Il mène sa vie une manette à la main, absorbant…
Depuis son Grand Prix du Jury à Deauville en 2018 pour la pépite Thunder Road, adaptée de son court éponyme, Jim Cummings ne s’arrête plus. On a passé un moment de qualité avec l’invité spécial du Champs-Élysées Film Festival à l’occasion du 10ème anniversaire de l’événement.
Le Champs-Élysées Film Festival ne s’y est pas trompé : le réalisateur indé du moment, c’est bien lui. Jim Cummings était à Paris pour présenter son dernier film, The Beta Test, délicieuse enquête alternant entre les teintes du thriller érotique et de la comédie – sur lequel on te donnera notre avis complet en avant-première de sa sortie le 15 décembre. On est revenu avec lui sur sa courte mais déjà très riche carrière : ses films courts, ses longs métrages et son Pixar préféré.
Olivier : Hello Jim ! On a vu l’ensemble de ton travail chez Arty, et on se demandait, pourquoi privilégies-tu les plans-séquences dans tes films ? Est-ce que cela favorise l’implication du comédien ?
Jim Cummings : Ce que je trouve incroyable avec les plans longs (ndlr, tous ses courts sont en plans-séquence), c’est qu’ils permettent aux spectateurs d’être totalement impliqués, d’une façon que le montage conventionnel ne permet pas forcément. On s’attend normalement à un montage classique, alors que les plans les plus longs imposent aux spectateurs de réfléchir ; de ressentir d’eux-mêmes le film, plutôt qu’on leur dise quoi ressentir.
Dans le court métrage Thunder Road, on débute en traveling avant. C’est drôle au début, puis plus on avance, plus on tombe sur un gros plan de ce type qui paraît si seul dans cette pièce, et c’est tragique. Le public se demande forcément : est-ce que je dois en rire ? Pour moi, c’est une manière de vraiment connecter le spectateur, de l’impliquer personnellement face à une situation qui le surprend.
O. : On imagine que c’est l’enfer à préparer ?
J. : P*tain, oui ! Et pas juste pour moi, qui ne suis pas un acteur. On doit répéter des milliers de fois, jusqu’à ce que ce soit parfait. Je m’entraînais, moi, à hurler dans un parking, dans ma douche… Puis quand tu arrives sur le plateau, il faut que tout soit très lent, extrêmement coordonné. Il n’y a pas la moindre place pour l’improvisation ou l’erreur. C’est comme un ballet.
O. : Revenons sur ton dernier long : The Wolf of Snow Hollow. Une comédie d’horreur et de monstre, dont tu maîtrises totalement les codes : fondus, plans d’ambiance, musique… Tu adores réaliser, et tu as une envie évidente de jouer. Dans quel domaine te sens-tu le plus accompli ?
J. : Je dirais que je suis meilleur réalisateur que je ne suis acteur. Je suis un terrible comédien, et je pense d’ailleurs avoir joué tout ce que j’avais envie de jouer. Dans The Beta Test, j’incarne un odieux c*nnard. C’était difficile de jauger à quel point tu peux jouer un salopard, et tenter de faire en sorte que le public t’apprécie un peu quand même. C’est un peu ce qui me manquait (rires). Mais je ne jouerai plus dans mes prochains projets, je crois que j’en ai fini. En tant que cinéaste, je pense être relativement capable de prévoir ce que le public va penser, ce qui est une bonne compétence. J’adore écrire des blagues ou des moments de frisson, puis m’installer dans le cinéma, voir comment le public réagit, l’entendre rire ou sursauter.
O. : Dirais-tu que c’est ta signature ? Un certain comique de situation, parfois absurde ?
J. : Quand je grandissais, je trouvais que les films étaient soit très dramatiques, soit très drôles – à part les productions Pixar. Je pense que ma signature, c’est de prendre au départ un film qui paraît conventionnel, familier ; puis de faire des blagues aux dépens du film en lui-même, de faire rire avec l’inattendu. Partir d’une structure classique, et mettre n’importe quoi à chaque étage. Dans The Wolf…, on n’attend pas la bagarre entre le flic et le légiste, mais quelque part on la veut vraiment. Ça ressemble à du DJing, sentir ce que veut le public, préparer la nouvelle chanson et rameuter tout le monde sur le dancefloor.
O. : Toujours sur The Wolf of Snow Hollow, comment as-tu rencontré Robert Forster ? Est-ce que ça a été immédiat ou il a fallu le convaincre de rejoindre l’aventure ?
J. : C’est une belle histoire ! On était sans comédien pour le rôle à un mois du tournage. J’ai écrit ce rôle pour mon père – il a des attitudes et une élocution similaires – mais il avait 84 ans et il n’est pas acteur. On a contacté Bruce Springsteen, malheureusement son calendrier de tournée ne lui permettait pas. Puis mon producteur, Matt Miller, a mentionné Robert, avec qui il avait tourné Too Late (ndlr, de Dennis Hauck, 2015). On lui a envoyé le scénario, et il a dit à son agent qu’il voulait faire le film. Son agent lui a bien mentionné que c’était un film de loup-garou, et Robert a rétorqué qu’il s’en foutait du film de loup-garou : ce qui l’intéressait, c’était tout ce qu’il y avait entre les lignes.
Ce n’est qu’après avoir terminé le film, quand il est décédé, qu’on a compris qu’il savait qu’il allait bientôt mourir en le tournant. Personne ne le savait à l’exception de sa famille. Le film parle exactement de cette situation. J’ai compris a posteriori ce qu’il avait voulu dire quand il parlait d’entre les lignes.
O. : Certains dialogues du film The Wolf… rappellent ton court métrage The Mountains of Mourne et ta relation avec ton frère. Également, dans tes deux longs métrages, tu joues un flic divorcé et père d’une fille. À quel point tes films sont-ils autobiographiques ?
J. : Mon frère est gay et j’ai écrit ces scènes d’après des situations que j’ai effectivement connues. Quelqu’un dans un bar usant de termes injurieux envers les homosexuels, moi qui me lève prêt à frapper… Ce sont de mauvaises situations, je suis bouddhiste dans l’âme, mais je l’oublie facilement si on insulte mon frère… J’ai puisé mon écriture là-dedans, également dans ma vie amoureuse : je suis vraiment divorcé, je ne parle plus à mon ex-femme. Mes deux films m’ont permis d’être particulièrement odieux avec elle, j’exorcise certaines choses que j’aimerais lui dire via mes personnages (rires). C’est aussi ça, le divorce : dire quelque chose d’affreux et le regretter dans la seconde.
O. : En repensant à notre conversation, es-tu tout à fait certain d’être bouddhiste ? Est-ce que faire des films, pour toi, c’est un peu comme ta psychothérapie personnelle ?
J. : Complètement ! Lorsque j’ai fait The Wolf… par exemple, ce sont des sentiments que j’expérimentais quotidiennement. On avait une équipe de 55 personnes, j’avais 32 ans ; et personne, absolument personne ne voulait écouter un gamin lui dire de travailler plus pour faire un meilleur film. J’avais tout ce ego à revendre, toutes ces conneries. J’admets que je suis un control freak quand il s’agit de films : ils doivent être parfaits. Je ne vois pas l’intérêt de faire un film si c’est pour laisser quelque chose au hasard ou fait à moitié. Je suis par conséquent un patron exécrable (rires).
O. : Tes films courts ont remporté beaucoup de succès : The Robbery, programmé deux années de suite à La Fête du court métrage. Tu comptes continuer ou l’avenir est-il du côté du long ?
J. : On prépare un court, Gary, avec un pote, sur une idée absurde et géniale d’une dérive de filtre Snapchat. Les courts métrages, pour moi, c’est éducationnel. On essaie des focales, des plans, on apprend la gestion d’équipe. C’est d’ailleurs plus difficile, quand tu reviens au court après des longs, parce qu’au départ, tu fais des films que personne ne verra. Aujourd’hui, il y a un peu plus de lumière sur ces courts, plus d’argent, plus de collaborateurs… J’ai toujours envie de faire des courts métrages, j’ai quelques idées, mais probablement plus sur des formats YouTube que Vimeo – si jamais ça a un sens.
O. : Pour les longs métrages, la réalisation : tu as eu des inspirations particulières ?
J. : David Fincher, déjà. Pas seulement dans l’esthétique et la manière, aussi dans sa dévotion totale au storytelling de qualité. The Social Network est mon préféré : il y a d’ailleurs un peu de ce film dans The Beta Test. Plus récemment, Bong Joon-ho. J’ai dû voir Parasite des milliers de fois, il est exceptionnel. Bill Hader, qui est devenu un ami et que je remercie dans le générique de The Beta Test, a été une grande inspiration également, pour son travail sur Barry (la saison 3 sortira en 2022, ndlr). J’aime les œuvres plurielles, tout ce qui donne l’impression de voir plusieurs films en un seul.
O. : Tu as rapidement évoqué Pixar. C’est lequel, ton film préféré ?
J. : Inside Out ! (ndlr, Vice Versa en VF). Sans commune mesure. Il y a un suicide, dans ce film. Quand on tournait Thunder Road, le court métrage, je me mettais cette scène sur iPad, encore et encore, pour me mettre à pleurer. Et c’est un Disney ! C’est si inattendu, si triste, et si beau. J’ai des larmes aux yeux chaque fois que je pense à cette scène (ndlr, il a les larmes aux yeux en l’évoquant). Ça me fait penser à Matrix : on y parle philosophie, mais ça reste comestible. Inside Out est comme un cheval de Troie : un film déguisé en comédie pour enfants, qui parle finalement aux enfants de leurs émotions d’une manière très adulte. Je n’ai plus rien vu de tel depuis.
O. : Puisque tu en parles, terminons sur Matrix… Es-tu excité à l’idée du quatrième ?
J. : F*CK YEAH ! On a des bureaux adjacents à ceux des sœurs Wachowski à Los Angeles (ndlr, Vanishing Angle, la société de production de Matt Miller, qui produit tous les films de Jim). Le jour où elles ont annoncé qu’il y allait avoir un Matrix 4, j’étais tranquillement sur mon ordinateur, en train de lire mes mails. Je vois l’alerte, et j’ai couru vers leurs bureaux, suis entré en hurlant : « JE SUIS TELLEMENT EXCITÉ ! MERCI, MERCI ! » Tout le monde m’a regardé, un peu effrayé. Ça a été ma seule rencontre avec Lana Wachowski (rires). Mais c’est Matrix, putain !