a des recettes miracles dans la musique et des harmonies qui fonctionnent bien, et qui sont souvent utilisées. On retrouve aussi ces mêmes harmonies dans Intouchables par exemple.
A. : As-tu des recettes miracles, toi ?
J. H. : Pas vraiment, même s’il y a quand même des petites ritournelles assez simples que j’aime bien utiliser, et qui font l’effet d’une valse. Quant aux harmonies que j’utilise souvent, je dirais : « fa majeur », « sol majeur », « la mineur ».
A. : As-tu d’autres influences dont on n’a pas encore parlé ?
J. H. : Au-delà, la littérature et la poésie influencent beaucoup ma musique, en particulier la littérature romantique. Le titre Si j’ai aimé est par exemple un titre composé à partir d’un poème de Henry de Régnier. On me dit souvent que ma musique raconte des histoires et fait voyager. En tout cas, il est certain que j’aime rechercher des ambiances.
A. : Et en même temps, ton album s’appelle Il était une fois, donc il raconte une histoire, ou au moins son début. De quoi s’agit-il ?
J. H. : C’est d’abord pour moi le début d’une nouvelle aventure parce que c’est un nouvel album. Mais, c’est également un nouveau style que j’explore et un nouveau public, bien plus vaste que celui du jazz. Enfin, le titre fait évidemment aussi écho au fait qu’à chaque fois que je faisais écouter mes mélodies, on me disait qu’elles renvoyaient à des images, à des voyages…
A. : Donc ce n’est pas forcément volontaire, comme si tu racontais des histoires malgré toi, c’est ça ?
J. H. : Complètement. Je ne cherche pas à raconter des histoires de manière explicite. D’ailleurs, il n’est pas obligatoire de chercher à tout prix à raconter quelque chose avec la musique. On peut simplement la prendre pour ce qu’elle est.
A. : Lamentations, Espérance, Un amour éternel. Beaucoup de tes titres relèvent du champ lexical de la mélancolie. Est-ce un sentiment qui t’inspire pour créer ?
J. H. : Visiblement, oui. Et quand j’écoute ma musique, je sens parfois que c’est un peu triste. Elle m’évoque aussi de l’espoir. Mais, je ne suis pas tout le temps mélancolique quand je crée.
A. : Et si je ne me trompe pas, tu es quelqu’un d’ultra-sensible.
J. H. : Ah ouais totalement ! D’ailleurs, si quelqu’un a une solution pour ne pas trop souffrir de son ultra-sensibilité, je suis preneur (rires).
A. : Tu dis que tu as constamment besoin de partager et d’échanger des sentiments et des émotions. La musique est-elle ton exécutoire ?
J. H. : Oui ! Et ce qui m’intéresse est la connexion entre les êtres humains. Je trouve qu’il y a quelque chose de mystique et de sublime dans le partage dont la musique en est un excellent vecteur. J’ai vraiment besoin de ça pour donner un sens profond à ma vie. Et ce que je trouve génial avec ce projet, qui sort de la petite niche qu’est le jazz, est qu’il touche un public beaucoup plus vaste, quasiment du monde entier comme je peux le voir avec les réseaux sociaux et sur les plateformes de streaming. Ce sont non seulement des gens du monde entier, mais aussi de tous âges et de toutes catégories sociales. Preuve que la musique n’a pas de limite.
A. : Aurais-tu également envie d’explorer d’autres genres musicaux ?
J. H. : J’aime en effet beaucoup la chanson, j’ai commencé à en écrire. J’ai toujours été très inspiré par Brassens, Brel, Ferré, Piaf, et toute la grande chanson française. Mais j’écoute aussi des personnes comme Yseult par exemple.
A. : Pour finir, quelle est ta définition d’un artiste ?
J. H. : Je me suis posé cette question pendant des années et je me la pose encore. Est-on artiste dès lors que l’on crée ou est-ce plus que ça ? Je ne sais pas. Peut-être aussi qu’au fond, on est tous des artistes puisqu’on est des êtres humains et qu’on a tous à notre niveau un aspect créatif. Et après, il y a les artistes dont c’est le métier qui maîtrisent une certaine technique, ont un certain degré de sensibilité. Mais finalement, est-ce que je peux refuser de répondre catégoriquement à cette question ?