Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
LaFrange, alias Zoé Seignouret, présente son second EP Everything’s Fine, éclosion d’une esthétique en guitare-voix nourrie par le songwriting anglo-saxon.
Si la folk de LaFrange avait une couleur, ce serait au pastel délavé de ses clips. Parce que l’entrelac de sa guitare épurée avec sa voix effilée s’imprègne des derniers souvenirs de l’adolescence, son projet est plein d’un grain passé, sorte d’étalonnage musical entre la longue tradition de l’indie en pantalon velours et des premiers pas d’une artiste qui ne cesse de s’affirmer.
LaFrange noue son histoire personnelle à celle universelle d’un genre initié en 1965 par les Byrds, la folk, se réappropriant les couleurs de la révolution des mœurs par les six titres de son émancipation féminine.
Guitare-voix et paroles en anglais
La frange, que l’on choisit désormais comme un gadget de style chez le Franck Provost du quartier, est historiquement la symbolique d’un glamour yéyé qui affirme son indépendance, sa beauté et son désir. Chez LaFrange, ce n’est pas l’effet de mode qui compte. Son second EP Everything’s Fine est l’antithèse d’un produit marketé sur Spotify en ne cherchant pas à plaire au grand nombre avec son dépouillement instrumental, ni à séduire quoiqu’il en coûte en chantant en anglais, mais à s’accomplir au feu calme de ses guitare-voix.
Il y a deux ans et demi, son EP Save the Date était plus orchestré, moins grande gueule sur une barricade de velours. La suite sera t-elle à la garçonne, crêpée ou chignon ? Peu importe, maintenant que Zoé a trouvé sa coupe musicale.
Marin : Salut LaFrange. Tu as sorti ces derniers jours ton second EP Everything’s Fine qui fait suite à Save the Date en 2018. Peux-tu me raconter ce qu’il s’est passé ces dernières années pour toi ?
LaFrange : J’ai sorti mon premier EP Save The Date quand j’avais 23 ans, c’était en quelque sorte le commencement. Je me suis ensuite un peu laissée porter et déborder par mes études, puis la raison a pris le dessus. J’ai travaillé un temps comme cheffe de projet dans un label de musique et j’ai un peu laissé ma passion de côté, sans trop l’épargner non plus. C’est vraiment en 2020 que mon projet a pris énormément de place dans ma vie et dans mon cœur, tout ça est devenu viscéral et j’ai commencé à penser Everything’s Fine à ce moment-là.
M. : Pour remonter plus loin dans le temps, il y a cette anecdote initiatique comme quoi tu passais ton temps à chanter enfant, jusqu’à ce que l’on te fasse taire. Quels artistes t’ont donnée envie de chanter ?
LF. : Ah là on remonte carrément à mes 3 ans ! En vrai, j’ai vécu mon éveil musical avec des artistes comme Garbage, Dido ou les Cranberries que mon père écoutait. Je me souviens que je chantais souvent leurs chansons en playback et j’apportais partout où j’allais leurs disques pour les faire découvrir à mes copines. Ensuite, je dirais qu’Avril Lavigne a indéniablement joué un rôle et m’a donnée envie de chanter. Elle représentait le « rock », si jeune et affirmé, son univers me faisait insatiablement rêver. Plus tard, j’ai eu envie de m’inspirer de l’excentricité de Kate Nash, la sincérité de Fog Lake ou la mélancolie d’Angus & Julia Stone.
Plus récemment, j’ai découvert God Help The Girl, une comédie musicale réalisée par Stuart Murdoch de Belle & Sebastian. C’est l’histoire d’une fille avec une frange qui rêve de devenir chanteuse et qui lutte contre ses démons par la passion. Elle est à la fois solitaire et indépendante : je n’ai évidemment pas pu m’empêcher de m’identifier à elle.
M. : Tu es ensuite partie en stage à Singapour où la solitude de cette ville inconnue t’a amenée à chanter de nouveau. Exprimer ta mélancolie, c’était une manière d’y remédier ?
LF. : Je suis partie quelques mois et je n’avais pas pris ma guitare avec moi, en me disant que ça irait… Mais ça n’a pas du tout été. Là-bas, je me suis sentie seule et frustrée et je n’avais rien pour l’exprimer. J’ai repris l’écriture à travers un journal intime, quelques lettres, mais je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à la musique. J’en consommais beaucoup et d’un nouveau genre, et puis ça m’a frappée, j’ai compris que c’était le ciment de ma personnalité et que je ne pouvais pas lutter.
J’ai toujours chanté pour m’exprimer mais là-bas c’est devenu fondamental. Je me mentais un peu à moi-même avant, par peur d’essayer, je me racontais que la musique n’était rien d’autre qu’un passe-temps. Je ne dirais pas que c’est un remède à la mélancolie mais plutôt une manière de l’accepter. C’est un peu comme ma sensibilité, c’est quelque chose que j’aime autant que je déteste et j’aimerais l’aimer à 100%. La musique me permet d’y arriver.
M. : J’ai aussi entendu parler de cet album secret que tu as composé et que tu gardes pour toi. En quoi a t-il été décisif dans la conception de ton identité ?
LF. : C’est pas tant que cet album a été décisif dans la conception de mon identité, mais c’est surtout qu’il comporte mes premières compositions donc je dirais qu’il a été une première étape – parmi beaucoup d’autres. J’avoue que ça reste un album de « sad love songs » . Je l’avais appelé Happiness en opposition aux histoires hyper dramatiques que je racontais, bien que je m’inspirais majoritairement des comédies romantiques que j’engloutissais et que j’engloutis toujours.
M. : Pourquoi ne pas le sortir ?
LF. : Si cet album est secret, c’est surtout parce qu’il n’est pas très bon… Peut-être que j’en publierais des bribes un jour ou que j’en reprendrais certains titres, mais bon, ça reste quelque chose que j’ai composé quand j’étais assez jeune. Tout n’est d’ailleurs pas à jeter, c’est dans cet album « top-secret » que j’ai retrouvé la première version de Stockholm que l’on retrouve sur mon EP.
M. : Quelle signification a Everything’s Fine pour toi ?
LF. : J’ai choisi ce titre en opposition à ce qu’il raconte. Je trouvais assez réaliste comme procédé de taire ces émotions et de dissimuler la réalité par peur que celle-ci ne dérange. Everything’s Fine est un peu un mensonge que l’on se raconte, quand on prétend que tout va bien pour signifier que ce n’est pas le cas ou bien pour le camoufler. Dans le titre final et éponyme de l’EP, je fais référence à une agression et la peur que ça engendre, la peur de le dire, la peur d’y croire, les conséquences et même l’acte en soi.
M. : Tu prends le parti d’écrire en anglais, c’est un choix de pudeur ou une affinité particulière pour cette langue ?
LF. : Je ne me suis jamais posée la question de chanter en français. J’ai écrit quelques textes que j’assumerais peut-être un jour, mais j’ai toujours eu cette passion pour la musique anglo-saxonne. L’anglais est assez ancré en moi, ma grand-mère est irlandaise. Je me souviens que quand j’étais petite, j’allais chez elle, on prenait un milky-tea à 17H et je lui demandais des traductions de mots en anglais. Très jeune, j’avais tellement envie de prendre des cours d’anglais pour avoir la possibilité d’écrire mes textes dans cette langue. Bon, j’ai moins fait la maligne quand on a commencé à étudier la grammaire à l’école.
M. : Ton précédent EP avait quand même le titre en français Ta Peau ?
LF. : C’est vrai qu’il y avait Ta peau, mais seul le refrain était en français. Le reste de la chanson a été composé en anglais. J’aime beaucoup cette langue qui est la mienne et peut-être que je m’y essaierais, mais je n’aimerais pas que ça s’apparente à un genre.
M. : Ton EP se démarque par l’épure de ses sonorités acoustiques en guitare-voix. Pourquoi ce parti pris ?
LF. : J’ai choisi quelque chose de plus intimiste pour me retrouver, j’avais envie de quelque chose qui me ressemble, et en prenant ce parti, j’étais sûre de ne pas tricher.
M. : Est-ce que tu es toi-même guitariste ?
LF. : J’ai commencé la guitare à 10 ans. Je m’accompagne et je compose mais je gratouille. Pour le studio, j’ai fait appel à mes amis et collaborateurs : Carlos Popoulos, Tina Rozen et Simon Blévis pour m’accompagner. J’aime bien leur jeu que je trouve très singulier. J’ai quand même joué sur Old Songs parce que l’idée de ce titre était d’assumer mes maladresses comme pour traduire une forme d’intimité. Je voulais qu’elle ressemble à une « chanson de chambre », mais autrement, j’ai laissé la main aux copains.
M. : Maintenant que ton EP est sorti, qu’est-ce que je peux te souhaiter ?
LF. : J’espère juste pouvoir continuer à faire ce que je fais, sans trop me poser de questions. Et sans surprise, j’ai aussi très envie de monter sur scène et de partager mes nouvelles compositions avec des humains, de partager de l’amour et de la bienveillance autrement que virtuellement… Enfin, je crois que j’ai envie de toucher au cœur les gens qui me soutiennent, comme j’ai été touchée par d’autres.
M. : Comme c’est la tradition chez Arty Magazine, on arrive à notre question signature. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?
LF. : C’est moi ? C’est trop dur comme question, je ne me rendais pas compte… J’ai envie de dire que c’est quelqu’un qui n’a pas peur de se dévoiler mais je crois que c’est faux, je pense qu’on en a tous peur… Alors je vais opter pour dire qu’un artiste, c’est avant tout quelqu’un de sensible. J’avais adoré cette phrase dans le film Lady Bird que la mère adresse à sa fille : « Je voudrais que tu présentes la meilleure version possible de toi-même ». Je crois que ça fait un peu écho à ma vision de l’artiste : être quelqu’un de sensible qui tente de présenter la meilleure version de ce qu’il est.