Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Sous le pavillon HyperAlliance, Panteros666 et Inès Alpha construisent leur univers dystopique où se mêlent références eurodance et visuels 3D. Le nouveau single Catch Me IRL préfigure leur propulsion dans l’hyperespace grand public.
Ma première, Inès Alpha, maquilleuse prothésiste 3D, créatrice de masques surréalistes pour Nike et Zalando, est aussi conférencière à ses heures perdues chez Snapchat. Mon second, Panteros666, s’est fait connaître avec le supergroupe Club Cheval, signé en son temps chez l’écurie Bromance, et réalisateur de clip. Ces véritables couteaux suisses, qui ont fait des aventures en dehors de leur discipline de base une habitude, sont révélateurs d’une génération qui ne s’embarrasse pas d’un média et qui est curieuse de tout.
Le duo se laisse imprégner par nos modes de consommation digitaux, de la musique au visuel, pour influencer à leur tour les tendances grand public.
Marquer le présent avec les outils du futur
Sorti le 4 avril 2020, le single Catch Me IRL est un tournant pour le producteur français installé à Londres. Si la production piano-house avec son drop EDM ravit par sa grande efficacité, le banger marque surtout les esprits en propulsant l’underground sur le devant de la scène. Aux crédits, on retrouve la chanteuse Claude Violante (autrice du superbe album Armani), Joanna grimée en créature inquiétante, et Inès Alpha pour les visuels 3D.
Le fait que Panteros666 rejoigne pour ce titre le label américain Ultra Music, leader mondial de la dance music, témoigne de cette envie de porter l’art digital à son avènement grand public, et de marquer le présent avec les outils du futur.
Embarquement immédiat pour le vaisseau de Panteros666 et Inès Alpha où l’on a discuté art digital, cyberpunk et 5G. Les deux acolytes venaient de proposer la dernière date de leur tournée AV/Live au Petit Bain pour les ClubSessions du label Clear Waters.
Marin : Bonjour Panteros666 et Inès Alpha ! Votre univers est riche d’influences pop et digitales. Qu’est-ce qui le caractérise ?
Inès Alpha : On est très influencé par l’art digital et la culture 3D qui a émergé ces dernières années grâce à la démocratisation des logiciels 3D. Cette esthétique va puiser dans les jeux vidéos, la science-fiction et l’art contemporain. Mais ce vocabulaire a aussi des éléments nacrés, pastels, plastiques et transparents qui s’inspirent de la culture des années 2000, avec par exemple des cyborgs et des androïdes.
Panteros666 : Ce mélange de kitsch et d’avant-gardisme se superposent super bien à la réalité où des images nous explosent quotidiennement les yeux, en particulier sur Internet.
M. : L’art digital annonce le futur de la musique ?
P666. : Quand j’ai commencé la musique électro, j’ai sorti mes premiers morceaux en MP3. C’était déjà 100% digital. Je me suis dit très vite : « Bon bah voilà, je suis de la première génération qui va assister à l’avènement de la première culture 100% digitale. » Maintenant tout est dématérialisé : relations, amours, vie familiale… Vu qu’on a dématérialisé la musique, qui se vit pourtant de manière très physique quand on sort en boîte, je me suis dit qu’il fallait rajouter une couche supplémentaire. Elle est venue naturellement du « dieu » Internet, cette grande chose que l’on vénère et dont on ne sait pas si elle va nous détruire ou créer.
M. : On vient d’assister à la dernière représentation de votre AV/Live. Toutes ces animations et ces personnages, c’est un immense moodboard de vos inspirations ?
P666. : J’étais tout le temps sur Tumblr avant. Ma culture artistique s’est plus développée avec Internet que ce que j’ai découvert dans des livres d’art contemporain. Je vais voir plus d’œuvres d’art sur Internet qu’au musée, et je kiffe plus les voir sur Internet qu’au musée. Pour mon live avec Inès, je me suis dit : « Transportons ça dans un club et voyons ce que ça donne ». C’est comme un milliard de scrolls dans une boîte de nuit (rires).
IA. : C’était important d’ajouter du visuel à la musique de Panteros666 pour amener de l’émotion et faire voyager les gens. La musique en elle-même transporte déjà les gens. Mais en ajoutant cette couche visuelle, on pousse l’imaginaire encore plus loin. L’objectif, c’est de vous faire saigner du cerveau (rires).
M. C’est une manière d’échapper au format club ?
P666. : Les visuels du digital art permettent de libérer la musique. Parce que sinon, oui, la musique club est très codifiée. C’est fait pour danser. Les producteurs de musique sont obsédés par le bon goût, respecter les règles, plaire aux autres DJs qu’ils adorent. Le but c’est d’exploser les codes vu que chaque choix musical s’insère dans un univers. Si je veux jouer un track acid-house avec des voix de bébé accélérées et Bob L’Éponge dans un univers tropical, les gens vont se dire : « Ah OK, c’est cette musique ». Sans le visuel, je ne me serais peut-être pas permis cette liberté.
IA. : Panteros a souvent un storytelling : « Alors là c’est l’entrée dans la nature, le second track c’est la montée au ciel, puis la mort et la résurrection. » Il fallait évoquer visuellement ces mots-clefs avec le fil rouge qu’il me décrit.
M. : Quels créatifs vous obsèdent sur la scène digitale ?
P666. : Le mouvement est finalement assez jeune. Tout a démarré pour moi avec les visuels 3D punks, DIY et absurdes de Jon Rafman. C’est vachement venu d’une réutilisation de ce qu’on voit sur Internet de manière artistique : beaucoup de citations, de décalage et d’exagération.
Les polonais de Pussy Krew ont mis la barre très haut, tout comme Kim Laughton qui était le premier à faire des natures mortes photo-réalistes en 3D. Il y a eu ensuite les labels Fade To Mind et Night Slugs qui ont proposé des clips avec des visuels 3D. En France, on a rencontré Kill Kyll, Lambert Duchesne ou la belge Valeris Media… On n’est qu’une poignée de francophones.
IA. : On s’est ensuite ouvert à l’Europe. Il y a beaucoup de créatifs de pays de l’Est qui font souvent de la réalité virtuelle avec des logiciels de jeux vidéo comme Unreal Unity. Par exemple, il y a Alpha Rats et Fluffylord qui sont un peu les enfants de Jon Rafman et Kim Laughton.
M. : Est-ce que vous avez l’impression de faire partie d’une avant-garde ?
P666. : Hmmm, non (rires).
IA. : Après on essaie d’aller dans le sens des influences qui sont plutôt « avant-gardistes » ou en tout cas nouvelles. Et on essaie de faire un peu bouger les choses…
P666. : Franchement, j’ai envie de ne rien faire bouger : chacun fait ce qu’il veut, je n’ai pas envie d’imposer mes goûts. On nous impose tellement de choses que j’ai rien envie d’imposer. Dans ma démarche, je ne me dis pas que ça va être super avant-gardiste. On fusionne nos goûts et nos obsessions du moment. Parfois en prenant ma douche, j’ai envie de créer quelque chose et je me demande comment on fait. Ce n’est pas pour bousculer l’ordre établi. J’ai envie que tout coexiste : les gens qui vivent comme dans les années 50, et nous qui essayons d’avoir une vision plus futuriste.
M. : Comment voyez-vous le futur ?
P666. : Si on est inspiré par le futur, c’est aussi la chose qui nous effraie le plus (rires). En ce moment, on fait tous des blagues sur la 5G qui va nous transformer en légumes narcissiques, bizarres, et contrôlés par une dictature digitale. On le sait et on se précipite là-dessus (rires). On magnifie plus une dystopie qu’on entrevoit plus vite que les autres.
M. : Vous vous définissiez il y a quelques années comme un groupe cyberpunk. Qu’est-ce que cela signifie ?
P666. : « Cyberpunk » est finalement un terme très années 80 qui évoque Maurice Dantec. Je suis allé voir la définition de « cyber », c’est un terme assez obsolète qui n’a pas réellement de sens. Sinon le cyberpunk, ce sont des augmentations technologiques sur un corps humain. Comme un mec qui aurait perdu sa jambe, et qui se la fait remplacer par un gun.
IA. : C’est hyper Tarantino (rires).
P666. : Nous, on n’est pas du tout augmenté par la technologie. Mais en étant 8h par jour sur un smartphone, on est aussi quelque part déjà tous des cyberpunks (rires).
M. : En mai 2019, vous avez sorti le clip d’About You où on peut voir des augmentations digitales…
IA. : J’ai fait le maquillage 3D de ce clip. C’est une manière d’exprimer ma vision de la beauté du futur. Il y a deux univers : l’un angélique sur fond blanc, plus cosmétique, et l’autre diabolique sur fond rouge, plus dégoulinant. Les idées sont venues par ambition esthétique.
M. : Qu’est-ce que vous avez envie d’amener par la suite ?
P666. : J’ai en tête de sortir de la 3D hyper-réaliste pour faire quelque chose de plus scénarisé. La création digitale est déterminée par la pratique d’un logiciel et de choses que l’on télécharge, plutôt qu’un discours que l’on va illustrer après. L’art digital est pauvre en terme de critique sociale, même s’il y aura sans doutes des commentateurs qui lui donneront ses lettres de noblesse en l’interprétant. Comme quand tu prends un poème de Baudelaire commenté huit milliards de fois, tu peux te demander s’il a voulu critiquer cet aspect de la société en écrivant l’Albatros. Pas sûr. Mais bon, les visuels 3D seront réenchantés par du sens. La prochaine étape c’est un peu plus d’engagement politique, de scénarisation et de prises de position idéologiques au sein des œuvres.
M. : Et comme c’est la tradition chez Arty Magazine, quelle est votre définition d’un artiste ?
IA. :Je dirais que c’est une personne qui va utiliser un médium pour exprimer sa vision personnelle.
P666. : Pour moi, c’est réussir à transmettre une émotion qui soit captée.