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Interview : Martin Luminet, à cœur et corps ouverts

Interview : Martin Luminet, à cœur et corps ouverts

Anoussa Chea

Le 16 juin dernier, Martin Luminet faisait salle comble à La Boule Noire pour sa première date parisienne. Deux jours avant, nous avions refait le monde avec lui, sous une chaleur monstrueusement caniculaire.

Monstre, le premier EP de Martin Luminet, mérite une attention toute particulière. À la fois impudique, tendre, intime et drôle, l’artiste ne s’épargne pas. Sans détour, il nous expose ses failles, ses angoisses, ses déboires et parvient, avec brio, à retranscrire la confusion des sentiments, l’ambivalence des émotions ainsi que la difficulté d’y faire face et de les affronter. Enfin, il nous dévoile son talent pour l’écriture de textes à fleur de peau, incisifs et percutants faisant le constat d’une génération submergée par des espoirs déçus, des rêves avortés et des amours désillusionnés. Il n’en fallait pas moins pour titiller notre curiosité et procéder à une analyse de ses textes.

Entretien à cœur et à corps ouverts dont on ressort avec plus d’interrogations que de réponses. Martin met les deux pieds dans le plat et n’hésite pas à questionner l’amour, la fidélité, le désir, à déconstruire le concept du couple et les injonctions dominantes autour de la masculinité. Il te pousse dans tes retranchements, bouscule tes convictions et repousse les frontières de la bien-pensance. Au final, il ouvre le débat en te montrant les choses à travers un prisme différent. 3, 2, 1 : sois prêt.e. à te faire percuter par ce monstre magnifique.

Anoussa : Monstre, ton premier EP, est sorti il y a quelques semaines. Quels ont été les retours ?

Martin Luminet : Ce que je trouve cool, c’est qu’on l’aborde avec des questions assez profondes. L’EP ouvre un dialogue de fond qui prolonge les histoires qui sont abordées. Ça me fait beaucoup de bien de voir que ce que j’ai voulu mettre en profondeur a été capté et que ça ne laisse pas trop de place au small talk. Ça fait tomber une petite armure qui me plait bien. Le disque est hyper respecté pour ce qu’il est, pour sa forme un peu brute et impudique, il n’y a pas de filtres.

A. : Qu’as tu ressenti le jour de sa sortie ? Du soulagement, de l’excitation ?

ML. : J’étais assez serein et centré. Je me suis senti très bien, heureux et apaisé. Je n’ai pas mystifié la sortie parce que j’étais dans une énergie où j’étais content de ce qu’on avait fait, des personnes avec lesquelles je l’avais fait. Je n’avais ni peur de l’accident, ni d’un truc euphorisant. Ça m’a fait beaucoup de bien de n’être ni fébrile, ni dans l’attente d’une grande vague de quelque chose. Je savais où le disque pouvait toucher. J’étais hyper excité mais ça ne m’a pas dépassé dans la mesure où on avait bien taffé, on ne cherchait pas à dissimuler les mois de travail, les sujets que le disque allait soulever. Ce qui m’excitait était de me présenter et de rencontrer les gens.

A. : Tu parles d’aller à la rencontre des gens. Dans 2 jours, tu joueras à La Boule Noire …

ML. : La boucle sera bouclée à La Boule Noire. La sortie de l’EP est effective à partir du moment où je peux le défendre sur scène et qu’on peut discuter d’une histoire. Cette date coïncide avec plein de choses : il y aura toute mon équipe dans la salle, je serai accompagné de Benjamin Geffen sur scène.

A. : Quel est ton rapport à la scène ?

ML. : Je me suis rendu compte que je faisais de la musique pour vivre ces moments. Faire un disque est un prétexte pour être sur scène et dire aux gens que tu as envie de leur raconter quelque chose dans le creux de l’oreille. Pendant le confinement, ne pas être sur scène, ne pas pouvoir partager ses chansons, ne pas voir la réaction des gens aux émotions fortes a été le plus douloureux.

A. : Que ressens-tu sur scène ?

ML. : J’ai l’impression d’être un peu plus prudent dans la vie que sur scène. La scène est un espace de liberté où je me sens pleinement libre, où je retrouve pleine possession de mon corps et de ma parole. C’est paradoxal parce que tous les regards sont rivés sur moi alors que dans la vie, je suis incapable de parler devant 5 personnes. Ce paradoxe devient une vertu quand tu veux faire de la musique.

A. : Cette première date parisienne te stresse-t-elle ?

ML. : Non, pas trop. Je suis très traqueux mais c’est quelque chose que j’aime bien et que j’entretiens pour trouver le juste équilibre entre mes doutes et mes lieux d’aisance. Je ne peux pas être stressé, j’ai tellement attendu ça depuis si longtemps que j’ai juste envie d’y aller pleinement avec ce que j’ai et même ce que je n’ai pas. J’ai juste envie de me lancer dedans et je suis sûr que ça sera un bon moment.

A. : Quelle sera la configuration live de ton concert ?

ML. : Je suis accompagné par Benjamin Geffen qui est aux machines, batterie et au chant pour ramener de l’organique. Ce qui me laisse un peu plus de liberté pour l’interprétation. Sur les moments chantés, ça m’a fait du bien de me libérer des instruments, de ne plus me cacher derrière et d’avoir le corps et les mains libres. Mine de rien, c’est un vrai truc parce qu’il n’y a rien pour te protéger physiquement.

« La scène est un espace de liberté où je me sens pleinement libre, où je retrouve pleine possession de mon corps et de ma parole » © Anoussa Chea
A. : Tu parles du corps. Quelle relation entretiens-tu avec lui ?

ML. : Avant, je montais beaucoup sur scène en étant auteur, je me cachais derrière mes textes parce que la sincérité de mes textes me suffisait mais il manquait un truc, j’étais coupé de quelque chose. Si on m’enlevait mes textes sur scène, je n’exprimais rien. Je suis fan de danse. C’est fabuleux de pouvoir exprimer des émotions sans ouvrir la bouche. Quand je vais voir un artiste, mon émotion passe par son langage corporel et tout ce qu’il se joue à ces endroits. J’avais déconnecté cet aspect. Avant le confinement, à force d’être leader de mon propre projet, de réfléchir à tout, à la manière de restituer le projet, de sa réception par le public, j’en avais oublié de penser à la musique.

A. : Tu as été sélectionné par le Chantier des Francos. J’imagine qu’ils t’ont aidé sur cette question ?

ML. : Carrément ! Ils m’ont aidé à exprimer mes chansons en silence, à les éprouver, à monter sur scène sans avoir besoin de les chanter. Ils m’ont poussé à me demander quel était le sous titre de chaque parole, ce qu’il y avait en dessous, de quoi mes chansons étaient gorgées.

 

J’avais axé ma candidature en disant que je voulais retrouver la possession de mon corps, lui redonner un sens scénique et dans la vie. De l’intérieur, j’ai l’impression de faire 6 mètres de haut et 15 mètres de large, d’être au milieu de trucs et de vouloir me cacher en soirées dès qu’il faut parler ou danser. Mon corps devait exprimer ce que je ressentais dans mes tripes. Je ne pouvais pas monter sur scène en ayant juste conscience de mes textes. Habiter mon corps était le dernier wagon à raccrocher. Le corps est un immense auteur. Je me rends compte que si mon corps ne vibre pas, c’est que je ne suis pas dans le bon truc, la bonne phrase, que ce n’est pas axé avec ce que je suis. J’apprends à l’écouter émotionnellement.

A. : Pourquoi avoir appelé ton EP Monstre ? C’est un titre assez fort…

ML. : Je me suis demandé ce qu’était la thématique de toutes mes chansons, ce qui les reliaient entre elles. Dans les textes et le processus d’écriture, la thématique derrière ce que je voulais exprimer était ce côté monstrueux, ce montre qu’on a en nous mais qu’on planque un peu.

A. : Comment est ton « Monstre » à toi ?

ML. : Pendant longtemps, je n’ai pas voulu mettre le nez là-dedans, aller voir qui j’étais profondément parce que ça me faisait peur. J’étais très sensible et pas très costaud pour encaisser des vérités qui pouvaient m’effrayer. Il y a eu des bonnes rencontres, des signaux, des moments où je me suis reconnecté à mon instinct qui m’ont permis de me rendre compte que j’avais un monstre en moi qui avait fait du mal aux gens, qui m’avait déçu moi-même, qui m’avait ralenti. Mais, si je le renie je ne serai jamais moi-même. Autant en faire un allié et le faire sortir en plein jour en essayant – non pas d’en faire un être parfait mais – de se dire que parfois le montre peut être le héros du film.

A. : Faire face à ce monstre plutôt qu’à une version parfaite de soi-même…

ML. : Parfois, quand tu cours derrière la perfection, te te plantes. Être dans la quête de soi assainit tellement même si tu as des gros défauts ou des handicaps sociaux. On gagne tellement plus à partager ses défauts, c’est tellement plus beau et sain parce que tu te compares moins aux autres. C’est plus valorisant de comparer ses faiblesses – parce qu’on en a tous, plus ou moins placés aux même endroits – que de faire l’état des lieux de toutes nos forces ou de toutes les choses qu’on réussit, qui sont souvent des choses qu’on s’oblige à réussir sans savoir pourquoi on le fait.

A. : Qu’est-ce qui t’a donc permis d’assumer ce monstre ?

ML. : La rencontre avec Marion, ma manageuse, m’a libéré et m’a autorisé à le faire. Je suis hyper reconnaissant de cette rencontre. Elle m’a vraiment sauvé un bout de vie. Elle m’a fait jeter mes 10 premières chansons mielleuses, gorgées de sucre, où j’étais dans une posture de séduction pour me faire aller vers le vrai enjeu. Ce qui est important, c’est de parler de choses nécessaires et vitales et pas tellement du truc le plus beau. J’ai l’impression d’avoir fait ce disque car il est vital. Je n’ai aucune autre soupape où en parler. Je suis incapable de parler de cette manière à mes proches.

A. : Procédons à une petite analyse de tes textes si tu veux bien. Dans Amour, tu poses une question intéressante « Qu’est ce que cette époque vient nous raconter sur l’Amour ? ».

ML. :  Les questions sont parfois plus importantes que les réponses. Dans la vie, je ne cherche pas tant à avoir de réponses, je cherche à me poser des questions, dénouer pour déconstruire des trucs comme le masculin, les questions autour du corps, de la sexualité. Les mecs ont moins d’injonctions que les femmes. On a cette injonction au pouvoir, à la domination, aux responsabilités que t’enlèves aux meufs. Mais t’enlèves aussi aux mecs le droit à la sensibilité. Au lycée, j’ai eu la chance de rencontrer des copains très sensibles qui étaient très dans l’affect et ça m’a libéré la parole. J’ai commencé à écrire des textes avec eux. C’était vraiment hyper fort.

A. : As-tu trouvé la réponse à cette question ?

ML. : Le couple est un schéma à réinterroger parce que l’amour et le couple pour la vie est une arnaque. Ça veut dire que les relations qui s’arrêtent sont des échecs alors que tu peux avoir des relations de quelques mois, quelques semaines ou même quelques jours qui peuvent te marquer à vie. Tout est bon à prendre. La qualité d’une relation ne se réduit pas à sa durée.

A. : Notre génération est en train de faire bouger les lignes sur les injonctions dont tu parles…

ML. : Ce qui est cool, c’est que notre génération est en train de déconstruire certains schémas (notamment celui du couple – mariage – divorce), ce qui est hyper violent pour la génération d’avant qui a l’impression qu’on est dans cette cancel culture. Chaque génération doit déconstruire la génération de ses parents et garder ce qu’il y a de mieux. Ça te responsabilise pour la génération d’après. Ce qu’on va faire aujourd’hui sera déconstruit par la génération suivante par rapport au monde qui évoluera.

A. : Dans Monde, tu dis « On va défaire l’amour« . Qu’est ce que cela signifie ?

ML. : Pour moi, c’est aussi important de commencer quelque chose que de bien la finir. On considère qu’une relation amoureuse qui s’arrête est un échec. Au contraire, il faut arriver à se dire qu’on est arrivés au bout d’un amour, de ce qu’on peut s’apporter, qu’on a le choix entre s’obliger à rester avec l’autre par peur de la solitude – qui est une grosse maladie contemporaine – ou qu’on a le courage de se lancer dans autre chose. Si on défait bien cette relation, elle peut beaucoup plus m’apporter pour mes relations futures et dans ma vie.

Le mot « ex » est toujours connoté avec une pointe d’amertume ou d’animosité, alors que je suis hyper reconnaissant des exs avec qui j’ai vécu quelque chose, des personnes qui ont traversé ma vie parce que je me suis construit grâce à elles. On devrait être ultra reconnaissants d’avoir rencontré les gens qui nous ont accompagnés amoureusement. C’est dommage de tout jeter à la poubelle à la fin d’une relation.

« La qualité d’une relation ne se réduit pas à sa durée » © Anoussa Chea
A. : Au final, l’amour est un phénomène cyclique…

ML. : Le sentiment amoureux est la grande aventure que tout le monde peut vivre. C’est un des rares points communs qu’on a tous sur Terre. On est tous plus ou moins tombés amoureux, plus ou moins fort. C’est tellement sacré (sans vouloir faire des phrases de Miss France) qu’il faut qu’on reconsidère l’amour, qu’il ne faut pas faire n’importe quoi, essayer de ne pas en faire un truc sale. On a réduit l’amour au schéma couple / famille. On ne te dit pas que tu as le droit à 3 ou 4 personnes dans ta vie. Et, c’est une très bonne nouvelle de se dire que ce bonheur que t’a apporté une personne t’a fait évoluer vers une nouvelle personne que tu es devenu.

A. : Dans Amour, tu dis « L’amour, on nous l’a mal appris« . Qu’est ce qu’on nous a mal appris ?

ML. : De manière insidieuse, on est éduqués par la manière dont nos parents fonctionnent. C’est le seul exemple qu’on a et qui peut nous influencer. L’amour est le truc le plus basique et à la fois le plus compliqué, le plus à interroger où on a zéro certitude. C’est aussi là où tout se joue, la confiance en soi, en son corps, en ses idées. Ça me fascine.

A. : Dans Magnifique, tu dis « Je fais semblant de mépriser l’amour mais je rêve qu’il me fasse la peau« . C’est une parole qui m’a pas mal heurtée…

ML. : La fidélité ne se situe pas à un seul endroit. C’est une question de désir, d’accepter ses désirs, de pouvoir les dissocier. La fidélité n’est pas que physique, il y a aussi la fidélité émotionnelle. Je serai davantage blessé par un adultère sentimental que physique parce qu’on est tous traversés par des envies. Il faut savoir jusqu’où toi tu te sens fidèle à quelqu’un et amoureux de l’autre.

A. : Pour toi, c’est quoi aimer ?

ML. : Aimer vraiment quelqu’un, ce n’est pas lui mettre un enclos autour mais c’est plutôt lui laisser la porte grande ouverte. S’aimer, c’est choisir de rester avec la personne tous les jours et lui dire « tu peux partir mais si t’es là ce soir, c’est trop bien« . C’est pour ça que je ne supporte pas le mariage. La manière dont le mariage est organisé est bizarre. C’est pas vraiment une marque de confiance de se jurer fidélité jusqu’à la fin via un contrat. La marque de confiance, c’est se dire chaque jour « t’as le droit d’aller voir ailleurs, d’écouter tes désirs mais si au final tes désirs reviennent sur moi, là c’est de l’amour pur« . Les promesses, c’est très mauvais, je préfère les preuves au quotidien.

A. : Toujours dans Magnifique, les diplômes en prennent aussi pour leur grade : « Génération assassinée par des diplômes d’abrutis, je me demande plus si je vais y arriver mais plutôt à quel prix »

ML. : À 20 ans, tu dois choisir ce que tu vas faire pour toute ta vie. Si tu ne fais pas le bon choix, tu t’engages dans une vie à côté de ta vie. Pour notre génération, les diplômes devaient nous permettre de nous canaliser dans un secteur plutôt qu’un autre alors que ça casse la curiosité pour d’autres choses. On t’apprend davantage à avoir un métier plutôt que d’avoir une passion. Ce n’est pas anodin si notre génération est celle où il y a une explosion de burn-out. Les gens ne se sentent pas bien à l’endroit où ils donnent le plus de leur temps. Ça veut dire qu’ils ont mal choisi au début ou qu’ils ont été mal accompagnés dans leurs choix. Il faudrait passer des diplômes tous les 2 ans en rapport avec quelque chose qui te plaît.

A. : Penses-tu avoir fait le bon choix ?

ML. : Si je ne faisais pas de la musique, je serais un boulet. Je ne pourrai pas faire un autre métier, je serais nul  partout. J’ai bossé dans une librairie. Je me suis fais viré parce que je travaillais trop lentement et je parlais trop aux gens. J’ai l’impression d’avoir beaucoup de chance mais en même temps, cette chance personne n’est venue me la proposer. À l’école, personne ne te fait découvrir les métiers artisanaux, de la musique, du cinéma ou de la scène.

A. : Dirais-tu que cet EP a été thérapeutique pour toi ?

ML. : Non parce que j’ai commencé déjà à me sentir mieux quand j’ai commencé à l’écrire. Quand j’écris, je fais attention à ne pas faire ma thérapie à travers mes textes. C’est quelque chose que je dissocie. Faire de la musique m’a permis de ne pas voir de psy pendant très longtemps. Mais, quand tu veux faire un travail sur toi pour bien centrer et dissocier les choses, la thérapie vient à ce moment pour tendre vers la meilleure version de toi, pour pouvoir faire une belle musique et savoir ce qui te touche. Mais, je ne peux pas nier que tout est mélangé, les frontières sont assez poreuses mais je fais attention à ce que je dis tout en ayant un lâcher-prise ultime.

A. : Tu n’as donc pas eu besoin d’être dans le mal pour écrire ?

ML. : Je parle des choses à partir du moment où elles sont réglées. Quand je suis en train de régler le problème, je suis dans le problème et je ne peux pas en faire une chanson. Être dans le mal peut être dangereux parce que tu convoques le mal pour écrire alors que je préfère être bien pour écrire. Je veux que mon rapport à l’écriture et au public soit sain. Je n’ai pas envie de faire un stand de névroses. Dans mon processus, je ne me suis pas senti dépassé par mes émotions. Pour le texte de Cœur, il y a eu une espèce de transe qui n’était pas prévue mais pour le reste des chansons, je sentais que c’était un long travail sur moi-même qui m’a amené à écrire parce que j’avais pris du recul. Comme ces chansons parlent de moi, que ce n’est que du vécu, je ne veux pas qu’elles soient plus fortes que moi ou les dominer, je veux qu’on soit dans un rapport d’égalité.

« Il ne faut pas que la passion devienne une obsession » ©Anoussa Chea
A. : Que faut-il comprendre dans « La musique c’est pas le remède, la musique c’est ma maladie » ?

ML. : Jusqu’à présent, je mettais tout dans la musique : vie privée, vie pro. La musique vampirisait tout. Je pouvais ne pas voir mes amis pendant longtemps, bousiller des relations amoureuses parce que la musique était le plus important et m’apportait le plus de bien. Au final, c’est destructeur de fonctionner de cette manière. Il ne faut pas que la passion devienne une obsession. Mais parfois, je me fais happer, je deviens prisonnier et un peu esclave de la musique, mais je l’embrasse parce que ce sont des cycles.

A. : Les prods sont hyper entraînantes. Est-ce ici une manière de contrebalancer la sensibilité de tes textes ?

ML. : Je ne voulais pas qu’on écoute les textes de manière béate. Ben et moi avons construit les prods de manière cinématographique avec des envolées qui remontent et qui redescendent. Il y a quelque chose qui se joue au niveau des émotions et je voulais que ça se ressente dans le corps, que quelque chose gronde un peu comme ce que je ressens quand j’écris. Mais je n’ai pas la capacité musicale pour traduire ce qu’il se passe à la hauteur du retentissement que j’éprouve en moi. Ben a apporté un habillage qui est une traduction corporelle du texte en langage musical avec son propre langage. J’ai vraiment de la chance d’être tombé sur lui car c’est une vraie belle rencontre humaine – j’aime beaucoup sa personnalité – et artistiquement, on parle le même langage. Ben a ce truc un peu trip-hop limite Archive, très massif et c’est ce que je cherchais.

A. : Tu as écrit et réalisé les 3 clips qui sont sortis. Tu as un rapport à l’image qui est très cinématographique…

ML. : Quand je termine une chanson, j’ai tout de suite envie de la convertir en images. Je kiffe vraiment le cinéma. C’est le cinéma qui m’a fait écrire plus que la littérature. Je lis très peu. Faire un clip est un nouveau prétexte pour créer une autre œuvre, ré-écrire ce qu’il se passe dans la chanson, exprimer quelque chose que tu ne peux pas faire avec des mots mais plutôt avec des images, des silences ou des regards, des choses qui se jouent plus sur le corps. Je ne voulais surtout pas que mes clips fassent la pub de mes chansons, qu’on fasse juste de belles images pour faire écouter ma chanson.

A. : J’ai lu que tu avais envie d’adapter ta musique en film…

ML. : Je n’appréhende pas l’écriture de l’album de la même manière. Je l’appréhende comme un vrai scénario. Je me demande où je pourrai emmener l’auditeur, je songe à la manière dont je pourrai traduire le disque en images. J’ai vraiment envie d’en faire un moyen métrage. J’espère que cet album sera mi-disque, mi-film.

A. : Si tu pouvais travailler avec des réalisateurs, lesquels choisirais-tu ?

ML. : Christophe Honoré ou Vincent Macaigne.

A. : On arrive à la question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un.e artiste ?

ML. : Je n’aime pas trop le mot « artiste » car ce n’est pas un statut mais c’est un état que tout le monde possède. Tout le monde est traversé par des émotions et peut les restituer en en faisant quelque chose d’émouvant. L’art commence quand tu suscites de l’émotion. Si être artiste c’est susciter une émotion, tout le monde peut être artiste.

 

Le métier d’artiste a une autre définition car tu voues ta vie à ça. Mais, on interdit aux gens d’ouvrir cette porte. On y gagnerait beaucoup si tout le monde s’autorisait à être émouvant, à regarder le monde avec une grosse curiosité, à être sensible à tout. Si on aiguise cette sensibilité de regard, tu vois les gens à travers ce qu’ils retiennent et tu vois que les gens ont une énorme profondeur, une histoire. Je ne peux pas entrer en relation avec des personnes qui n’ont pas cette profondeur à portée de main. Je ne discute que de ça et je deviens relou en soirées. Je suis branché sur ce canal et j’aurais besoin de gens qui parlent mon langage pour me sentir moins bête en soirées.

Monstre de Martin Luminet est à écouter sur Spotify.

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