Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Trois ans après le succès populaire et critique de Chapter One, Kimberose prend son envol avec son nouveau chapitre en solo, Out, consécration d’une artiste émancipée en paix avec elle-même.
A première vue, n’importe quel amateur de soul se baladant au rayon de la FNAC pourrait croire que la teinte dominante de Out est le rose, omniprésent sur sa pochette monochrome. En vie comme en musique, les apparences sont parfois trompeuses. Out est le « coming-out » artistique de Kimberose qui resplendit aux couleurs de l’arc-en-ciel. Du rouge pour l’ardeur de son affirmation qui imprègne chacun de ses textes. Du bleu pour l’envie de nous entraîner à la découverte de nouveaux registres pop et jazz. Du jaune pour les vibrantes instrumentations de cordes et de cuivres qui lui donnent son relief.
Sur cette pochette équivoque, le mouvement de tête de la nouvelle icone de la soul importe autant, déterminée à regarder ailleurs, le visage hors du cadre. Après l’accueil dithyrambique de Chapter One, disque d’or en 2018, le second album de Kimberose célèbre l’affirmation de Kim avec son premier disque en solo, toujours sous le même nom de scène, mais sans le groupe qui l’accompagnait jusqu’alors. L’artiste s’émancipe en dehors des tracés balisés auxquels on semblait la destiner.
Marin : Salut Kimberose. Comment te sens-tu ? Ce n’est pas trop compliqué de sortir un album en ce moment ?
Kimberose : C’est particulier mais je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut continuer à tout prix. On ne peut pas tout geler, tout arrêter. Je suis contente, ça me donne de l’énergie, ça pousse vers l’avant et l’avenir, ça donne envie d’y croire aussi. On va voir. Il faut que ça prenne et que ça dure surtout.
M. : Out, c’est le nom de ton album. Plusieurs de nos confrères journalistes ont fait le jeu de mot sur « le coming-out de Kimberose ». Est-ce que cette interprétation te plaît ?
K. : J’ai aussi pensé au coming-out en appelant mon album Out. Le coming-out, c’est quelqu’un qui dit ce qu’il est réellement, souvent aux personnes qu’il aime. Cet album est une manière de m’affirmer, de montrer davantage de moi en tant qu’artiste, peut-être aussi de réparer les frustrations que j’avais eues sur le premier album. Par exemple, en empruntant à différents styles musicaux alors que le premier était plus focalisé sur la soul. Là, j’ai ouvert des fenêtres sur l’extérieur, je suis allée pêcher dans le reggae, le jazz, la pop ou le gospel, ça m’a donné une sensation de liberté. Le coming-out, c’est vraiment un terme qui me parle.
M. : Ton nom de scène Kimberose, c’est la contraction entre ton prénom « Kimberly » et la conjugaison du verbe « oser ». Cet album est en adéquation avec ton identité ?
K. : Oui bien sûr, j’ai essayé beaucoup de choses. Déjà j’ai osé dire au revoir au groupe et continuer en solo, ce n’était pas facile. Ce n’est pas une décision que l’on prend comme ça. Je me sens beaucoup plus libre, déjà en tant que femme dans ma vie personnelle, je crois avoir grandi aussi. Musicalement, tout ce que j’ai vécu grâce au premier album m’a musclée, dans ma façon de travailler, d’être en capacité de dire non, de savoir où je veux aller. Tout ça fait partie du parcours qui a fait que, totalement, c’est un album de libération, d’affirmation de soi. Mais en même temps je crois au destin. Le premier album fait partie de mon histoire, si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas fait Out. C’est une continuité, c’était presque écrit, c’est comme ça que je le ressens. « Oser » pour moi, c’est super excitant.
M. : Tu ouvres cet album avec la détonation pop de Back On My Feet. Ce titre est une manière de poser les bases d’emblée de jeu ?
K. : Back On My Feet, ce sont ces moments dans la vie où on se sent glisser, où on tombe carrément, et il y a toujours un moment où on se relève. On se dit : « C’est bon, je ne peux plus me laisser glisser comme ça ». Back On My Feet, c’est un titre solaire, d’acceptation de soi. C’est un titre qui raconte qu’accepter ses erreurs c’est aussi grandir, se renforcer davantage. Ça me paraissait une évidence de revenir avec ce titre. J’ai commencé ma carrière en m’excusant avec le titre qui s’appelle I’m sorry et dans Back on my feet je dis « I ain’t sorry ». Ça m’a fait du bien d’écrire cette phrase.
M. : C’est aussi le titre parfait pour conjurer l’époque actuelle dont on parlait ?
K. : C’est le titre parfait pour revenir à des choses plus solaires, sur lesquelles on peut danser, avoir l’esprit plus léger, être heureux. On a tous besoin de ça en ce moment, le quotidien est quand même très morose. Revenir dans une période comme celle-ci ce n’est pas anodin, alors revenir avec cette chanson était comme une évidence.
M. : Ton petit frère Brian a participé à l’album. En quoi a t-il été important ?
K. : Déjà mon petit frère, c’est l’un de mes meilleurs amis. On se raconte nos vies tout le temps, c’est quelqu’un qui m’inspire énormément, on a la même passion pour la musique depuis toujours. C’est aussi quelqu’un qui m’encourage quand j’ai des petits coups de mou, parce que ce n’est pas un métier facile, des fois la lumière est un peu moins forte. C’est quelqu’un sur qui je peux compter tout le temps. En plus, j’ai trouvé ça extrêmement intéressant d’avoir pu co-écrire avec lui. Déjà, parce qu’on a quand même 7 ans d’écart. Ensuite, parce qu’il vit en Angleterre et il parle un anglais fluent d’aujourd’hui. Et puis c’est un garçon. Je trouvais ça intéressant de mélanger nos écritures et de se faire des ping-pongs : « Mais non c’est mieux si on dit comme ça », « Ah oui tu crois ? ». C’est très enrichissant.
M. : C’est devenu un projet familial ?
K. : (rires) C’est vrai d’une certaine manière. En même temps, on a été éduqué comme ça, on est très famille. On n’a pas beaucoup de famille malheureusement, ma mère vient du Ghana, elle a été un peu déracinée. Entre les frères et moi, la seule sœur, on est très proches.
M. : Parmi les collaborateurs de cet album, il y a aussi le pianiste Sofiane Pamart ?
K. : La rencontre s’est faite car on a le même éditeur. Je me souviens encore de la journée passée ensemble en studio, il y avait des idées qui fusaient dans tous les sens, on ne s’arrêtait pas. Humainement aussi, le courant est passé tout de suite. Toutes les personnes avec qui je travaille, c’est à l’instinct et au feeling humain. En studio, on était tout de suite à l’aise, dans une sorte d’effervescence, on a créé une dizaine de titres. Sofiane, c’est un pianiste extraordinaire. Travailler avec un pianiste comme lui, c’était déjà une chance. Sur cet album, j’ai l’impression d’avoir eu des collaborateurs de haute voltige, Sofiane en particulier.
M. : Ton premier titre en français L’envie de valser est venu avec le piano de Sofiane ou il était écrit avant ?
K. : C’est la dernière chanson que l’on a écrite ce jour-là. Sofiane me dit avant de se quitter : « Quand même, il faudrait qu’on se fasse une valse ». Je ne sais pas pourquoi, il a des idées comme ça des fois. Je l’ai pris au mot en gardant « valse » dans ma tête. Plus personne ne valse en soirée, alors je trouvais ça charmant d’imaginer une valse de maintenant, et ce qu’une femme de maintenant dirait à un homme qui la soûle. Tu es en soirée, tu n’as pas envie de valser avec celui-là…
M. : Et tu l’envoies valser ?
K. : Oui c’est vrai, il y avait aussi ce sens. Je trouvais que tu pouvais jouer de plein de manières avec ce mot vraiment charmant. L’écriture est venue en français. Je me suis dit : « Enfin ! J’ai fait une chanson en français » (rires).
M. : Tu as envie de réécrire d’autres chansons en français ?
K. : Complètement, ça m’a débloqué quelque chose. Quand j’ai commencé à écrire à 15/16 ans, j’écrivais toujours en français et en anglais. Sur le chemin, j’ai un peu délaissé le français. Le fait d’y être revenue avec L’envie de valser, ça me donne envie d’écrire davantage dans cette langue. Elle est merveilleuse et complexe à la fois. Écrire en français et l’écrire bien, c’est un challenge excitant, ça ouvre une porte sur d’autres possibilités et de nouveaux chemins.
M. : Il y a cette phrase où tu renverses le rapport de séduction homme/femme : « Et je n’suis pas si facile, et même quand tu bats si fort des cils ». Ce sont des thématiques que tu aurais envie de pousser plus loin ?
K. : Brandir un étendard, ce n’est pas mon truc. Mais par contre le faire en musique, oui. Au final, on est tous empreint de notre société, on vit dans la société, on est actif, on rencontre du monde. Je pense que c’est normal que ça se ressente dans mes textes à un moment. Même si tu ne le voulais pas, ça ressortirait quand même. On est immergé dedans entre les actualités et nos propres vies au quotidien, tu ne peux pas oublier que tu es une femme, on te le rappelle tous les jours. Cette chanson, elle était aussi personnelle. Ça fait doublement du bien de l’écrire. Pour moi, ça demande de la force de dire : « Je n’ai pas envie de valser avec toi, j’ai envie de valser avec quelqu’un d’autre ».
M. : Sober m’a aussi marqué pour sa grande résilience : « I see it clearly now, I only fell for you / ‘Cause I was young, dumb and broken ». Que raconte cette chanson pour toi ?
K. : Sober, c’est la seule chanson de l’album que je n’ai pas écrite (rires). C’est la chanteuse afro-américaine Joy Oladokun qui l’a sortie en 2018, mon producteur me l’a fait écouter en me disant : « Écoute ça, c’est vraiment cool ». J’étais dans un moment de ma vie où je me suis dit en écoutant les paroles : « Mais c’est moi ». Au début, j’étais un peu en résistance avec la chanson. Et puis au fur et à mesure, je la réécoutais en me disant que c’était un beau titre, une chanson vraiment bien écrite. Je ne regrette pas de l’avoir mise sur l’album car elle apporte un relief, et moi qui aime tant participer aux textes, je trouve que c’est parfois un plaisir de chanter les chansons des autres. Quelqu’un qui écrit une chanson, il l’écrit avec son esthétique, sa façon de jouer avec les mots, en fonction de sa voix. Plus je la chantais, plus c’était une évidence. Le texte me parlait énormément. Elle raconte vraiment une étape de cet album, elle va avec les autres chansons, même si ce n’est pas moi qui l’ai écrite.
M. : Comment résumerais-tu ce qu’incarne ce nouvel album pour toi, Kimberly ?
K. : Cet album c’est mon émancipation. J’ai vraiment l’impression d’avoir grandi ces deux dernières années en écrivant cet album, en choisissant vraiment mon entourage professionnel de gens qui me fascinent, dont je me nourris aussi. Ça me libère artistiquement et dans ma vie personnelle. C’est un album qui pour moi est extrêmement important. Même dans 10 ans, je suis convaincue que je dirais la même chose, que cet album a été un tournant. Avant de l’écrire, je me disais : « Attention Kim, cet album, ça passe ou ça casse ». En plus, il y a cette malédiction du second album à laquelle je pensais très fort, je suis très superstitieuse. C’est un album qui m’a fait beaucoup de bien et qui en fera j’espère au plus de personnes possibles. Pour moi, la musique c’est une thérapie, et je ne pense pas être la seule dans ce cas là.
M. : Comment fait-on pour lever cette malédiction du second album ?
K. : Écoute, je ne me suis pas encore mise au vaudou (rires). Je pense qu’il faut avoir confiance en soi. Je m’appelle Kimberose, on en parlait tout à l’heure, il y a un moment il ne faut pas seulement le dire, il faut le faire. De toutes façons je n’ai pas le choix, d’une certaine manière la musique c’est ça ou rien. La musique, c’est ce qui m’anime, ce qui me fait me réveiller le matin. Pour chasser le mauvais œil, il suffit d’y croire. Avoir la niaque, ne rien lâcher et tout donner.
M. : En 2018 tu as sorti Chapter One, aujourd’hui ton nouvel album Out. C’est quoi ton but ultime ?
K. : Mon but ultime, c’est de faire de la musique et de la scène jusqu’à la fin. C’est d’écrire des chansons pour moi, pour les autres, de rencontrer un maximum d’artistes. Tu es dans ta bulle, tu as ta bizarrerie à toi, et tu rencontres un autre bizarre, avec une autre façon de faire. C’est super nourrissant pour moi, avant je ne le faisais pas, on était en autarcie sur le premier album. Il y avait l’effet groupe et on s’était replié sur nous-mêmes. Le fait d’être solo, je suis un peu un pion qui peut aller se balader partout. J’ai appris beaucoup de choses et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre au gré des rencontres. Mon but, c’est de continuer ad vitam æternam.
M. : Ce serait quoi ta collaboration rêvée ?
K. : Lianne La Havas, qui est une magnifique chanteuse… Moses Sumney, Rosalía, Erykah Badu… Ou encore Lauryn Hill, bien que ses concerts sont apparemment moins cools dernièrement. Ce serait aussi des gens qui ne sont plus là comme Etta James.
M. : La chanson que tu aurais rêvé d’écrire ?
K. : At Last d’Etta James, c’est une chanson merveilleuse. Je pense qu’il y a des milliers de personnes qui se sont mariées dessus, elle accompagne la vie des gens depuis tant d’années. Je n’oublierai jamais quand Michelle et Barack Obama ont dansé sur At Last à leur arrivée à la Maison Blanche.
M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
K. : Je pense déjà qu’être un artiste, c’est quelque chose qui se construit, qui s’affine. Mais le Saint Graal d’un artiste c’est la liberté, d’être ce que tu es, de créer que tu as envie de créer. La liberté, on lui court toujours après, on ne l’attrape jamais vraiment, mais parfois on s’en approche. Pour moi, un artiste, c’est quelqu’un qui court toujours derrière la liberté, et qui y est parfois presque.