En immersion dans le studio de Pia Vidal, illustratrice et motion designeuse
Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
En partenariat avec EasyClap.
Des Gobelins jusqu’à aujourd’hui, Pia Vidal construit ses petits mondes fantasques où se côtoient sorcières, monstres et vulves en goguette. L’illustratrice nous a ouvert les portes de son studio.
Elle n’a pas sa langue dans la poche ni son crayon dans l’étui. Pia Vidal fait partie de ces illustratrices hautes en couleur dont on prend des nouvelles avec plaisir, un an après avoir participé à notre Calendrier de l’Avent Arty. Indépendante et fière de l’être, l’illustratrice a été la première motion designeuse à collaborer avec Condé Nast, mastodonte dont Vanity Fair, Vogue, GQ et Glamour sont les marques emblématiques. Pia en connaît un rayon côté glam’ et lifestyle, puisqu’elle a signé la nouvelle identité des parfums Sylvaine Delacourte, et s’est attirée les faveurs de l’artiste Hajna dont elle a réalisé la pochette d’album. Voilà pour le name-dropping du turfu.
Illustrations fantasques & mapping coloré
À l’époque où on avait rencontré l’artiste, Pia était une fervente défenseure du papier-crayon. Depuis, ses fascinants petits univers se déploient en couleurs et en mouvement. Toujours plus beau, toujours plus fort. L’illustratrice a gagné tous les suffrages lors de la Fête des Images d’Épinal avec son mapping vidéo « L’éveil des Yôkai », où ses créatures échappées du Voyage du Chichiro ont parcouru les façades des immeubles, sur un sound design japonisant du non-moins talentueux Corentin Cardinaud. Même si notre coup de cœur reste indéniablement la « mise en abîme vulvaire » de son mapping Fentes, ou l’art de rendre le féminisme ludique et décomplexé.
Marin : Hello Pia. Peux-tu te présenter à travers 3 émojis ? Qu’est-ce qu’ils représentent pour toi ?
Pia Vidal : Ce serait : 😂🥟💩. Ça représenterait une nana qui se marre (j’adore rire), un vagin et un caca !
M. La légende raconte que ta vocation d’illustratrice est née dans l’atelier de ton père, passé par le collectif Bazooka. Tu me racontes ?
P.V. Oui, mon père était dessinateur quand j’étais plus jeune. Il l’est d’ailleurs toujours mais maintenant il fait de la peinture à l’huile. C’est très chouette ce qu’il peint, allez voir son Instagram (rires). Il y avait des dessins bizarres partout. Ça m’inspirait beaucoup, du coup j’ai toujours dessiné. Je prenais ses bouquins de dessin et je m’entraînais. Je faisais pas mal de petites bandes dessinées à l’époque. Quand je les regarde aujourd’hui, je me dis que c’était vraiment nul (rires).
M. Quelles sont tes sources d’inspiration à part celles de ton héritage familial ?
P.V. : Beaucoup d’artistes que j’admire viennent de mes parents : Claude Ponti, Ingres, Tim Burton, Myazaki, Topor, Poussin, Matisse, Magrit, Hescher, Picasso, Henry-Cartier Bresson… Plus tard j’ai commencé à puiser mon inspiration dans la bande dessinée d’auteur : Winshluss, Tony Sandoval, Charles Burns, Stéphane Blanquet et j’en oublie plein d’autres.
Mais au-delà de ces artistes, il y a tout un pan de mes visuels qui viennent de mes expériences émotionnelles. Il se passe toujours beaucoup de choses à l’intérieur de moi. Souvent je visualise mon corps comme une mer. Elle est tantôt déchaînée, tantôt calme… Même si ça arrive moins souvent (rires). Je pense que dessiner et créer des supports visuels est une nécessité pour extérioriser tout ce qu’il se passe dans ma cavité corporelle.
M. Tes œuvres surréalistes fascinent et interloquent en même temps. Qu’est-ce qui te guide dans la création de tes univers ?
P.V. : Mmmmh… J’ai besoin de raconter une histoire quand je crée, c’est très important. Je m’invente un petit monde en me laissant guider par les choses qui me travaillent et mon état d’esprit du moment. Ensuite je cherche des textes dans mes bouquins. Avoir des mots qui entrent en écho avec mes visuels c’est indispensable, sinon je n’arrive à rien. Les bouquins que je lis m’inspirent beaucoup, d’ailleurs Damasio est pour moi un demi-dieu.
M. T’as créé de nombreux motion designs notamment. Qu’est-ce que ça change dans ton approche ?
P.V. : Au niveau de l’inspiration mon approche reste la même, par contre techniquement ça change tout. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte quand on pense en mouvement. Graphiquement, je dois penser mon univers différemment. Il y a des trucs que je ne peux pas représenter avec autant de détails. Il y a aussi une dimension temporelle qui n’existe pas dans le dessin. Ton histoire doit s’inscrire dans le temps avec un début, un milieu et surtout une fin.
Le rapport avec la personne qui regarde ton visuel est aussi différent. Elle peut switcher et ne pas regarder la fin. La personne a le choix de ne pas regarder jusqu’au bout ce qui serait impensable avec le dessin. Il faut faire gaffe à ce que ne ça soit pas trop long et ennuyeux. D’ailleurs je suis en train de me mettre au VJing. Je vais enfin pouvoir projeter mes anims’ en live. Je suis trop contente.
M. Quelle est l’illustration dont t’es la plus fière ?
P.V. : C’est un de mes derniers dessins qui s’appelle Witch. C’est une allégorie de la femme moderne et indépendante, débarrassée de la pression du patriarcat. Elle a une dimension magique, elle est à l’aise avec son corps et consciente de son pouvoir, pas sur les autres mais intérieurement. C’est aussi une femme qui est en harmonie avec la nature et qui s’y sent connectée.
C’est un sujet qui me tient à cœur et qui me touche énormément. Je me considère comme féministe même si c’est un mot que je n’aime pas trop employer parce qu’il est trop diabolisé maintenant. Je suis une féministe qui aime profondément les hommes. Pour moi le féminisme est juste un équilibre entre les différents sexes (non binaire). Être à l’aise avec son corps et le corps des autres est quelque chose d’énorme. Pour l’instant je n’y arrive pas, mais je travaille dans ma tête pour que ça le soit.
M. Pour finir, tu n’échappes pas à la question signature chez Arty Paris. Quelle est ta définition d’une artiste ?
P.V. : Waow question délicate. Déjà pardonne-moi ma vulgarité, mais j’emmerde pas mal les gens qui se disent artistes mais qui n’ont que de la gueule. Pour moi, un artiste c’est quelqu’un qui a le propos vrai et sincère dans son art. C’est aussi quelqu’un qui va expérimenter et sortir de sa zone de confort.
Je pense aussi que l’artiste a un rôle social. Il va inspirer et être suivi par un certains nombres de personnes. On se doit en tant qu’artiste de faire très attention aux messages que l’on fait passer. Les artistes sont des jardiniers qui plantent des petites graines dans la tête des gens qui deviendront un jour des arbres. Faut faire gaffe, si tu plantes une graine chargée de haine; ça deviendra une plante toxique et nocive.