Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Après sept ans de gestation électronique, le collectif Magenta s’épanouit sur scène dans de folles envolées électro-pop, après avoir marqué à jamais les années 2010 avec leur ancien groupe, Fauve. L’occasion de retrouver les talentueux olibrius pour une interview Jour & Nuit.
Marin : Hello les Magenta ! Comment vous sentez-vous, à quelques heures de votre concert à Cabourg Mon Amour ?
Magenta : C’est notre première fois à Cabourg Mon Amonr, on est heureux d’être ici. On est un peu stressés quand même. On commence notre tournée de festivals, il faut se rôder. Ça change tous les jours, le public ne réagit pas pareil. On a envie d’être à la hauteur.
M. : Vous avez pourtant fait beaucoup de dates jusqu’à maintenant, ça n’atténue pas le stress ?
M. : On a fait beaucoup de concerts dans les clubs. Je ne sais pas si on est sûrs de nous, mais on arrive avec de l’excitation et de l’envie. Les festivals, ça change un peu la donne. Des personnes dans le public ne nous connaissent pas, tu côtoies d’autres groupes, le set-up est différent. Il faut que l’on s’accorde.
M. : Votre premier EP Long Feu est sorti en 2020, et très rapidement j’ai entendu parler de votre ambition live. C’est arrivé dès le début ?
M. : Pas vraiment, dans un premier temps on avait l’ambition de se focaliser sur le travail de production en studio. On avait l’impression que l’essentiel reposait sur la maîtrise de notre outil de travail – les instruments et les machines. C’est là-dedans qu’on a mis beaucoup de notre énergie. Pendant longtemps aussi, on a sous-estimé de faire vivre le projet en live. Quand on a commencé les concerts, on s’est projeté à fond sur la scène.
M. : Pour recontextualiser, le projet est né fin 2019 / début 2020 pendant le Covid. Pour y faire face, vous avez diffusé sur YouTube le livestream de la Gare Magenta. C’est à ce moment-là que le live a commencé à vous faire de l’oeil ?
M. : Avec la Gare Magenta, on commençait effectivement à s’intéresser au sujet. Comme on ne pouvait pas faire de concert pendant le Covid, on s’est demandé comment faire un live filmé, spectaculaire et intéressant visuellement. On a seulement pu jouer sur scène après la sortie de notre premier album (ndlr, Monogramme en 2021). Au premier showcase que l’on a fait devant 50 personnes, on a immédiatement compris que ça allait impacter le projet artistiquement.
M. : La tournée a eu quel impact sur le projet ?
M. : L’aventure que tu vis sur la route, monter sur scène ensemble et t’exposer, ça a immédiatement changé la dynamique qu’il y avait entre nous. On s’est aussi rendu compte des choses qui fonctionnaient et de celles qui fonctionnaient moins bien. On a aussi eu des moments où on provoquait des choses très positives chez les gens, mais qui n’étaient pas ce que l’on avait imaginé. Dans ce genre de cas, on relit complètement ce que l’on fait, ce qui nous fait cheminer encore plus vite créativement. On affine toujours.
M. : Et physiquement, l’enchaînement des dates, vous encaissez ?
M. : Hier on était dans le Doubs où l’on clôturait le festival Rencontres et Racines, on est arrivé à l’hôtel à 4 heures et demi. On est arrivé à 17H à Cabourg après 8 heures de route. Je te laisse faire le calcul : ça ne laisse pas beaucoup de temps pour dormir. Il y a une fatigue qui fait partie de l’aventure, avec un summum de pression avant de monter sur scène, qui retombe après. Ça crée un équilibre qui fait que c’est chouette à vivre.
M. : Ça vous arrive de monter sur scène fatigués ?
M. : C’est difficile de monter sur scène fatigué, mais avec l’adrénaline, tu as toujours l’énergie pour un concert. On a déjà joué enrhumés, avec un mal au casque pas possible. Tu montes sur scène et tu n’as plus rien. C’est assez fou ce que peut sécréter l’adrénaline. C’est systématique et tant mieux, sinon on ne le ferait pas.
M. : Quel est votre set-up sur scène ?
M. : L’élément indispensable, c’est la vidéo qui permet de nous découper en ombres chinoises avec la lumière dans le dos. Elle nous protège psychologiquement tout en donnant cet aspect de collectif anonyme auquel on tient. Il y a aussi les machines. On n’a pas d’ordinateur pour privilégier la communication entre les machines et les instruments purement organiques, comme la batterie, la guitare ou le clavier. On veut qu’elles vivent pour entrer en transe.
M. : Dans votre ancien projet Fauve, il y avait une dimension de transe hyper présente. Je trouve que c’est démultiplié avec les boucles électroniques et les projections vidéos de Magenta…
M. : Personne ne nous écoute quand on le dit : on a le même besoin d’auto-hypnose et d’auto-thérapie qu’avec Fauve, sauf que le flow hypnotique du texte est remplacé par la boucle électronique. Quand on a redécouvert cette musique, on s’est dit : « C’est incroyable ce que ça nous procure. » C’est pour ça qu’on a sauté le pas assez facilement avant même qu’on ait fini Fauve.
M. : Sans parler de la répétition des textes, qui renforce encore plus l’hypnose.
M. : C’est peut-être parce qu’il y a moins de textes dans les morceaux de Magenta. D’ailleurs, initialement, on ne voulait mettre que des parole samplées. Finalement, on s’est rendu compte que c’était bien mélanger les deux. C’est devenu une quête plastique de mélanger un propos qui ait du sens avec une boucle musicale qui ne sert pas à ça à l’origine. Ça a été long à trouver.
M. : Vous étiez déjà dans les codes de l’électro, avec l’anonymat de Fauve.
M. : C’est drôle que tu dises ça, parce qu’il y avait souvent des comparaisons entre Fauve et les Daft Punk sur la démarche.
M. : Il y a souvent eu une politisation de l’anonymat dans la musique : Underground Resistance jouait avec des bandanas sur la tête, Stupeflip avec leurs cagoules, MF Doom un masque. Ça vous vient d’où, cette envie d’anonymat ?
M. : Tout le monde a un peu besoin de se cacher. Ce n’est pas naturel pour l’humain d’avoir autant attention de la part d’autant de gens – et ce n’est pas sans conséquence. Pour Fauve par contre, on était des gens pudiques avec des textes impudiques. L’anonymat nous paraissait plus agréable. Quand on a monté le premier clip, on s’est dit que ce serait bien qu’on ne soit pas dedans (rires). Et puis c’est devenu une signature. Maintenant, on continue parce qu’il n’y a aucune raison de changer.
L’une des questions qu’on se pose, c’est comment transformer le besoin permanent d’anonymat et d’incarnation collective avec plus de créativité. On a essayé plein de choses différentes en live : on joue sur le contrejour dans les petites salles, chez Quotidien on s’était fabriqué des visières, une autre fois des masques. Tu ne t’imagines pas les dizaines d’heures passées en studio à faire des essais – avec des masques en résine ou des trucs inimaginables. On aimerait bien trouver notre objet, notre forme.
M. : Sentez-vous que vous avez regagné une part de liberté en étant moins scrutés avec Magenta, qu’à l’époque de Fauve ?
M. : On ne sent pas une attention délirante portée sur nous, être observés comme on a pu l’être à une époque. Avec Fauve, on avait l’impression que chaque chose qu’on disait avait beaucoup d’enjeux. On se cachait donc le plus possible. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus léger. On mettrait une casquette absurde sur scène, on ne ferait pas la Une des journaux.
M. : Avez-vous une attente particulière du public ?
M. : Ce qu’on espère à chaque fois, c’est créer une relation saine et enthousiasmante avec le public. Il y a un exemple assez parlant, c’est que si on trébuche ou si on a un problème technique sur scène, ce n’est pas grave. Ce n’est pas grave parce qu’on s’est présentés sous une forme humaine, fragile, bancale. À l’inverse de quand Beyoncé ou Shy’M tombent, une forme de mythe se casse. On a envie d’être parmi nos semblables, pas sur un piédestal.
M. : Un rituel, avant de monter sur scène ?
M. : On se rappelle quelques principes entre nous, et on se fait un câlin rituel.
M. : Alors, un grand kiff ?
M. : On a trop kiffé.
M. : Vous avez remercié à trois reprises au public, j’ai senti l’émotion.
M. : On ne sait pas dire autre chose pour témoigner notre gratitude. À l’époque de Fauve, on essayait de préparer quelques mots-clefs en fonction de l’endroit et du contexte, mais avec Magenta on est trop dans le jus. Ça peut sembler un peu répétitif, mais ça vient du cœur.
M. : Une fois montés sur scène, des habitudes ont ressurgi ?
M. : Certaines habitudes reviennent vite quand on fait des concerts, mais on se déshabitue d’autres sensations comme la taille des salles et des scènes. Hier, on jouait devant 8,000 personnes et ça nous semblait énorme. Alors qu’en réalité, avec Fauve, on en a fait des dizaines et des dizaines d’aussi grandes. Là, ça nous paraissait Glastonbury.
M. : La force de ce live, c’est aussi l’enchaînement de plusieurs morceaux sans interruption. Vous vouliez faire un live aussi immersif qu’un DJ Set ?
M. : Si on le voulait, on pourrait enchaîner tous les morceaux à la suite. Mais c’est un peu casse-gueule : tu te rates une fois, tu dois tout reprendre à zéro. On se prend vraiment la tête sur le scénario du concert, en augmentant puis en diminuant les BPM, pour que ça descende et que ça reparte. Il y a une approche jouissive proche du deejaying.
M. : J’ai trouvé ce live très fédérateur, entre pop et électro.
M. : Ça nous fait très plaisir de l’entendre, parce qu’on doute beaucoup de nous-mêmes. On a toujours été comme ça. Quand tu as un projet qui naît dans le contexte Covid, tu te demandes si tu n’as pas tiré complètement à côté. C’est les concerts qui nous font sentir au bon endroit, au bon moment. Cela fait 7 ans que l’on est sur ce projet. Pendant 5 ans, on s’est enfermés sans prendre de vacances pour travailler sur Magenta. On voulant faire des boucles, et on s’est enfermés dans une boucle.
M. : L’ambiance folle sur votre titre Un peu d’amour, c’est ce genre d’instant qui vous donnent du baume au coeur ?
M. : C’est un instant clef dont l’on se souviendra comme l’un des moments les plus heureux de notre vie. Plein d’amis sont montés sur scène, des drag-queens, ainsi que Yoa qui fait la voix sur le morceau. On a cette chance de faire régulièrement des choses dont on se souviendra toute notre vie, c’est un privilège.
M. : L’ambiance folle sur scène quand vous avez joué votre morceau Un peu d’amour, c’est ce genre d’instants qui vous donnent du baume au cœur ?
M. : C’est un instant clef dont l’on se souviendra comme l’un des moments les plus heureux de notre vie. Plein d’amis sont montés sur scène, ainsi que Yoa qui fait la voix sur le morceau. On a cette chance de faire régulièrement des choses dont on se souviendra toute notre vie, c’est un privilège.
M. : Ma dernière question est la signature chez Arty Magazine : quelle est votre définition d’un artiste ?
M. : Déjà, ce n’est pas un titre que tu t’auto-octroies. Pour nous, tu es artiste quand la société a décidé que tu en étais un. C’est quelqu’un qui crée de manière suffisamment pertinente pour que l’humanité considère son travail comme nécessaire.