Marguerite Bornhauser, entre ombres et couleurs
Ayant erré dans le milieu de la finance pendant quelques…
Grâce à son univers aussi sucré qu’acidulé, Marguerite Bornhauser est une jeune photographe dont le travail en couleur fait la part belle au rêve, à la lumière, à l’évasion et à la poésie.
Avec des couleurs saturées et d’une riche intensité, les photographies de Marguerite Bornhauser ont le pouvoir de réchauffer les cœurs, de nous faire voyager et de nous extirper d’un quotidien devenu bien morose. La maîtrise des couleurs et l’utilisation des ombres, avec lesquelles elle joue de manière subtile et poétique, rend son travail particulièrement saisissant et inspirant. Talentueuse, bosseuse et passionnée, la photographe récolte les fruits de sa créativité en exposant, pour la première fois, à la Maison Européenne de la Photographie en 2019, puis à l’étranger. En 2020, elle était lauréate du prix du photographe émergent du Photo London.
Rencontre en toute simplicité, au parc situé en face de son atelier, pour un échange sur sa jeune carrière au succès aussi fulgurant que mérité, qu’elle doit à son travail déterminé, la chance et l’équipe qui l’entoure.
Anoussa : Avant de commencer tes études de photo, tu as d’abord suivi un cursus de lettres et de journalisme…
Marguerite Bornhauser : Oui, j’ai fait une licence de lettres à la Sorbonne avec des options comme audiovisuel, cinéma et journalisme. A l’époque, j’avais déjà un attrait pour la photographie mais je n’avais pas encore envisagé d’en faire mon métier. J’envisageais notamment d’être critique d’art. J’écrivais des articles notamment pour un blog dédié aux arts sur des expositions de photographies puis j’ai effectué un stage dans la section culturelle du Monde.
A. : Tu as ensuite été reçue à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. De quelle manière le virage vers la photo s’est-il fait ?
M.B. : Entre mon passage de la Licence au Master, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à la photographie. Pendant l’année de mon Master 1 en journalisme / littérature, mon sujet de mémoire portait sur le photo journalisme et la représentation de la femme tunisienne lors du printemps arabe sur les couvertures (très différentes selon le point de vue politique du magazine) – de Marianne à Valeurs actuelles.
En parallèle, je suivais les cycles de cours sur l’histoire de la photographie au Musée du Jeu de Paume. Je me souviens notamment d’un cours sur le photo spirit (les adeptes du spiritisme se sont servis de la photographie comme d’un outil pour prouver que les esprits et fantômes existaient) qui m’a beaucoup marquée. Je m’intéressais particulièrement au rapport de véracité que l’on entretient à l’image. À cette époque, j’étais également stagiaire dans l’agence de photo journalisme MYOP. À côté, je faisais beaucoup de photos avec l’argentique qui appartenait à mon père et que j’avais trouvé chez moi. D’ailleurs, je faisais principalement du noir et blanc ! J’ai ensuite postulé à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles et aux Gobelins où j’ai été acceptée. J’ai longtemps hésité entre ces deux écoles parce qu’elles apportent toutes les deux des savoirs assez différents. J’ai fini par choisir l’école d’Arles pour son rapport plus plasticien à l’image.
A. : Qu’as-tu appris de cette première expérience en agence ?
M.B. : Nous étions en pleine campagne électorale et c’était assez passionnant de suivre les photographes sur le terrain (sur les meetings politiques ou lors de la soirée d’investiture de François Hollande). J’ai beaucoup appris à leurs côtés : la découverte du terrain, la commande de photo reportage ou de documentaire, la partie monstration d’un travail photographique, en exposition ou livre. Les photographes de l’agence étaient en train de publier un livre que nous avons relié à la main ensemble. Nous avons ensuite organisé plusieurs expositions.
A. : Après avoir été diplômée, peux-tu me parler de tes débuts dans la photo ?
M.B. : À peine sortie de l’école, j’ai été contactée par Neon Magazine qui m’a envoyée faire un reportage sur une plage du sud de la France, de 5 ou 6 pages, si mes souvenirs sont bons. Cette première commande est un souvenir assez émouvant : ça m’a procuré beaucoup de joie de faire des images, j’ai eu le sentiment d’avoir été poussée dans mes retranchements pour être créative, pour trouver des idées lorsque l’on est en difficulté. J’ai adoré et je me suis tout de suite dit que j’aimerais en faire mon métier. Les iconographes et journalistes de Neon m’ont accompagnée dans l’apprentissage et la découverte de ce travail. Quelque temps après, Libération m’a contactée également pour faire un portrait et c’est comme ça que j’ai commencé à travailler en tant que photo reporter et portraitiste pour la presse.
A. : Comment as-tu commencé à travailler ta pratique personnelle ?
M.B. : À côté de mon travail pour la presse, j’ai commencé à développer ma pratique personnelle. J’ai effectué des résidences artistiques, notamment au festival de la photographie de Deauville, j’ai publié mes 2 premiers livres et commencé à exposer mes travaux en galerie et festivals, ou même sur des panneaux publicitaires dans les rues de Cincinnati aux États-Unis, avec le musée d’art contemporain.
A. : J’ai découvert ton travail lors de ta première exposition à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) en 2019. Comment cette expo a vu le jour ?
M.B. : À l’école de photo d’Arles, j’ai travaillé les deux dernières années sur une série d’images Plastic Colors et j’en ai fait un livre fait main en auto-édition. Un de mes profs m’a suggéré de le soumettre à un concours pour premier livre organisé par la maison d’édition photo anglaise Mack books. Simon Baker (ndlr : directeur de la MEP depuis 2018), qui à l’époque était commissaire photo à la TATE, faisait partie du jury et a donc repéré mon travail à ce moment-là. Le livre a été short listé pour le concours et c’est ainsi qu’il a été publié l’année suivante.
Après être devenu directeur de la MEP, Simon Baker, qui continuait à suivre l’évolution de mon travail, m’a proposé d’exposer, lors du cycle d’expositions sur le thème du roman noir. Ma précédente série et mon livre 8 étaient un travail effectué lors d’une résidence à Deauville en lien avec la littérature et Françoise Sagan. Simon Baker trouvait intéressant de mêler mon approche très colorée et solaire à un thème que l’on imagine facilement en noir et blanc.
A. : Peux-tu me parler de la série Moisson Rouge que tu as donc exposée à la MEP ?
M.B. : À l’inverse de mes précédents projets que je produisais en fonction du sujet de la série, pour cette expo, j’ai travaillé à assembler des images trouvées dans mes archives pour construire cette série d’images énigmatiques toutes liées au titre Moisson Rouge, en référence au roman noir de Dashiell Hammett. Pour l’exposition, j’ai tiré les images sur un papier Cibachrome argentique en labo. C’est un papier qui va bientôt disparaitre car il ne sera plus produit.
A. : Qu’est ce que cette première exposition t’a apporté ?
M.B. : C’était une magnifique expérience et opportunité pour une jeune artiste. Ça a changé et accéléré beaucoup de choses qui auraient pu prendre plus de temps à se faire. Sur le moment, je n’étais pas consciente de l’impact que pouvait avoir cette exposition sur la suite de mon parcours mais aujourd’hui, je me rends vraiment compte du tremplin que cette exposition a représenté. Par la suite, j’ai exposé avec la galerie Madé à Paris Photo au Grand Palais, publié le livre Moisson Rouge avec les Éditions Poursuite, intégré une galerie au Portugal. Ça a aussi servi mon travail de commande car j’ai intégré une agence à Londres et à Paris. Je suis vraiment reconnaissante envers le commissaire d’expo d’avoir pris le pari d’exposer une jeune artiste dans un musée.
A. : En premier lieu, ce qui est le plus frappant dans tes photos, c’est la vivacité des couleurs. Quel est ton rapport à la couleur ?
M.B. : L’utilisation de la couleur est venue assez naturellement. J’ai un rapport plasticien à la photographie. Je suis inspirée par la peinture, la peinture abstraite, géométrique autant que figurative comme les fauvistes ou Matisse par exemple. Je compose mes images comme des tableaux. Je travaille beaucoup sur la composition d’une image, la matière, les densités. La photographie, c’est écrire avec la lumière. La couleur est une façon de révéler la lumière et inversement. Je travaille la lumière pour en faire ressortir des couleurs denses et vives. Tout dépend évidemment du contexte de la prise de vue. Lorsque l’on m’appelle pour une commande et qu’il fait gris et qu’il n’y a pas de couleur, je suis un peu triste.
A. : As-tu une couleur que tu préfères ?
M.B. : Non, mais je me suis rendue compte qu’il y avait des couleurs que je prenais davantage en photo que d’autres. J’aime beaucoup les couleurs primaires, les complémentaires, les confrontations de couleurs franches. Pour l’instant, je ne travaille pas tellement les couleurs pastel ou les couleurs douces, ni les blancs et gris. J’aime les contrastes, les oppositions comme le rouge/orange qui s’opposent bien au bleu/vert. C’est assez instinctif et naturel, ce n’est pas un processus auquel je réfléchis particulièrement en amont.
A. : On retrouve également, de manière récurrente, des jeux d’ombres ou de reflets de végétation dans ton travail …
M.B. : Dans la série Moisson Rouge, j’étais aux prémices de cette pratique. Les ombres me permettent de révéler la couleur. Dans ma dernière série en cours When black is burned, le brulé de l’ombre permet de faire ressortir la densité du reste de l’image. Si les ombres sont diffuses, les couleurs le seront aussi ; plus le noir est noir, plus les couleurs sont fortes et franches. J’utilise les ombres comme un pinceau pour peindre, pour créer un dessin dans l’image, une ombre de végétation sur un visage, un trait sur un mur…
A. : Comment travailles-tu ?
M.B. : Je travaille principalement à l’argentique pour mes travaux personnels, et en numérique pour les commandes. J’utilise la pellicule Ektar 100 qui a la particularité d’avoir des couleurs très denses et saturées. Je n’ai aucun problème à parfois transformer les couleurs d’une image, à les contraster, les retoucher. Je dirais que le cadrage est la chose la plus importante pour moi. Je cadre souvent très proche pour jouer sur les matières et les formes.
A. : Sur ton site, on peut retrouver tes différentes séries de photos. Comment les élabores-tu ?
M.B. : Je n’ai pas une seule façon de travailler. Je dirai justement que je change de processus de travail en fonction de la série. Soit je pars d’un sujet, d’un thème, d’un lieu, d’une résidence pour construire une série. Soit à l’inverse, je fais des photos partout, tout le temps que j’archive et je m’amuse ensuite à associer des images qui n’ont pas de rapport entre elles et construire des histoires entre ces images.
A. : Comment qualifierais-tu tes photos en 3 mots ?
M.B. : Rêve lucide, lumière et voyage. La plupart de mes images sont prises dans mon quotidien mais elles sont un moyen de se transporter ailleurs. Je fais des photos du quotidien qui parfois ont l’air d’avoir été prises dans un ailleurs tropical, solaire. J’essaie de faire voyager en rappelant que même dans notre quotidien, le beau et le rêve sont présents
A. : Tu as évoqué la peinture comme source d’inspiration. En as-tu d’autres ?
M.B. : Oui, mes sources d’inspiration sont multiples : une musique, une exposition, une lecture, une rencontre, le reflet du soleil sur une fenêtre. Ce qui me nourrit, c’est surtout et avant toute chose les découvertes. J’essaie d’être curieuse et ouverte aux nouveautés.
A. : Avec l’année qui vient de s’écouler, ta créativité a t-elle été impactée ?
M.B. : Oui, évidemment. Comme on le disait précédemment, pour avoir des idées, pour créer, il faut avant tout être nourri et nous avons été privés de cette nourriture cette année. Privés de concerts, d’expositions, de rencontres, de débats. C’est très dur. Mais, c’est aussi un moment propice à la création. Le premier confinement m’a permis de réaliser une série sur laquelle je travaille encore en ce moment, qui est exposée à Bruxelles en ce moment : un journal de confinement.
A. : Tu travailles pour des médias (Libération, Les Inrocks, Causette, Néon) et des univers différents. Y a-t-il quelque chose que tu préfères ?
M.B. : J’aime cette diversité : travailler pour la presse en tant que portraitiste ou reporter et passer d’un défilé de la fashion week à des photos dans une usine dans la même semaine. Cela me permet de sortir de ma zone de confort, de m’ouvrir à d’autres cercles que ceux que je côtoie régulièrement. Toutes ces différentes pratiques me nourrissent et se nourrissent entre elles. Mon travail de commande me donne parfois des idées pour mon travail personnel et vice et versa. J’aime également le travail de pub, de mode qui est tout aussi créatif : imaginer un décor, des pauses pour les modèles, raconter une histoire. Je suis ravie de cette diversité et j’espère que ça continuera à être aussi varié et surprenant dans les années à venir.
A. : Tu réalises de nombreux portraits. Y a-t-il un portrait dont tu es la plus fière ?
M.B. : Je ne pense pas qu’il y ait un portrait dont je sois la plus fière. En revanche, il y a certains portraits auxquels je suis plus attachée. Parfois, parce que la rencontre derrière le portrait a été très belle ou alors parce que je suis contente de l’image. Celle qui me vient à l’esprit maintenant est le portrait de l’écrivaine Yasmina Benabderrahmane réalisé pour les Inrocks chez Gallimard. J’y suis attachée parce que c’est un de mes premiers portraits pour les Inrocks. Il y avait une très belle lumière et une douceur dans le regard de Yasmina. J’avais apporté un bouquet de mimosa pour apporter une touche de couleur qui s’accordait parfaitement à la tenue qu’elle portait. Je me suis amusée à jouer avec les ombres du mimosa sur son visage.
A. : En plus de la France, tu exposes également au Portugal, à Bruxelles, Istanbul, Londres et Kyoto prochainement. Comment expliques-tu ce succès international ?
M.B. : Je n’en reviens pas et j’en suis évidemment ravie !
A. : En 2020, tu as aussi été lauréate du prix du photographe émergent du Photo London.
M.B. : Oui, c’était une véritable surprise. Je devais exposer à Photo London avec la galerie Carlos Carvallo Arte et c’est ainsi que j’ai été nominée pour le prix du photographe émergent. C’était une très belle expérience qui m’a permis également de gagner le dernier Nikon.
A. : Y a-t-il un lieu où tu rêverais d’exposer ? Ou une commande que tu rêverais de réaliser ?
M.B. : Je rêve surtout de la réouverture des musées ! Et évidemment? j’aimerais beaucoup continuer d’exposer, d’expérimenter d’autres moyens de monstration comme l’installation in situ. Cet été, j’ai exposé au festival Cadaquès et j’ai eu l’opportunité d’exposer mes photos sous l’eau. J’aimerais vraiment continuer à expérimenter dans ce sens. Pour les commandes, je suis en train d’explorer la vidéo et j’aimerais, par exemple, réaliser un clip pour un groupe de musique.
A. : On arrive à la question signature Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
M.B. : Il y a une multiplicité d’artistes et de définitions que l’on puisse lui donner. Je dirai qu’un artiste est celui qui expérimente – pour reprendre les mots de Gaston Bachelard : « Une intuition ne se prouve pas, elle s’expérimente » – et nous donne une vision singulière de son monde.