Interview : Monolithe Noir, à la poursuite du diamant brut
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Signé sur le label de Vincent Leibovitz, Kowtow Records, le producteur Monolithe Noir navigue entre des influences post-rock, des désirs d’ambient et un nappage pop. Son album sorti le 24 janvier, Moira, est l’aboutissement d’un univers aussi complexe que fascinant. Entretien.
On aurait beau ne pas connaître la musique de Monolithe Noir qu’elle nous serait tout de suite familière, par son nom d’artiste qui appelle à notre cinéphilie hantée par les mystères de 2001 Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, comme par son référentiel musical qui habite chaque note de ses synthés modulaires. Antoine Pasqualini, de son vrai nom, est allé puiser dans la genèse sixties de la science-fiction, pour les images que son univers véhicule, et dans son background de guitariste post-rock et noise pop, pour l’effet que ses morceaux imprègne. C’est l’inverse de la stature froide et monolithique que son nom d’artiste pourrait laisser entendre, pris en dehors de tout legs culturel, mais une fenêtre ouverte sur le reboot de notre ADN mélomane et cinéphile, qu’il aborde avec une ambition expérimentale assez novatrice. Finalement, parce qu’il est tout ce que l’on connaît et rien de ce que l’on a connu, Monolithe Noir obsède.
Electro, ambient et post-rock : Monolithe Noir est tout ça à la fois, sans jamais nous perdre
Pour descendre dans son cratère, il faut enfiler sa combinaison de mélomane averti. Ceux qui ont vu 2001 Odyssée de l’Espace savent que l’objet séduit de ses lignes parfaites avant qu’une fréquence stridente ne se déclenche à son contact. À la première approche de son album Moira, le producteur glisse de rares dissonances électroniques sous ses hypnotiques nappes mélodiques, quand elles ne sont pas ouvertement dream pop avec les featurings de Peter Broderick, Roza Plain et elsie dx. C’est en live machine que Monolithe Noir mue pour une dimension plus répétitive, abrasive et physique, comme si l’attraction ambient cachait un monstre techno en son cœur. Le producteur adapte et malaxe ses titres jusqu’à les remixer totalement par le pouvoir du synthé modulaire, associé à la batterie de Timothée Philippe en guise de trait d’union post-rock. L’inconnu s’ouvre alors, sombre et puissant, mais jamais hermétique.
M : Hello Antoine. La référence à Stanley Kubrick m’a beaucoup interpellé, tu m’expliques ?
Antoine Pasqualini : Monolithe Noir vient de ce moment dans 2001, l’Odyssée de l’espace où les astronautes descendent dans l’énorme cratère et découvrent le monolithe sur la musique de Gyorgy Ligeti. Ça m’a procuré une énorme montée d’adrénaline. Je me suis dit : « Peu importe comment sonne mon nom, ce qu’il évoque aux autres, c’est ce moment là que je veux ».
M : Quel a été ton parcours avant de rejoindre le label Kowtow Records ?
AP : J’avais un groupe avant Monolithe Noir [NDLR : Arch Woodmann]. J’ai pris le temps de choisir mon entourage et d’expérimenter. Quand j’ai rencontré Vincent [NDLR : Lebowitz, fondateur de Kowtow Records], je savais que c’était le moment de signer et de construire quelque chose ensemble. J’avoue que c’est la première fois que je me sens aussi bien dans un label, c’est comme une petite famille musicale.
M : T’as des envies de collaboration avec les artistes du label ?
AP : J’ai échangé avec Penelope Antena qui m’avait demandé d’utiliser un de mes sons, et je lui ai dit qu’elle pouvait bien sûr. Penelope est une musicienne super talentueuse, ça se fera à un moment.
M : Penelope a des influences folk très marquées, quelles sont les tiennes ?
AP : J’ai beaucoup aimé et j’écoute toujours James Holden et Radiohead. J’ai découvert récemment la musicienne russe Maria Teriaeva qui utilise des modulaires. Kaitlyn Aurelia Smith fait aussi partie de mes références.
M : On sent aussi une grande inspiration post-rock dans tes morceaux ?
AP : Totalement, c’est une musique que j’écoutais beaucoup à une époque. Ça fait clairement partie de ma formation musicale, j’ai eu des groupes de post-rock et de noise pop. Et puis à un moment je me suis dit : « Fini les guitares, tout dans le synthé » (rires).
M : Tes morceaux ont une couleur ambient alors que tes passages sur scène sont beaucoup plus techno, comment t’assures la transition ?
AP : J’essaie de ne pas prendre des sons du disque pour mes concerts. Ce sont les mêmes mélodies et je repasse tout par le prisme matériel du synthé modulaire, ce qui fait qu’il y a une certaine unité au niveau du son et de l’esthétique.
M : Certains producteurs ont un fétichisme pour leur machine, c’est ton cas ?
AP : Je l’utilise parce que c’est un outil de dingue mais parfois je le lâche pour mon ordinateur. Après ça apporte en image au projet parce que c’est quelque chose d’extrêmement visuel, quand je le vois j’ai envie d’aller vers lui. Tout a commencé par l’attirance visuelle. Il y a clairement des moments où ça devient magique et je comprends pourquoi j’ai dépensé autant d’argent dedans (rires).
M : À ceux qui ne savent pas comment fonctionne un synthé modulaire, tu peux expliquer le principe ?
AP : L’avantage du synthé modulaire c’est que t’as une carcasse avec une adaptation. Tu crées ton orchestre en mettant les modules dont t’as envie et qui ont chacun leur fonction propre. C’est comme quand tu fais du foot au collège et que tu choisis les éléments avec qui tu veux jouer.
M : Quelle machine t’utilises en live ?
AP : C’est un ARP Odyssey qui est la réédition d’un synthé commercialisé entre 1972 et 1981. À côté, il y a mon synthé modulaire. Je joue sur l’un et mon laptop joue l’autre.
M : Parlons peu, parlons image. Qu’est-ce qui t’intéresses dans cette quête visuelle ?
AP : J’ai fait ma première installation en septembre à l’Area 42 à Bruxelles. C’était une sorte de boîte avec des projections, de l’eau et du son en 5.1. Même si je n’ai pas de formation artistique, ça m’intéresse d’aller dans cette recherche pluridisciplinaire.
M : C’est super intéressant, comment est né ce projet ?
AP : On m’a donné la possibilité de faire une résidence mais personne ne m’avait donné de cahier des charges. J’ai fait ce que j’avais envie de faire avec mes petits moyens. L’accomplissement vient en dépassant l’idée qu’on est illégitime. Parfois, on se dit ensuite qu’on aurait du oser plus tôt.
M : Tu t’es déjà senti illégitime en allant chercher de nouvelles idées ?
AP : Il faut mettre son cerveau sur pause quand on fait de la musique. Au début de Monolithe Noir, tout le but du projet était d’arrêter de cadrer systématiquement les choses et de ne plus essayer de deviner qu’est-ce que ça rendrait à l’avance. Et surtout, d’arrêter de me demander si je pouvais m’imposer dans le milieu de la musique électro alors que je n’en avais jamais fait avant. Au final, les gens n’en ont rien à faire.
M : Et quand on fait la première partie de Girls in Hawaii, on se sent légitime ?
AP : Oh, ça c’est autre chose par contre (rires). J’avais fait leur première partie à Mons en 2017 avec leur public qui est ce qu’il est. Leur politique a toujours été d’inviter qui ils voulaient en première partie : parfois ça passe, parfois ça casse. Dix minutes après mon concert, je reçois un message sur ma page Facebook : « Pas terrible, peut mieux faire, ça fera vingt euros chez l’orthophoniste ». Ça m’a vraiment fait rire et en même temps tu ne peux pas t’empêcher de le prendre comme un compliment venant de ce genre de personnes. C’est quelque chose qui ferait rire les Girls in Hawaii.
M : Tu penses que ta musique peut laisser des gens sur la touche ?
AP : Je ne fais pas de la musique pour ennuyer les gens. Parfois, dans l’instant, je vais pousser sur scène des fréquences qui vont faire mal aux gens. J’aimerais qu’on m’envoie ce genre de choses qui viennent faire vibrer mon ossature et chatouiller mon tympan. C’est là où s’arrête mon sadisme en terme de musique (rires).
M : Tu vas jouer pour ton plaisir autant que pour ton public ?
AP : Oui, clairement. Je pense qu’il y a une dimension de souffrance qui peut-être kiffante. L’intérêt de la musique électronique est de venir bousculer de manière répétitive. J’ai vécu l’une de mes premières expériences forte et physique de musique électronique avec Andy Stott aux Siestes Électroniques en 2013. Il allait chercher des basses et des très hautes fréquences, et à ce moment je me suis dit que c’est ce que je voulais explorer.
M : Ma dernière question est la signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’un artiste ?
AP : C’est marrant que tu me poses la question parce que pendant des années je me définissais comme musicien pour des questions de légitimité. Je me suis rendu compte que ma pratique artistique s’étendait et que j’étais capable de faire de la vidéo ou une installation. Pour autant, je considère toujours que je fais de l’artisanat. J’ai l’impression que les notions se croisent et les frontières sont très poreuses. Il faudrait que cette définition soit très glissante sinon on va fermer la porte à beaucoup de gens. Laissons cette définition ouverte.