Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Professeure de Lettres à la ville et journaliste à la…
Un étendoir à linge, une horloge de bureau, un poisson géant mécanique : Ouai Stephane bidouille des objets hétéroclites pour créer des morceaux entre techno et bass music.
Ouai Stéphane nous donne l’effet d’un vent de fraîcheur, lui-même rehaussé d’une grosse tornade techno, elle-même agrémentée de la chouette bonhomie du personnage. Rencontré en septembre dernier au Festival Hop Pop Hop, l’artiste nous avait entraîné dans un live absurde réunissant des objets détournés de leur fonction première, et génialement transformés en instruments de musique.
Passionné de lives atypiques
On définit souvent Ouai Stéphane comme un joyeux luron, tant bien même qu’il porte un regard décomplexé et novateur sur la production, tout en apportant une réflexion post-moderne sur la banalisation des objets du quotidien. De son live machine dans un mini-Chambord (en clin d’œil à Cercle) à sa performance dans un TGV à 300km/h, OuaiStephane nous dit tout, de tout (de lui).
Le producteur avait sorti un premier single Ouai en 2017 chez Record Record, le label de Point Point, avant d’enchaîner récemment avec son second EP chez Global Warming Records. Bienvenue dans l’univers abrasif et rythmé de Drastic !
Marin : Hello Stephane. Ton projet est mystérieux, parce que déjà on trouve peu d’interviews de toi, mais surtout parce que tu brouilles les pistes en te mettant peu en avant. Alors c’est qui le Stéphane de Ouai Stephane ?
Ouai Stephane : Je suis né à Antibes dans le Sud de la France et ma mère est irlandaise, donc j’ai passé beaucoup de temps à Dublin. Je suis allé là-bas, j’ai fait des trucs, et je suis revenu à Paris. Enfin, je suis plus exactement « allé » à Paris, parce que je n’y étais jamais allé avant.
M. : Je t’ai découvert sur Facebook, et ce qui m’a interpellé, c’est que tu changes de photo de profil tous les mois en prenant l’apparence de plusieurs Stéphane célèbres. Quel serait ton alter ego préféré ?
OS. : Seulement parmi les photos de profil ou en général ?
M. : En général si tu veux…
OS. : Tu as déjà regardé Yu-Gi-Oh ? Moi j’aimerais trop avoir un Yami Yugi (ndlr, le second protagoniste de l’animé qui réside dans le corps de Yugi Muto). J’aimerais trop, quand je joue, qu’il y ait quelqu’un qui sente l’âme de la musique. Mais ça c’est un rêve…
M. : Et parmi les Stéphane célèbres ?
OS. : J’aime bien Stéphane Bern. Je trouve qu’il a l’air super sympa.
M. : À quand le featuring avec Bern ?
OS. : Je ne sais pas, je ne l’ai toujours pas rencontré… J’aimerais bien le voir mais c’est un peu compliqué, je ne sais pas où il habite (rires).
M. : La seconde chose que j’ai remarquée, c’est qu’il n’y a pas de « s » à « Ouai ». C’est normal ou c’est un oubli ?
OS. : Il n’y a pas de « s » à « Ouai » parce qu’il est dans « Stéphane ». Quand on écrit « OuaiStéphane » sans espace au milieu, il y a le « s » à la fin. Du coup, tout va bien. Je pourrais en rajouter à la fin de « Stephane », mais ce serait le bordel, faudrait changer les noms de plein de trucs… Mais c’est une bonne idée, il faudrait que je le fasse, tiens.
M. : Tu as également une égérie avec un acteur moustachu que l’on retrouve dans tous tes clips. Comment est née cette idée d’alter-ego que l’on suit vidéo après vidéo ?
OS. : Le premier, c’est Stéphane, c’est un pote avec qui je travaillais avant. On construisait des murs, on faisait du crépi ensemble. Il ne parle pas vraiment français alors on avait du mal à communiquer mais on était pote quand même. Je lui ai proposé de venir dans mon clip. Je pense qu’il a dit oui parce qu’il est venu, on a filmé, et c’est devenu ça. Ensuite, je me suis dit que ce serait cool d’avoir un autre Stéphane. Je suis devenu assez pote avec Jean-Raoul Schopfer, un YouTuber suisse que je te conseille fortement. Je lui ai demandé si ça le tentait de venir dans les clips et il a dit ouais. C’est devenu un ami. J’ai plein d’amis.
M. : Plusieurs de tes clips m’ont marqué. Le clip de Ouai se passe en bas d’un escalator, 33T dans une laverie, et Ouai Ouai dans une salle d’attente. As-tu envie de changer notre regard sur les endroits glauques de notre quotidien ?
OS. : Moi je ne trouve pas ça glauque. Ces lieux m’inspirent énormément. Ce sont des lieux qui sont souvent assimilés au vide, à l’attente, au non-résultat ou à un résultat banal. C’est ce qui m’intéresse. Le vide m’inspire. C’est souvent dans des situations comme ça que je pense à la musique. L’attente fait sortir des émotions : tu attends, tu te fais chier, tu commences à penser à plein de trucs, c’est ça qui est source d’inspiration. Cette phase de création, elle n’est jamais mise en avant. Et j’aime bien remettre ce genre de choses en avant, être sincère sur le processus de création.
M. : C’est une envie d’aller à l’encontre de l’electro-glam’, de chercher quelque chose qu’on ne voit pas habituellement dans les projets musicaux ?
OS. . Peut-être que c’est une envie. Je vais vers là en tout cas : mettre en avant l’inhabituel et trouver du normal dans l’anormal. C’est ce que j’aimerais faire à long terme. Par exemple, c’est un peu anormal que tu me poses des questions et que moi je ne t’en pose pas, mais en même temps c’est normal aussi (rires).
M. : Toujours dans l’anormal normal, tu as créé un live à partir d’objets du quotidien. En leur donnant une seconde vie, tu deviens un peu l’humanitaire des objets délaissés. C’est une source d’inspiration ou ce sont des outils ?
OS. : Les deux. Ce sont des objets que tu as dans ta chambre et auxquels tu ne prêtes pas attention. Et dans ces phases d’attente, c’est sur un objet comme ça que tu vas porter ton attention et c’est littéralement la source d’inspiration pour créer. C’est ça qui m’intéresse dans ces objets-là, et la geekerie d’aller dedans, de mettre des câbles, faire de la soudure et des trucs chelous pour que ça fasse du son. Enfin, ce ne sont pas les objets qui font le son mais des contrôleurs dirigés par l’ordinateur dans lequel se trouve la source sonore.
M. : Est-ce que tu les utilises uniquement en live ?
OS. : Je les utilise autant en studio qu’en live. C’est galère, faut que je les mette dans les valises, parfois ça ne rentre pas et c’est chiant. Faudrait que j’en fasse deux : un objet pour le studio et un pour le live. Mais je n’y suis pas encore !
M. : Comment naissent tes morceaux en studio ?
OS. : Chacun a des moyens différents de faire de la musique. Moi ça part assez souvent de concepts techniques plutôt qu’artistiques, et de sessions où j’ai envie de les tester. En y allant un peu à l’arrache, je me rends souvent compte que ça peut donner quelque chose qu’on peut écouter. Ça vient souvent comme ça, je crée.
M. : Tu ne te poses pas de questions et tu fonces ?
OS. : Non, il y a quand même un tissu de réflexions : comment je vais utiliser ça, comment je vais le mettre en avant. Mais les idées de base viennent autour de simples concepts techniques.
M. : Tu nappes également ta voix d’auto-tune, alors que parfois, on aurait plus envie d’entendre ta vraie voix. Pourquoi ce choix ?
OS. : Il n’y a pas que de l’auto-tune, j’utilise tout un arsenal d’effets. Je considère l’auto-tune ou l’effet comme un instrument, et ma voix comme un moyen de communication pour aller jouer de cet instrument.
M. : De nombreux prophètes de l’absurde portent un regard nouveau sur l’ordinaire : Philippe Katerine, Vincent Castant ou encore Jacques. Cette effervescence artistique fait partie de tes sources d’inspiration ?
OS. : Carrément, il y a une envie commune d’aller vers là où personne ne veut aller. On le ressent, bien qu’on ait chacun quelque chose de différent à dire. On se rapproche dans la forme mais le contenu n’est pas le même. Vincent ne fait pas de musique par exemple. Jacques fait de la musique mais pas la même que la mienne.
M. : Jacques a par ailleurs collaboré avec le BHV Marais, comme toi tu as joué dans un train TGV Inouï. N’est-ce pas un peu la rencontre des contraires, ton projet super original avec une marque super grand public ?
OS. : Je fais de la musique pour tout le monde, donc si l’expérience est cool, je suis chaud. Jouer dans un train, ça n’arrive pas tous les jours. J’ai bien kiffé. C’était unique et très bizarre de se dire qu’au début de mon live j’allais jouer dans ce département, et que j’allais le finir 300km plus loin. En avion je serais chaud, en apesanteur. Mais ce serait un peu le bordel pour la balance.
M. : Il y avait eu aussi ton live dans un mini-Chambord (ndlr, en haut de l’article). Qu’est-ce que ce serait ton concert rêvé ?
OS. : J’aimerais bien jouer à Disney. Tu as vu le Seigneur des Anneaux ? J’aimerais bien jouer au milieu de la Moria (ndlr, la cité souterraine des nains inventée) mais sans le méchant. Il y aurait peut-être un peu de réverb’ mais je pense que ce serait cool. Je ne sais pas s’il y a des endroits comme ça dans le monde ?
M. : On va creuser la question ! Avant de se quitter, tu connais peut-être notre question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’un artiste ?
OS. : Je pense qu’il faut partir de définitions simples et ensuite on peut broder par-dessus… Mais ce ne serait pas à moi de le faire. Je pense qu’un artiste c’est quelqu’un qui crée quelque chose, et s’il y a au moins deux personnes qui disent « c’est de l’art », c’est un artiste. Par exemple, un facteur, moi je pense que c’est un artiste. Parce qu’il crée de l’attente. Et il t’apporte souvent une surprise.