Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Le 14 juillet aux Francofolies de la Rochelle, le feu d’artifice n’était pas sur la grande scène avec DJ Snake, mais dans les ambiances feutrées et exquises de Gabi Hartmann à la Coursive.
Qui irait s’enfermer le soir d’un 14 juillet, dans la salle sombre et fermée d’un théâtre ? À l’extérieur, les lumières dansent sur les pierres blanches de La Rochelle. Pourtant, c’est quelques 300 personnes qui viennent se cloîtrer face à la révélation du jazz français, Gabi Hartmann.
À ce moment, la salle bleue de La Coursive a l’odeur des clubs de jazz capitonnés de New York. Est-ce un souvenir des voyages de Gabi Hartmann ? Un reste d’influence de son premier album composé dans l’escarcelle de la scène américaine ? Ou l’effet que la chanteuse produit à chacune de ses apparitions, dans un mélange difficilement discernable de mélancolie tellurique, de spleen amoureux et de douceur réconfortante. Cette fête nationale-là portait les émotions du monde.
Il y a quatre ans, Gabi Hartmann nous emmenait dans les rues de la Grosse Pomme pour notre éditorial Arty Airlines. Cette fois, c’est nous qui venons à l’artiste pour l’interview Jour & Nuit, avant et après son concert.
Marin : Salut Gabi ! Tu as sorti ton 1er album Gabi Hartmann le 13 janvier. Comment se passe la sortie jusqu’à maintenant ?
Gabi Hartmann : Ça a été assez fou. La sortie de l’album a été très intense, notamment avec un concert à La Seine Musicale. Je reçois toujours des messages de remerciement à travers le monde – du Japon, d’Espagne, des États-Unis. Je ne sais pas qui l’a écouté, comment et pourquoi, mais tous ces messages d’inconnus du monde entier me font chaud au coeur.
M. : Cette dimension internationale est très présente avec tes musiciens studio, le guitariste new-yorkais Julian Lage et le franco-coréen Oan Kim. Comment transposer un album avec une patte internationale sur une scène locale ?
G.H. : C’est un dilemme d’arriver à transposer cet album qui a été fait entre Paris et New York, sans les musiciens new-yorkais qui ont leur approche de ma musique. Il y a des formules différentes, ce soir on est en quartette, mais ça peut être en quintette ou en sextette. Quand on est en formation complète, j’ai un guitariste d’origine guinéenne qui apporte une patte qui correspond très bien à ma musique (ndlr, Abdoulaye Kouyaté). Et parmi les solistes, il y a un saxophoniste-flûtiste américain (ndlr, Robby Marshall). Finalement, on arrive à retrouver la dimension internationale (rires).
M. : Ce n’est pas du tout la même approche si l’on joue en quartette ou en sextette. Comment t’adaptes-tu ?
G.H. : Ce n’est pas facile, cela demande à chaque fois de ré-adapter le répertoire avec les musiciens. Je laisse quand même généralement beaucoup de place à l’improvisation, ce qui donne une couleur différente si je suis accompagnée d’un guitariste ou d’un pianiste qui a un jeu de l’Afrique de l’Ouest. Mais j’ai la chance de jouer avec eux depuis un certain nombre d’années, ce qui permet une grande complicité.
M. : Toujours dans l’idée de l’adaptation, je te connais pour tes concerts au Duc Des Lombards, salle emblématique de la scène jazz parisienne. Comment s’adapte t-on quand l’on vient de cette scène intimiste à des festivals parfois surdimensionnés ?
G.H. : Le Duc Des Lombards, c’est spécial car c’est une toute petite salle mythique de la scène jazz parisienne. Il n’y a pas plus de 70 places, assises, en cercle. On est si proches du public que c’est un son acoustique qui n’a pas besoin d’être amplifié. Ce qui est très différent des festivals où l’on est plus loin du public, et où il faut travailler avec un ingénieur son pour sonoriser. Pour autant, je pense que j’ai gardé cette proximité avec le public dans les salles beaucoup plus grandes. Il y avait 1000 personnes à la Seine Musicale pour le concert de sortie d’album, et je continuais de m’exprimer de la même manière que si j’étais en face de 70 personnes.
M. : Tu as eu une mini-tournée en Allemagne en novembre dernier. Comment se prépare t-on à jouer face à un public étranger, quand on chante en portugais, en français et en anglais ?
G.H. : Dans chaque pays, il y a une écoute différente. Le public n’a pas forcément la même culture du concert, et en Allemagne ils sont très attentifs. Alors qu’en Suisse, par exemple, c’est beaucoup plus des fêtards. En fait, cette tournée en Allemagne vient du fait qu’il y a eu très rapidement un intérêt des professionnels allemands pour le projet. Il se trouve que c’est aussi un très grand pays pour les festivals de jazz et de musique du monde. Et puis après, j’ai un nom de famille allemand, mais je ne parle malheureusement pas du tout allemand (rires). Mais ça viendra peut-être !
M. : Quelle émotion cherches-tu à transmettre en première sur scène ?
G.H. : Je cherche à transmettre ma passion et ma curiosité pour cette diversité musicale. Je chante parfois des chants traditionnels du Brésil en live, alors qu’ils ne sont pas du tout sur mon album. J’essaie aussi de transmettre le partage et l’écoute entre moi et mes musiciens, cette complicité musicale que l’on a sur scène, avec tout ce que j’ai en moi.
M. : Tu joues ce soir aux Francofolies de la Rochelle, dans la salle bleue du Théâtre de la Coursive. Est-ce que le fait d’avoir beaucoup tourné atténue l’effet de nouveauté ?
G.H. : Chaque concert est différent selon la résonance de la salle, la configuration et l’espace. Le trac, j’essaie de ne pas trop y penser même s’il est toujours là en fond. À force de faire et refaire des concerts, il commence à un peu se réduire. Mais c’est un important d’en avoir, sinon on n’a pas d’émotions.
M. : Quels sont tes petits rituels avant la montée sur scène ?
G.H. : Faire des respirations, méditer, chauffer ma voix, et bien sûr faire des câlins à mes musiciens avant la montée sur scène.
M. : Si tu devais définir ton état d’esprit actuellement en un mot ?
G.H. : Je dois l’avouer… Je suis un peu stressée (rires).
M. : Comment s’est passé ce concert aux Francofolies, le stress est redescendu ?
G.H. : J’ai senti tout de suite le public très chaleureux, ça m’a apaisée. C’est allé hyper vite. Un concert, ça va toujours très vite. Je n’ai pas compris ce qui s’est passé (rires).
M. : En sortie de scène, qu’est-ce que tu as fait en premier ?
G.H. : Je suis allée dédicacer les CD et les vinyles. J’adore discuter avec le public après le concert, pour savoir comment ils m’ont découverte, ce qu’ils ont aimé, d’où ils viennent… Il y a un groupe qui est venu de Versailles, et un Australien était là aussi dans la salle.
M. : C’est quoi la plus belle chose qu’on t’ait dite au moment des dédicaces ?
G.H. : Une dame m’a dit qu’elle avait pleuré en m’entendant chanter en portugais. Sa fille est partie vivre au Brésil, et depuis elle ne la voit plus. Je lui ai dit que j’étais sûre qu’elle la reverrait. J’avais l’impression d’être un peu devenue…
M. : Sa fille par procuration ?
G.H. : Voilà c’est ça (rires). Parce que moi, je suis allée au Brésil, mais j’en suis revenue ! En tout cas, c’était très émouvant.
M. : Il y a eu des surprises sur scène ?
G.H. : Ce qui est beau en live, c’est qu’il a toujours des surprises. On a beau connaître les morceaux par coeur, on va toujours les faire un peu différemment, en particulier les solos. Ce soir particulièrement, on s’est bien lâché comme on se sentait porté par le public.
M. : L’ambiance était particulière, pour un 14 juillet ?
G.H. : C’est génial que le public vienne pour le 14 juillet, malgré tout c’est une salle dans le noir, le concert a terminé tard. Et la salle était comble, le public s’est levé à la fin.
M. : Qu’est-ce que je peux te souhaiter, maintenant que la tournée est bien entamée ?
G.H. : De revenir aux Francofolies l’année prochaine, sur la grande scène.