Professeure de philosophie et étudiante en histoire de l'art le…
À l’occasion de son passage au festival Cabourg Mon Amour, nous avons eu l’occasion de rencontrer le DJ et producteur belge installé à Paris, Tour-Maubourg — Pierre de son prénom — pour discuter de son dernier album Spaces of Silence et de la tournée qui l’accompagne.
Manon : Salut Tour-Maubourg ! La sortie de ton album Spaces of Silence entraîne une tournée de concerts et de festivals à travers l’Europe, comment le vis-tu ?
Tour-Maubourg : Exactement, et franchement, très bien. C’est un peu l’aboutissement de ce qu’on a envie de faire quand on sort son projet, on a envie d’aller le défendre à un maximum d’endroits. En plus, on a vite commencé à préparer un live pour l’album, ce qui nous a permis de bosser avec des musiciens pour le réarranger un peu. On présente quelque chose de nouveau.
M. : Justement, comment passe-t-on du format studio au format live ?
T.M. : C’est un moment très intéressant, j’ai travaillé avec des musiciens, dont principalement un saxophoniste, ce qui a impliqué de réarranger les morceaux pour lui donner une place intéressante. En même temps, il ne fallait pas que le saxophone prenne toute la place. Il y a aussi le fait qu’en musique électronique, on s’éloigne parfois de l’idée d’avoir la mélodie au cœur du titre. De fait, il fallait vraiment réfléchir de nouveau les morceaux, et surtout l’intention exacte qui s’y cachait en se demandant : « Quelles sont les mélodies vraiment importantes qui font le morceau ? ».
M. : Et tout ça, vous l’avez fait en partant en résidence, ou dans d’autres lieux ?
T.M. : Je viens de déménager à Bruxelles, mais j’avais un studio à Paris donc on se voyait tous les jours pendant un mois pour reprendre les morceaux un par un. Dans le studio dans lequel j’étais, il y avait en fait plusieurs studios, donc pour sortir de nos habitudes, on déplaçait tout de l’un à l’autre pour se mettre dans une autre situation.
M. : Quand tu as préparé l’album, tu avais déjà une idée du live que tu voulais créer, avec l’idée du saxophone par exemple ?
T.M. : Il y avait l’idée d’un live quoi qu’il arrive, parce qu’il fallait défendre l’album sur scène. Par contre, je partais sur l’idée d’un live électronique où je faisais tout moi-même. Pour l’émission Club Croissant de Tsugi, j’ai proposé à un saxophoniste de venir faire deux/trois morceaux en live, et de là, notre collaboration a commencé. Ça a beaucoup changé ma manière de voir le live et les titres, je suis beaucoup plus à l’aise. Avant, j’avais un peu l’impression qu’avec l’électronique, comme tout est préprogrammé, tout tourne un petit peu. Maintenant, j’ai l’impression de suivre mon live, d’en être acteur, d’avoir le contrôle, de pouvoir arrêter quand je veux pour discuter un peu avec les gens, d’avoir de l’interaction, ce qui est quand même plus agréable.
M. : Tu prépares un set unique, ou tu le déclines selon l’endroit de la tournée ?
T.M. : Il y a des soirs comme aujourd’hui où je suis en DJ Set, mais pour les lives j’ai une tracklist avec 8-9 morceaux. Parfois on en enlève, on en rajoute un, on fait quelques tests pour voir ce qui marche bien ou ce qui marche pas, c’est légèrement mouvant, mais on garde la même base. Anecdote, sur notre premier live on n’avait pas prévu de chanson de rappel donc on était un peu perdus au moment où tous les gens se sont mis à crier « encore encore ». (rires)
M. : Pour ton live, ce ne sont que des titres du dernier album ?
T.M. : Non, non, c’est un best of de chaque album et en plus, il y a des titres qui ne sont pas encore sortis. Ça permet de garder quelque chose d’un peu excitant, car on ne fait pas toujours la même chose. On essaie aussi d’avoir quelque chose de cohérent et qui fonctionne en live, et pour ça, je trouvais ça plus cool d’aller piocher un peu dans tous les albums.
M : Justement, comment tu pourrais décrire les évolutions qu’il y a eu entre tes précédents lives et celui-ci ?
T.M. : Avec le premier, c’était assez facile de savoir où j’allais, je n’avais ni d’a priori sur ce qui s’est passé avant. Le deuxième a été plus compliqué, car je devais me demander où est-ce que je voulais aller musicalement pour réussir à garder un petit peu ce que j’avais dans le premier, ainsi qu’y mettre quelque chose de nouveau, et trouver un fil conducteur entre tous les morceaux.
M. : En 2020, tu avais rencontré Arty Magazine, et tu nous disais que tu cherchais à avoir une histoire et une cohérence dans tes albums. Il semble que ce soit quelque chose que tu reconfirmes…
T.M. : Je cherche toujours à ce qu’il y ait quelque chose qui soit raconté. Même si ce n’est pas palpable, si je ne suis pas maître dans la manière où les gens peuvent s’identifier à quelque chose, mais l’idée reste la même : qu’il y ait une histoire avec un début, un milieu, une fin, des moments forts, mais pas en continu, sinon ce qui est fort devient fade et ce qui est censé être faible ne l’est pas non plus.
M. : Tu recherches la même chose en live ?
T.M. : Dans l’introduction de mes lives, je mets souvent des morceaux d’interviews, de choses qui m’intéressent ou qui m’ont marqué quand j’étais plus jeune, et du field recording. Ça crée une ambiance différente. J’ai enregistré tout ça à la campagne, chez mes parents ; la pluie et d’autres atmosphères qui vont arriver petit à petit dans le live. Ça donne un cadre dans lequel les gens peuvent s’insérer et après, les emmener quelque part.
M. : Si tu devais nommer ce cadre que tu essayes de donner ton public, quel serait-il ?
T.M. : L’idée du deuxième album était en fait d’intégrer beaucoup de sons ambiants — des sons de vinyle, des sons de machines — pour essayer de caractériser le fait que comme j’ai des acouphènes, j’ai toujours un bruit dans l’oreille. Déjà moi, ça me permet de ne plus entendre ce bruit, car ça me permet de lancer directement du son et ça permet aussi que les gens aient autre chose que la musique dans la tête. Ça rend l’album plus cinématique.
M. : Sur scène, tu cherches à avoir de l’interaction avec le public ?
T.M. : Je ne sais pas (demande à son manager et il rit), je ne sais pas si je cherche beaucoup l’interaction avec le public. En DJ set, c’est complexe, car les gens ne viennent pas forcément me voir moi : ils viennent en soirée. En concert, on sait que les gens sont intéressés, c’est plus facile d’avoir des interactions.
M. : Dans la totalité de ton projet artiste, quelle place donnes-tu au live ?
T.M. : C’est une part de plus en plus importante, surtout depuis qu’on réarrange les morceaux avec des musiciens. Maintenant, dans ma composition, il y a vraiment l’idée de comment jouer ça en live, des intentions. Ça prend de plus en plus de place, même si 80% de mon temps est passé en studio.
M. : Dernière question, as-tu un rituel avant de monter sur scène ?
T.M. : J’aime bien être tranquille avant de monter sur scène. Mais sinon pas vraiment.
M. : Alors, comment s’est passé ce passage sur la scène de Cabourg Mon Amour ?
T.M. : C’était cool, c’était un dimanche tranquille, ce n’est pas une foule en délire, mais c’est aussi un moment agréable. C’est différent de jouer pour les gens qui se promènent, qui chillent.
M. : Tu aimes cette ambiance familiale des petits festivals ?
T.M. : Ça dépend, parfois c’est cool et tranquille et parfois, on cherche ce que veulent les gens. Entre les familles et les personnes au premier rang qui veulent faire la fête, il faut savoir se placer.
M. : Tu connais un peu la Normandie et le festival de Cabourg ?
T.M. : Je ne connaissais pas Cabourg, j’étais venu une fois quand j’étais jeune vers 15-16 ans, parce que mon père venait souvent ici quand j’étais petit. J’aime beaucoup, c’est très joli et tranquille. C’est une bonne petite ville pour passer ses vacances.
M. : Quelle est la première chose que tu te dis en sortant de scène ?
T.M. : Souvent je discute avec Thomas Prunier, mon manager. Parfois, je me dis que je serais bien resté une heure de plus, parfois que j’ai fait ce que je voulais faire, et parfois que je n’aurais jamais dû faire ça. Tout dépend de la prestation. En tout cas, je me demande si je suis satisfait de mon set et si le public aussi.
M. : Tu as un petit moment d’euphorie de la scène ?
T.M. : Encore une fois ça dépend de la prestation, souvent quand c’est une petite scène avec beaucoup de monde autour, c’est plus intense, il fait chaud, je suis plus en transe. Généralement, il y a quand même ce moment de bulle pendant quelques heures avant de recommencer à parler à tout le monde, ça donne un peu l’impression d’être saoul sans boire.
M. : Tu as un regard critique sur tes prestations ?
T.M. : Beaucoup trop, je passe 80% du temps à me dire que ce n’était pas fou. Je pense qu’en tant qu’artiste, on se concentre beaucoup sur ce qu’on a mal fait, alors que le public s’attache à autre chose. Quand je vais en club, je suis aussi très critique envers ce que j’écoute, donc je pense que je me mets moi-même une pression supplémentaire en me disant que les autres font pareil. C’est aussi pour ça que je ne vais plus trop en club, je suis trop orienté travail, les week-ends je reste à la maison.
M. : Tu restes voir quelques artistes au festival ?
T.M. : J’étais là hier donc j’ai pu voir les artistes programmés le samedi soir, mais j’ai un train qui m’attend juste après mon set, je ne pourrai pas rester même si je serais bien resté. Hier, j’ai vu Mira Ló, son set était super cool, j’ai aussi vu Didi Han et Zaoui, c’était vraiment génial.